
Pourquoi pas un Starbucks dans une bibliothèque publique ?
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Toucher la jeune génération
——Une autre caractéristique propre à la bibliothèque, c’est que les gens peuvent se servir de leurs cartes T-Point. Comment vous est venue cette idée ?
HIWATASHI La majorité des gens qui fréquentent la bibliothèque ont la soixantaine, alors que ce sont plutôt les adolescents qui utilisent la carte T-Point. Nous nous sommes dit que l’autorisation des cartes pourrait offrir une bonne façon de toucher une tranche d’âge que nous n’avions pas réussi à intéresser jusque-là. Mais nous voulions aussi faire avancer les choses. Les jeunes ont l’habitude de se servir de la carte et cela économise du temps pour les employés.
——Comment la mairie a-t-elle réagi à l’existence de la nouvelle bibliothèque ?
HIWATASHI C’est le chef du bureau de l’enseignement qui a la responsabilité des services de la bibliothèque à la mairie. Au début, tout cela le laissait un peu perplexe, mais après une rencontre avec l’équipe du CCC et plusieurs visites à la librairie de Daikanyama, il s’est rendu compte que les gens de Tsutaya avaient le profil qu’il fallait pour ce travail. Pour que l’esprit des gens puisse changer, je pense qu’ils doivent voir les choses de leurs propres yeux.
On ne doit jamais oublier que notre travail consiste à donner satisfaction aux gens qui ont besoin de notre aide maintenant. À cet égard, nous sommes à la même enseigne que les médecins. Quand j’étais étudiant, j’ai travaillé comme précepteur du petit-fils de Takeshita Noboru, l’ancien premier ministre. Un jour, il m’a donné des conseils personnels. Il m’a dit qu’il était important de faire les choses au moment opportun et que, plutôt que de me préoccuper de mon propre sort, je devais me consacrer entièrement au bien des autres. C’est quelque chose que je n’ai jamais oublié. Je m’efforce de faire en priorité de la place aux gens qui offrent leur assistance. Une fois le chemin tracé, les autres suivent naturellement.
Les grandes lignes du projet
——L’idée qu’il importait de « créer une histoire » vient-elle de l’expérience que vous avez acquise en travaillant pour l’État ?
HIWATASHI Exactement. Je m’efforce toujours de faire les choses à ma façon. Les fonctionnaires ont tendance à accorder une importance excessive à ce que pensent les autres. Et ceci a souvent des répercussions sur les idées qu’ils émettent. Leurs initiatives ont souvent quelque chose de médiocre ou de terne. Elles n’ont rien qui puisse séduire l’imagination de qui que ce soit. Il me semble que j’ai tendance à me concentrer sur l’aspect visuel des choses. C’est à partir d’une image visuelle très claire que j’ai tracé les grandes lignes de ce qu’on pourrait appeler les trois premiers chapitres de notre histoire. Après quoi les administrateurs ont peaufiné les détails. Je m’attache à clarifier ce à quoi nous sommes censés arriver au final. Les administrateurs sont doués pour calculer les choses à rebours, à partir du point d’arrivée, mais le rôle des politiciens consiste à tracer les grandes lignes du projet.
Cela veut dire que la mise au point d’un projet concret de bibliothèque n’est pas quelque chose que j’ai fait tout seul. C’est le fruit d’un travail de groupe auquel a participé toute l’équipe de la mairie. C’est seulement par leur travail que les gens peuvent affiner leurs compétences. Normalement, les fonctionnaires régionaux ne sont pas sous les feux de la rampe, et quand leurs mérites sont un tant soit peu reconnus, ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Au bout du compte, le CCC m’a dit : « Vous n’êtes pas obligé de consacrer tout votre temps à la bibliothèque, mais nous aimerions vraiment que les trois employés de la mairie responsables du projet continuent de s’en occuper. » En fait, j’ai été très heureux d’entendre cela, et les trois employés en question ont été transportés de joie. L’impact que de nouvelles têtes peuvent avoir sur leurs collègues de travail est énorme. C’est un apport d’énergie dont les collectivités locales n’avaient pas encore bénéficié.
Transformer les services publics
——Quel est votre prochain objectif ?
HIWATASHI La prochaine étape, c’est le bâtiment de la mairie. Nous envisageons, par exemple, d’enlever le guichet à l’entrée et de le remplacer par un espace attrayant, peut-être une boutique de fleuriste ou quelque chose du même genre. Nous voulons établir un lien avec le concept sur lequel repose la bibliothèque, de façon à ce que les gens passent à la mairie même s’ils n’ont rien de particulier à y faire. À propos de Takeo, certains ont parlé d’une « révolution de la bibliothèque », mais je pense que dans les dix ou vingt prochaines années, on l’appellera une « révolution de l’utilisation des espaces publics ». La seconde étape de ce mouvement va concerner les bâtiments publics. Pour ce qui est de notre mairie, j’aimerais que nous concevions un plan en forme de cuvette. Le design moderne, avec ses chaises et ses tables en fibre acrylique et ses cloisons en verre, pourrait renforcer la motivation des fonctionnaires et offrir aux gens une vision claire du travail qui se fait à l’intérieur. Le rôle que peut jouer un espace particulier est très important. Jusqu’ici, les instances régionales n’ont pratiquement pas pris en considération cette question — ou, si elles l’ont fait, elles n’ont pas su trouver les bonnes réponses.
——Y a-t-il d’autres tâches auxquelles vous souhaitez vous atteler ?
HIWATASHI L’éducation en tout premier lieu. À partir du mois d’avril, nous allons distribuer des ordinateurs tablettes aux enfants des écoles et collèges. Je veux que les cours s’améliorent pour les enfants. Lorsque j’étais jeune, il m’arrivait souvent de rester à la maison plutôt que d’aller à l’école. Et mes parents ont dû me retirer du jardin d’enfants pour la simple raison que je ne supportais pas les activités de groupe. Même à l’université, je vivais tellement reclus que j’ai failli attraper des escarres [rires]. C’est peut-être en réaction à cette époque que j’occupe aujourd’hui une position sociale comme celle de maire.
Pour être honnête, je dois dire que le gouvernement central ne m’intéresse pas du tout. Le fondement de tout, c’est les autorités locales. Je crois que si nous concevons des projets audacieux qui étonnent vraiment les gens, les initiatives peuvent se répandre et prendre une telle ampleur que l’ensemble du Japon s’en trouvera changé. Il n’y a rien en vérité qu’on ne puisse accomplir dans le cadre des collectivités locales. En fait, 99 % des choses sont possibles. La preuve en est que, dans le cas de notre bibliothèque, nous n’avons pas eu à faire appel aux ministères du gouvernement central. L’autorité des collectivités locales a fait un grand bon en avant — à tel point que je devrais plutôt dire 100 % que 99 %.
——Qu’y a-t-il encore d’inadéquate ?
HIWATASHI Eh bien, il ne suffit pas de disposer des bons outils. Agir comme un bulldozer pour arriver à ses fins ne sert qu’à créer le chaos et ne mènera nulle part les autorités locales. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est plutôt d’une méthode proche du maniement de la lance. C’est l’attitude que nous essayons d’adopter.
(Extrait d’une interview effectuée en japonais le 11 juillet 2013 dans la bibliothèque municipale de Takeo. Photographies de Nishida Kayo.)