Manabe Daito : par-delà les frontières entre art et technologie

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L’entreprise Rhizomatiks Research fait parler d’elle dans le monde entier en proposant une nouvelle forme d’expression artistique grâce aux technologies les plus avancées, comme les drones et la réalité augmentée. Son patron, Manabe Daito, nous parle de son travail.

Manabe Daito MANABE Daito

Artiste spécialisé dans les médias, programmeur et DJ. Directeur de Rhizomatiks et de Rhizomatiks Research. Né à Tokyo en 1976, diplômé de l’Université des sciences de Tokyo et du Collège doctoral d’arts et sciences des médias (IAMAS), il est le co-fondateur de Rhizomatiks en 2006. Co-directeur de Rhizomatiks Research, l’équipe de développement créatif et technologique de Rhizomatiks, depuis 2015. Il est l’auteur de nombreuses œuvres basées sur le corps, la programmation et les données, récompensées au Japon comme à l’étranger.
Son site internet : http://www.daito.ws/
Site internet de Rhizomatiks : https://rhizomatiks.com/

Faire vibrer les gens

Alors qu’il se trouve sous le feu des projecteurs, Manabe Daito sent monter en lui un puissant besoin de retourner à ses sources, de renouer avec une expression artistique expérimentale.

« Au Japon, on est soumis à des contraintes budgétaires et à une certaine prudence dans l’expression. À vrai dire, actuellement, l’endroit où nous pouvons vraiment nous livrer à une expression artistique expérimentale, c’est la Chine. Les Chinois n’hésitent pas à essayer de reproduire nos œuvres passées. Et parfois, ils nous contactent pour collaborer, parce qu’ils n’y sont pas arrivés ! Mais l’énergie qu’ils mettent dans les formes d’expression nouvelles et la vitesse avec laquelle ils passent à la réalisation est incomparable. En même temps, il y a aussi des entreprises occidentales d’envergure mondiale qui s’intéressent à notre travail et qui font travailler des centaines d’employés sur la question. Ça, c’est inquiétant. »

Alors que de nouvelles technologies apparaissent et disparaissent sans cesse, de plus en plus d’artistes les mettent au service de l’art numérique, et la concurrence est vive au niveau mondial. Comment, dans ce contexte, Manabe Daito parvient-il à continuer à créer des œuvres véritablement innovantes ?

« Je crois que c’est mon envie de créer des choses qui font vibrer les gens. Mais c’est difficile, parce que l’expression artistique que nous visons est fondamentalement différente d’une démonstration technique. Une démonstration faite dans le cadre d’une recherche doit pouvoir être expliquée avec précision, mais dans le cas de l’art ou du divertissement, il faut en donner une expression intéressante. L’idée n’est pas forcément de faire des prouesses technologiques. Par exemple, "Fade out" (2010) est une œuvre qui a coûté seulement quelques dizaines de milliers de yens, réalisée avec un laser acheté sur un site de ventes aux enchères, l’idée est toute simple. Ce qui est difficile en fait, c’est de trouver une idée que personne d’autre n’a eue et de lui donner forme. »


Manabe Daito + Ishibashi Motoi, « 405nm laser fade out test 2 » (2010). Projection d’un rayon laser sur un écran recouvert de peinture phosphorescente. Une image est dessinée en jouant sur les variations de luminosité de la peinture phosphorescente dans le temps. (vidéo : Rhizomatiks Research)

Manabe Daito, intéressé par le corps dans ce qu’il a de diamétralement opposé à l’évolution des technologies numériques, prend des leçons de danse pour éprouver dans sa chair les possibilités de notre corps. C’est ainsi qu’il est arrivé à une expérimentation qu’on pourrait qualifier d’art expérimental extrême.

« Je suis en train de me lancer dans une expérience qui me tient à cœur depuis longtemps : envoyer des impulsions électriques dans mon propre cerveau. Grâce à la technologie de la stimulation magnétique transcrânienne et avec la coopération d’un grand professeur, nous allons stopper la zone du néocortex impliquée dans le langage pour voir quel impact cela a sur la conversation, par exemple. J’aimerais un jour me faire implanter une puce électronique dans le cerveau, c’est à tenter pour savoir sur quoi cela peut déboucher. Je veux continuer à faire des recherches et à expérimenter, pour créer des œuvres toujours nouvelles, sans être à la traîne des évolutions technologiques. »

(Interview et texte : Fukasawa Keita. Photos : Ôkouchi Tadashi, sauf mention contraire)

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