L’univers de Shinkai Makoto, réalisateur de « Your name »
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Your name, le phénomène de l’année 2016
Avec sa sortie en août 2016,Your name, l'œuvre de Shinkai Makoto, est actuellement le second film le plus vu de toute l’histoire du film japonais, derrière seulement Le Voyage de Chihiro de Miyazaki Hayao.
De même, dans les pays étrangers, à Taïwan, à Hong-Kong ou en Thaïlande, le film a renversé tous les records de recette au premier week-end d’exploitation. Aux États-Unis, il est en compétition pour le 89e Prix de l’Association des critiques de films de Los Angeles dans la catégorie Films d’animation, et est pressenti pour être nominé aux prochains Oscars, dans la catégorie Meilleur film long métrage d’animation. Il est sorti en salle en France le 28 décembre 2016.
—À l'étranger, on vous a immédiatement surnommé « Le nouveau Miyazaki Hayao »
SHINKAI MAKOTO Mon premier film, Hoshi no koe, est sorti uniquement dans des mini-salles indépendantes. C'était un film de court métrage, d’une durée de 25 minutes, auto-produit, mais il est ensuite sorti en DVD, y compris à l'étranger. Si ma mémoire est bonne, sa première sortie à l'étranger a eu lieu lors du Comicon de San Diego. Depuis lors, tous mes films sont toujours invités dans plusieurs festivals à l'étranger à leur sortie.
Cela fait une dizaine d’années qu’on me surnomme « le nouveau Miyazaki » à l'étranger, mais je suppose que ça veut surtout dire que dans les pays étrangers, on divise les films d’animation japonais en deux catégories, les films de Miyazaki, et les autres.
Mais du fait que mes films sont tout de même différents de ceux de Miyazaki, de plus en plus de gens m’appellent plus simplement « un réalisateur de la nouvelle génération ». J’ai surtout dessiné des univers du Japon local. Dans les scènes de mes films, en décor de fond, on voit surtout des éléments très communs, voire banals du Japon : un carrefour avec feux rouges, un distributeur automatique, un train, des bâtiments urbains. Et cela crée une conscience de l’espace différente de la vue ouverte sur le monde des films du studio Ghibli, je pense.
Même maintenant, à l'étranger les gens qui aiment mes films appartiennent à une catégorie particulière de maniaque, ils appartiennent à une niche. Même si cette niche s’agrandit parce que le nombre de spectateurs augmente depuis le succès de Your name, cette essence, elle, ne changera pas.
—Cette mise en représentation du « local » est-elle l’effet d’une volonté consciente de votre part ?
SHINKAI Je ne peux pas dessiner avec un sentiment de réel un lieu qui n’est pas lié personnellement avec moi. Mais je peux montrer mon espace de vie quotidienne, à savoir Tokyo, d’une façon légèrement différente du Tokyo que connaissent les 30 millions d’habitants de la mégalopole. Et ça, c’est ma force, c’est mon arme.
La ville de la région montagneuse dans laquelle a grandi Mitsuha, dans Your name, est un lieu fictif, mais quand je dessine ce paysage, je l’investis du sentiment de réel des paysages de Koumi-machi, dans la préfecture de Nagano, où j’ai moi-même grandi.
C’est une ville située à plus de 1 000 mètres d’altitude, entourée de pics très élevés comme le Yatsugatake, ce qui lui donne un climat avec des vents très forts, et des ciels grandioses. D’ailleurs, le radio-télescope de Nobeyama est tout proche, le ciel étoilé est superbe. Et comme je n’avais rien d’autre à regarder à la campagne, je passais une ou deux heures tous les jours ou presque à peindre le ciel à l’aquarelle. De fait, le paysage primordial des ciels de mes films est celui de la région de Shinshû.
—Quels sont les dessins animés que vous avez vus étant enfant et qui ont eu une influence sur votre style ?
SHINKAI J’habitais à la campagne et seules trois chaînes de télévision étaient disponibles. Je me souviens avoir regardé les films d’animation présentés dans un programme qui s’appelait « World Masterpiece Theater », et aussi Le merveilleux voyage de Nils Holgersson, et puis Conan, le fils du futur, de Miyazaki Hayao. Ensuite, quand j'étais au lycée, j’ai vu Nadia, le secret de l’eau bleue, d’Anno Hideaki, que j’ai adoré et qui m’a influencé.
Mais le film qui a été un impact majeur, pour moi, c’est Le Château dans le ciel, de Miyazaki Hayao. J’avais 13 ou 14 ans, j’ai fait deux heures de train jusqu'à Ueda pour voir le film, avec mon argent de poche. J'étais complètement fasciné. « Ah, quelque chose de génial existe dans le monde… ! »
Londres, un tournant de ma vie
—Vous avez fait vos études supérieures à la faculté de Lettres de l’Université Chûô à Tokyo. Puis, vous avez trouvé du travail dans une société de jeux vidéo, mais à quel moment avez-vous décidé de devenir réalisateur de films d’animation ?
SHINKAI J’avais choisi de faire des études de Lettres uniquement pour me donner du temps. Pendant mes années d'étudiant, j’ai réfléchi à ce que je voulais faire plus tard, et comme je ne trouvais rien, pendant un moment j'étais assez angoissé.
Je me suis présenté au concours d’embauche de plusieurs compagnies un peu au hasard, et j’ai finalement été engagé par la société Nihon Falcom, un éditeur de jeux vidéo. Depuis mon enfance, j’aimais dessiner et imaginer des histoires, le jeu vidéo semblait un domaine créatif intéressant.
Tout en poursuivant mon travail dans cette société, j’ai été de plus en plus attiré par l’idée de créer mes propres histoires avec mes propres images. Au bout de cinq ans, j’ai démissionné de mon emploi et j’ai auto-produit Hoshi no koe, qui m’a apporté une grande satisfaction. Des gens sont venus voir mon film, cela m’a convaincu que je pouvais vivre avec ce travail.
En revanche, avec mes deux films suivants, un long métrage La Tour au-delà des nuages, et un moyen-métrage 5 centimètres par seconde, je me suis demandé si vraiment ce travail était fait pour moi. À cette époque, j’ai eu une proposition de la Fondation du Japon pour diriger un atelier de production d’animation numérique au Moyen-Orient, et j’ai accepté. Puis, je me suis dis que tant qu'à partir au Moyen-Orient, autant en profiter pour vivre un certain temps à l'étranger, et après l’atelier, je me suis inscrit dans un institut de langue à Londres. J’avais 35 ans. Au début, je comptais y rester six mois, mais en fin de compte, j’y suis resté un an et demi.
—Cette première expérience à l'étranger a-t-elle été un tournant dans votre vie ?
SHINKAI Pendant mon séjour, j'ai rencontré de nombreuses personnes qui connaissaient mon travail. Même dans cette école de langue et il m’est même arrivé de me faire reconnaître dans un café. Un jour, j’étais allé chez le coiffeur, et le coiffeur me dit : « Je vous reconnais, j’ai un DVD de votre film ! » Et tous ces gens m’expliquaient combien ils aimaient ce que j’avais fait. J’avais déjà eu l’occasion de parler avec des fans dans des festivals de films, mais là, c'était la première fois que je sentais d’aussi près des gens dans ma vie quotidienne qui avaient vu et étaient attentifs à mon travail.
Mais j'étais un étranger, sans travail, je n'étais pas marié, j’ai pris conscience du fait que je n'étais rien du tout. J'étais totalement libre, et en même temps, je ne sentais aucun sol ferme sous mes pieds et ça, c'était angoissant. Je me suis dit qu’il me fallait absolument quelque chose à quoi m’accrocher, et au même moment, j’ai trouvé les contours d’une histoire que je voulais vraiment écrire. J’ai donc écrit le scénario de mon film suivant à Londres, et quand je l’ai terminé, je suis rentré au Japon. C’est devenu Voyage vers Agartha. C’est à ce moment-là que je me suis décidé de devenir réalisateur de films d’animation pour de bon, je pense.
Réflechir au sens de la vie
—Your name possède un caractère de divertissement beaucoup plus affirmé. Dans quelle mesure contexte de la production a-t-il influencé cette direction ?
SHINKAI Mon premier film, Hoshi no koe, était entièrement auto-produit. Pour mes films suivants, j’ai travaillé dans un studio avec un staff de plusieurs personnes. Mais avec Your name, c'était un autre niveau, quantité de gens connus ont été impliqués. Par exemple, c'était la première fois que je travaillais en collaboration avec des artistes aussi populaires que Radwimps (qui ont créé la chanson principale et toute la bande son originale du film).
Pour l'équipe des animateurs aussi, j’ai eu le grand luxe. Si vous êtes tant soit peu amateur d’animation japonaise, quand vous voyez les noms au générique, vous flashez totalement. Tanaka Masayoshi, le responsable de la conception visuelle des personnages, est très demandé dans les productions d’animés pour la télé ; Ando Masashi, le directeur de l’animation est un senior du métier, il a été en charge de Princesse Mononoke et Le Voyage de Chihiro pour le studio Ghibli. Et tant d’autres professionnels avec des carrières impressionnantes.
—S’il y a une constante dans tous vos films, c’est l’expression d’une émotion douloureuse et d’une distance insurmontable entre les êtres, et en même temps la sensation d’un infini cosmique.
SHINKAI Les relations entre individus, la communauté de sentiments, c’étaient les thèmes essentiels de mon adolescence. Pourquoi j’aime quelqu’un ? Pourquoi la personne que j’aime ne m’aime pas ? Ce genre de questions évidentes était pour moi un grand mystère, comme le mystère de l’univers.
Aujourd’hui encore, même si je suis devenu adulte, marié, que j’ai un enfant, quand je me laisse aller, je retrouve encore en moi le même sentiment de mystère que dans mon adolescence. L'écart qui existe entre les sentiments des individus, le sentiment d’un décalage, et je me dis que je continuerai de traiter ce thème d’une façon ou d’une autre dans l’avenir.
Autre chose à laquelle je réfléchissais beaucoup lorsque j'étais adolescent, c'était le sens de ma vie, pourquoi étais-je né, et de trouver le rôle que j’avais à remplir et que moi seul pouvais accomplir. Je rêvais que ma vie ne soit pas de pur néant, et, ne serait-ce que pendant un instant, j’aurais voulu sentir que ma vie était connectée avec quelque chose de géant. Je ne suis pas croyant d’une religion particulière, mais je crois en quelque chose qui me semble proche de l’idée de Dieu, peut-être. C’est la raison pour laquelle j’ai envie d'écrire ces choses, les liens entre la petite échelle des sentiments individuels et la grande échelle des étoiles et de l’univers.
—Vous écrivez également des romans, développerez-vous cette activité dans l’avenir ?
SHINKAI Pour l’instant, j’ai surtout publié des novélisations de mes films, et je n’ai jamais pensé que j’avais une valeur en tant que telle comme romancier. S’il y a des gens qui lisent mes romans, c’est parce qu’ils me connaissent comme réalisateur de films d’animation. Mais j’adore écrire et lire des romans. À vrai dire, je passe plus de temps à lire des livres qu'à regarder des films ou des anime. Un jour, j’ai envie d'écrire un roman pour lui-même. Mais en même temps, j’ai quand même énormément envie de créer quelque chose là où le public m’attend. Et dans l’immédiat, j’ai tout de même l’impression que je suis plutôt attendu dans le domaine de l’animation.
(Interview de Itakura Kimie, de Nippon.com, paru le 5 décembre 2016 et mis à jour le 9 juin 2020. Photos : Nippon.com.)