Suivre la Voie des Dieux : le prêtre shintô Florian Wiltschko

Culture

Florian Wiltschko est un prêtre shintô né en Autriche qui s’intéresse au Japon depuis son plus jeune âge. La conception shintô de la vie recèle, dit-il, une grande sagesse qui peut nous aider à retrouver un état de divine innocence.

Florian Wiltschko WILTSCHKO Florian

Né en 1987 à Linz, en Autriche. Sa curiosité à propos du Japon s’est éveillée très tôt et n’a fait qu’augmenter après sa première visite touristique de ce pays, effectuée avec ses parents à l’âge de 14 ans. S’est spécialisé dans les études japonaises à l’Université de Vienne après son service militaire. Est entré en 2007 au sanctuaire Ueno Tenmangû de Nagoya, où il a vécu et étudié le shintô. Après un retour à Vienne pour y passer son diplôme, il s’est inscrit à la faculté d’études shintô de l’Université Kokugakuin au Japon. Une fois diplômé, a travaillé quatre ans comme gon-negi (prêtre assistant) au Konnô Hachimangû de Shibuya, avant de se marier et d’assumer les fonctions de negi (prêtre) au sanctuaire Nobeno de Tsu, dans la préfecture de Mie, en mai 2016.

Le Japon dépositaire des cultures du monde

À l’entrée du sanctuaire Nobeno

——Votre intérêt pour le Japon remonte à votre enfance. En quoi ce pays vous semblait-il si attirant ?

FLORIAN WILTSCHKO   Au début, c’est le côté typique des paysages, des bâtiments et des habits traditionnels qui m’attirait. Quand j’ai commencé à m’intéresser de plus près à ces divers éléments, j’ai découvert avec fascination l’histoire unique qui se cachait derrière chacun d’entre eux. Le Japon, me semble-t-il, est le dépositaire d’un remarquablement riche héritage, constitué des meilleurs éléments des cultures asiatiques. D’une certaine façon, ce pays ressemble au Shôsô-in, la maison du Trésor du temple Tôdai-ji à Nara, qui contient des milliers d’objets de valeur provenant de la route de la Soie, tous dans un état de conservation irréprochable.

Il y a bien longtemps, j’en suis convaincu, que les Japonais observent avec une grande curiosité les cultures qui abordent leurs rivages. Aujourd’hui encore, ils se montrent très empressés à découvrir des choses nouvelles, qu’ils adoptent et intègrent selon les modalités qui correspondent le mieux à la culture locale. Même quelque chose d’aussi simple que le curry de bœuf au riz est révélateur de cette disposition. À l’origine, le curry est un plat indien, mais il serait impensable en Inde de le servir avec du bœuf. Au Japon en revanche, ces ingrédients s’associent naturellement, et le mets qui en résulte est tout à fait délicieux !

L’intégration de nouveaux éléments reconfigurés avec goût pour créer quelque chose de neuf a aussi sa place au cœur du shintô. Il suffit de regarder l’architecture des sanctuaires. Seuls un petit nombre des détails architecturaux sont d’origine locale. Le grand hall et l’objet de culte (shintai) ont été empruntés aux traditions bouddhiste et ésotérique, de même que les komainu, les statues qui gardent l’entrée des sanctuaires. Mais ces éléments ne sont pas de simples copies ; ils ont été reconfigurés dans un style nouveau et proprement japonais.

Le shintô n’est pas une religion

——Quels sont les aspects du shintô qui vous ont semblé les plus intrigants ?

F.W.   Je suis fasciné par la grande diversité de l’architecture des sanctuaires. Si vous allez, par exemple, à Nagano, vous vous apercevrez que bien des sanctuaires, y compris le très ancien Suwa Taisha, ont quatre grands piliers autour du bâtiment principal. À Nara, la couleur vermillon prédomine, tandis que les sanctuaires de la ville voisine de Mie sont rarement peints, comme en témoigne celui d’Ise. Aux yeux de certains, cette hétérogénéité d’une architecture religieuse pourra sembler très bizarre. La meilleure explication me semble résider dans le fait que le shintô n’est pas une religion dans le sens occidental du terme. En fait, le concept de « religion » est apparu assez récemment au Japon, comme en témoigne l’absence du mot shûkyô – l’équivalent de « religion » en japonais – avant l’ère de Meiji. L’idée de religion implique l’adhésion à un groupe et je pense qu’en Europe, dont je suis originaire, le statut des gens et leur appartenance ethnique étaient définis par leur affiliation à une église ou une confession particulière.

Les titres et les règles font naturellement partie de l’affiliation à toute forme de groupe, or il n’y a rien de tel dans le shintô. Les portails torii érigés à l’entrée des sanctuaires ne ferment pas et ils ne sont donc pas destinés à barrer l’entrée à qui que ce soit, pas même aux gens d’un autre culte. La décision prise par les dirigeants de l’ancienne Nara d’importer le bouddhisme confirme l’idée qu’originellement le concept de « religion » n’existait pas au Japon. En règle générale, soit les nouvelles religions remplacent les systèmes de croyance plus anciens, soit elles sont rejetées et expulsées. La convergence syncrétique de l’ancien et du nouveau – le shintoïsme et le bouddhisme – serait difficile à imaginer dans une autre culture.

Le portique sud du sanctuaire Nobeno

——On entend souvent dire que, du fait même que le Japon est un petit pays insulaire, ses habitants n’avaient pas d’autre choix que de vivre en paix les uns avec les autres, et même avec les gens appartenant à des cultures différentes. Est-ce que ce penchant a ses racines dans le shintô ?

F.W.   En Europe, les frontières ont dans la plupart des cas une origine humaine. Si vous vouliez davantage de territoire, vous envahissiez un pays et vous empariez de ses terres. Au Japon, ce processus n’a pas pris la même ampleur, pour la bonne raison que le littoral constituait une frontière naturelle.

Le Japon subit certes un grand nombre de catastrophes naturelles, mais la terre est riche et les saisons teintent les paysages d’une riche palette de couleurs. Peut-être est-ce pour cela qu’aucun système monothéiste n’a pu s’y développer. Qui voudrait avoir foi en un dieu tout puissant quand un séisme est susceptible d’anéantir des communautés entières cinq minutes plus tard ? D’un autre côté, les bienfaits de la nature étaient perçus comme l’œuvre de forces divines auxquelles il convenait d’accorder du respect et de l’attention.

La situation est entièrement différente dans un environnement désertique tel que celui où sont nées les traditions abrahamiques. La survie dans le désert exigeait que les gens soient soudés dans leur foi en une divinité unique.

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