Théâtre de marionnettes japonais : l’un des derniers maîtres-sculpteurs de têtes

Culture

Amari Yôichirô est l’un des derniers maîtres-artisans spécialisés dans la fabrication des têtes (kashira) de marionnettes pour le théâtre japonais, qu’il s’agisse du Awa ningyô jôruri de l’île de Shikoku ou du bunraku d’Osaka. Au cours de l’entretien qu’il nous a accordé, il nous a parlé de son métier tout en nous présentant une partie de ses œuvres.

Amari Yôichirô AMARI Yōichirō

Né en 1945 dans la préfecture de Tokushima. Maître-artisan spécialisé dans les têtes de marionnettes. En 1974, il est devenu l’élève du maître-artisan Tamura Tsuneo. En 1984, il est devenu maître reconnu par l’Association pour la protection de la fabrication de marionnettes d’Awa. En 2006, il a été désigné comme artisan émérite de la province d’Awa. En 2007, il est devenu vice-président de l’Association des maîtres-artisans spécialisés dans les marionnettes d’Awa. Depuis 2009, il est responsable de l’Association pour la promotion du théâtre de marionnettes d’Awa.

Une tête qui change soudainement d’apparence

Le mécanisme intérieur d’une tête de marionnette. Au centre, on aperçoit le poil de fanon de baleine (kujira no hige) qui fait office de ressort et permet de le mettre en mouvement.

Les têtes de marionnettes du théâtre japonais sont dotées d’un système permettant de les animer. Ce mécanisme comporte notamment un poil de fanon de baleine qui sert de ressort. « Ce poil devrait en principe provenir d’une baleine franche du Pacifique nord (semi kujira), mais on n’en trouve plus à l’heure actuelle parce que cette espèce est protégée depuis 1935. L’inconvénient des poils de fanon, c’est qu’ils attirent les insectes parce que c’est une matière naturelle. Mais en l’absence de parasites, ils peuvent très bien faire office de ressort pendant 30 ou 40 ans. »

Amari Yôchirô prend une tête de marionnette qui doit incarner le personnage d’une femme appelée Kiyohime dans la pièce Anchin Kiyohime densetsu (Histoire d’Anchin et Kiyohime). Kiyohime tombe amoureuse du moine Anchin. Pour échapper à ses assiduités, celui-ci prend la fuite et traverse la rivière Hidakagawa en bateau. Kiyohime, folle de rage, se jette à l’eau pour rattraper le moine et se transforme en un énorme serpent. Elle change donc subitement d’apparence. Les femmes sont terrifiantes.

Pour illustrer son propos, Amari Yôichirô tire sur une ficelle. La tête de la marionnette se transforme en un instant, au point d’être effrayante. « Voilà comment elles deviennent ! » Et il ajoute « Pour que le changement fasse vraiment son effet, il faut qu’au début, la tête de la marionnette ait l’apparence d’une charmante jeune fille ».

La transformation stupéfiante de la tête de Kiyohime dans la pièce Anchin Kiyohime densetsu (Histoire d’Anchin et Kiyohime). À gauche : Kiyohime a l’apparence d’une paisible jeune fille. À droite : Kiyohime métamorphosée en démon.

L’influence sur les technologies d’avant-garde

Dans l’atelier d’Amari Yôichirô, il y a un certain nombre de marionnettes à l’allure nettement plus moderne que celles qu’on a coutume de voir sur les scènes de théâtre japonaises. L’une d’elles est une adaptation pour le bunraku de Kuidaore Tarô – un automate ayant l’apparence d’un clown à lunettes jouant du tambour – qui est l’un des emblèmes du fameux quartier Dôtonbori de la ville d’Osaka. « C’est une commande que j’ai réalisée pour le théâtre de bunraku d’Osaka », précise Amari Yôichirô.

« J’ai eu droit à une autre commande peu commune. Un jour, un groupe de chercheurs universitaires est venu me voir. Ces professeurs m’ont dit qu’ils voulaient que je fabrique une marionnette pour eux. Ils m’ont aussi expliqué qu’ils voulaient fixer sept capteurs à l’intérieur. Dans la tête, le cou, les mains et les vêtements. En regardant des pièces de bunraku, ils avaient constaté que les marionnettes étaient parfois plus expressives que les êtres humains et ils avaient donc décidé d’effectuer des mesures sur les mouvements du visage, des mains et du corps tout entier. Ils comptent utiliser les résultats de leurs travaux pour la fabrication des robots. Quand je vois une tradition vieille de quatre siècles influencer des techniques à la pointe de l’avant-garde, j’ai l’impression de rêver ! », conclut le maître-artisan.

Dans la vidéo ci-dessous, Amari Yôichirô présente plusieurs des têtes qu’il a fabriquées.

(D’après un article en japonais du 20 avril 2015. L’interview d’Amari Yôichirô a été réalisée dans son atelier de Tokushima. Photographies de Nakano Haruo. Remerciements : Association du tourisme de la préfecture de Tokushima, Théâtre de marionnettes Awa Jûrôbei Yashiki.)

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