Un Japonais rend hommage aux victimes américaines de Hiroshima…

Société Culture

Julian Ryall [Profil]

La bombe atomique larguée sur Hiroshima le 6 août 1945 a tué non seulement une centaine de milliers de Japonais mais aussi 12 prisonniers de guerre américains incarcérés dans la ville. Mori Shigeaki, un historien amateur, a consacré plus de quarante années de sa vie à identifier ces hommes et à retrouver leurs familles. Ce faisant, il a attiré l’attention du cinéaste américain Barry Frechette et conduit celui-ci à réaliser un film intitulé Paper Lanterns (Les Lanternes de papier) relatant le parcours et le travail remarquable de ce Japonais hors norme.

Mori Shigeaki MORI Shigeaki

Né en 1937 à Hiroshima. Survivant de la bombe A. Passionné d’histoire depuis toujours. Auteur de Genbaku de shinda beihei hishi (Histoire secrète des soldats américains tués par la bombe A). Vit à Hiroshima en compagnie de son épouse Kayoko avec laquelle il a eu deux enfants.

Barry Frechette Barry FRECHETTE

Né en 1970 à Dracut, dans le Massachussetts. Diplômé du Stonehill College de Easton, Massachussetts (1992). A travaillé près de 25 ans dans le secteur de la production cinématographique à Boston. Actuellement directeur des services créatifs de l’agence de publicité Connelly Partners de Boston. A réalisé son premier film intitulé Paper Lanterns en 2016. Vit à Billerica, non loin de Boston, avec sa femme Carolyn et leurs deux enfants.

Un Japonais passionné par une énigme de la Seconde Guerre mondiale

Mori Shigeaki est l’un des survivants du bombardement nucléaire de Hiroshima. Pendant plus de 40 ans, il s’est efforcé – en dépit de l’inertie et des critiques larvées des autorités – de reconstituer l’histoire de douze soldats de l’armée américaine tués en même temps qu’une centaine de milliers de Japonais par la première bombe A utilisée en temps de guerre, le 6 août 1945.

Les recherches patientes de Mori Shigeaki sont en grande partie passées inaperçues jusqu’au jour où Barry Frechette, un réalisateur américain des environs de Boston, en a entendu parler par le plus grand des hasards. Il se trouve en effet que le grand-oncle de ce cinéaste et l’un des 12 prisonniers de guerre américains de Hiroshima étaient amis du temps où ils allaient à l’école.

Barry Frechette dit qu’il a tout de suite compris que la quête de Mori Shigeaki pour trouver la vérité ferait un superbe documentaire mais qu’il était loin de se douter à quel point ce projet changerait la vie de tous ceux qui s’y sont trouvés impliqués.

« Pendant 40 ans, M. Mori s’est passionné pour l’énigme posée par ces 12 Américains et il a cherché à la résoudre jusque dans ses moindres détails », explique le réalisateur. « Il voulait leur rendre hommage, perpétuer leur mémoire et dire à leurs familles ce qui s’est passé. Et c’est ce qu’il a réussi à faire. »

Mori Shigeaki chez lui, à Hiroshima. (© Kusano Seiichirô)

Des bombardiers américains abattus à la fin de la Seconde Guerre mondiale

Cette histoire extraordinaire a commencé à la fin du mois de juillet 1945, bien avant la naissance de Barry Frechette. Deux bombardiers B-24 Liberator de l’armée de l’air – appelés respectivement Lonesome Lady et Taloa – et deux bombardiers en piqué de la marine des USA ont été abattus au moment où ils attaquaient des cibles japonaises.

Les hommes ayant survécu au crash de leur avion ont été pour la plupart conduits à Hiroshima, l’agglomération importante la plus proche, et retenus prisonniers au siège de la police militaire de la région du Chûgoku. Le lieutenant Thomas Cartwright, qui pilotait le B-24 Lonesome Lady, a été séparé de ses camarades et envoyé à Tokyo pour y être interrogé.

Une photo de Thomas Cartwright, le pilote du bombardier B-24 Liberator Lonesome Lady abattu par les Japonais. (© Kusano Seiichirô)

Thomas Cartwright a eu ainsi la vie sauve. Le siège de la police militaire du Chûgoku se trouvait en effet à moins de 400 mètres de l’épicentre de l’explosion de « Little Boy » larguée sur Hiroshima, le 6 août 1945, à 8 heures 15 du matin.

Neuf des soldats américains emprisonnés à Hiroshima ont dû vraisemblablement périr sur le champ. Le sergent Hugh H. Atkinson, originaire de Seattle, dans l’État de Washington, a survécu par miracle à l’explosion, mais il est décédé peu après, en raison de l’irradiation aigue qu’il avait subie. Deux autres prisonniers, le sergent Ralph J. Neal et le soldat de troisième classe des services aériens de la marine, Normand R. Brissette, qui avaient été emmenés dans une autre partie de la ville pour y être interrogés, se trouvaient beaucoup plus loin quand la bombe a explosé au-dessus de Hiroshima, à environ 600 mètres de hauteur. Malheureusement, ils étaient encore trop proches de l’épicentre pour avoir une chance de survivre. Ils sont morts deux jours plus tard à cause de l’intensité des radiations, en dépit des soins prodigués par un médecin japonais.

Trois jours après, le 9 août, les États-Unis ont largué une seconde bombe A, cette fois sur Nagasaki. Et le Japon a capitulé 6 jours plus tard, le 15 août 1945.

Suite > Le chaos indescriptible consécutif à l’explosion de la bombe A

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Julian RyallArticles de l'auteur

Journaliste. Correspondant du quotidien britannique The Daily Telegraph pour la Corée et le Japon. Titulaire d’un diplôme de troisième cycle de journalisme de l’Université centrale du Lancashire (UCLan), obtenu en 1992. Premier voyage au Japon en 1992. Réside actuellement à Yokohama.

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