Ce que seuls les romanciers peuvent faire maintenant
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— A Paris, comme la raison pour laquelle le Japon a été invité, la catastrophe du 11 mars 2011 va probablement être un des grands thèmes du Salon, n’est-ce pas ?
HIRANO KEIICHIRO Même s’il n’y avait pas eu de séisme, je pense qu’il est extrêmement significatif que des écrivains de pays comme la France ou le Japon, qui ont une longue tradition littéraire, aient ainsi l’occasion de se rencontrer. Nous sommes entrés dans les années zéro, Internet s’est propagé d’une façon prodigieuse, des actes de terrorisme se sont produits un peu partout et le monde est entré dans une période de violents bouleversements. Dans ce contexte, que peuvent écrire les écrivains, comment vont-ils décrire ce nouveau monde, ils ont beaucoup de choses à se raconter mutuellement. Mais cette fois-ci, ce qu’il y a plus important, c’est que le Japon a souffert d’une catastrophe dont les pays industrialisés n’ont pratiquement jamais fait l’expérience, sous une forme différente de celle du terrorisme. Je pense qu’il est très significatif que les écrivains qui ont vécu cette expérience, et un tel nombre cette fois-ci, puissent parler du Japon à partir de points de vue variés. Chacun des écrivains participant doit avoir une opinion ou une conscience différente des problèmes. Je pense que ce sera positif si, par l’intermédiaire de ces différences d’opinions, les lecteurs ou les écrivains français en viennent à ressentir quelque chose.
— Je pense que le message que les écrivains japonais veulent transmettre aujourd’hui en France sera particulièrement remarqué. Vous, M. Hirano, que désirez-vous faire savoir ?
HIRANO Je n’ai pas spécialement préparé de message. Je pense qu’en France aussi, par l’intermédiaire des médias dont Internet, beaucoup de gens disposent d’un grand nombre d’informations sur le tremblement de terre et sur l’accident nucléaire. Cette fois-ci, c’est une occasion pour les écrivains japonais de s’adresser au public français, mais cela doit devenir aussi pour nous un lieu nous permettant de savoir comment le Japon a été perçu de l’extérieur. En étant directement en contact avec les lecteurs et les écrivains, il y a une certaine attente pour que nous ressentions mutuellement quelque chose qui ne peut pas se transmettre par les médias. Et c’est là-dedans que l’on pourra découvrir les choses dont il faut parler. Je pense qu’il y aura beaucoup de découvertes à faire à l’intérieur de ces dialogues.
Une réflexion obligée par le séisme : le temps
— En France, les gens sont très intéressés par l’accident nucléaire et on peut penser que les questions vont se concentrer là-dessus.
HIRANO Pour ma part, je suis contre le nucléaire. Je pense qu’on devrait le supprimer. Avec ce qui s’est passé, il n’y a absolument plus aucun moyen de convaincre en parlant de la sécurité du nucléaire. Avec ce séisme, toute une série de problèmes, sur la politique, l’environnement ou l’énergie, ont brusquement jailli. Mais la littérature est différente du journalisme. Pour écrire un roman, il faut commencer par ressentir quelque chose de façon viscérale. On commence en décrivant la vie d’un être et je pense que, quelque part, on arrive à une expression qui est en relation avec l’être humain en général. C’est pour ça que moi, je parle simplement en tant que romancier, et que je reçois les sentiments des gens en tant que romancier. Et après ce séjour en France, par le biais des résultats de mes entretiens, je voudrais faire le lien en écrivant un roman en définitive.
— Depuis septembre de l’an dernier, vous avez commencé à publier un roman fleuve dans l’hebdomadaire de mangas “Morning”. Est-ce que le séisme a une influence sur votre oeuvre ?
HIRANO Bien sûr, il y a eu une influence, mais j’avais déjà l’idée en tête avant le tremblement de terre et il ne s’agit pas d’une œuvre qui traite directement du séisme. Parler de l’accident nucléaire, de la reconstruction et de l’aide aux sinistrés, c’est certainement très important. Mais en dehors de ça, il y a des choses que l’on ne peut bien exprimer que par l’intermédiaire d’un roman. C’est ma façon de voir en tant que romancier. Par exemple, il y a le problème du temps. Nous avons fait l’expérience d’une catastrophe naturelle qui se produit une fois tous les mille ans, et nous devons faire face au problème des déchets radioactifs qui s’étend sur des centaines de milliers d’années. Comment pouvons-nous faire coexister cette notion vertigineuse de temps avec une sensation de temps ordinaire ? Ou encore, la ville qui était là hier a complètement disparu aujourd’hui, la personne qui était à côté de nous et nous parlait hier n’est plus là tout-à-coup. Ce genre de choses je voudrais les exprimer patiemment par le biais du roman.
— En France, les livres traduits à partir du japonais viennent en deuxième position après l’anglais, et les mangas en constituent la majeure partie. Par rapport au succès des bandes dessinées, il est difficile de nier le fait que les romans semblent manquer un peu de dynamisme. Qu’en pensez-vous, en tant qu’auteur publiant un roman dans une revue de mangas ?
HIRANO Les magazines de mangas au Japon sont publiés par de grandes maisons d’édition et il y a même, parmi leurs services Mangas, des rédacteurs qui disent qu’ils auraient aimé s’occuper de littérature en réalité (rire). Dans le comité de rédaction de Morning, il y a des gens qui aiment mes romans et j’avais reçu des offres de publication auparavant. Pour moi aussi, “Morning” a un tirage beaucoup plus important qu’une revue littéraire(*1)) et j’ai accepté cette proposition parce qu’elle me permettait d’élargir le créneau des lecteurs. Sur le roman et la bande dessinée, comme ce sont deux genres différents, je pense qu’il n’y a pas tellement de rapport sur la situation entourant l’une et l’autre sphères. Il est certain qu’il y a beaucoup d’étudiants qui ont choisi d’apprendre le japonais à l’université à Paris à l’occasion d’animés, de mangas ou d’un film. Mais j’aimerais que ce Salon du livre à Paris soit l’occasion de faire connaître l’intérêt de la littérature japonaise.
— Récemment au Japon, l’intérêt pour la littérature française semble avoir baissé par rapport à ce qu’il était autrefois. Que pensez-vous de cette situation ?
HIRANO Moi, j’aime la littérature française depuis mon enfance et, en dehors du Japon, c’est de la France que j’ai reçu la plus grande influence. A regarder dans l’ensemble, c’est vrai qu’après le nouveau roman des années 70, la littérature française n’était plus beaucoup lue au Japon. Mais à la fin des années 80, il y a eu le boom de la pensée contemporaine et, à partir des années zéro, il semble que son influence commence petit à petit à revenir récemment. Michel Houellebecq, en particulier, a eu une grande influence sur les écrivains ou les critiques de la jeune génération au Japon. Je pense que les œuvres françaises vont recommencer à être lues à partir de maintenant. La littérature japonaise aussi est moins lue en France qu’autrefois (rire) mais des œuvres de nouveaux écrivains commencent à être traduites et il y a des espoirs dans ce sens là.
Avec la coopération de l’Ambassade de France au Japon
Propos recueilli par Harano Jôji (Directeur représentatif de la Fondation Japan Echo)
Photo : Kawamoto Seiya
Salon du livre de Paris 2012
Un des plus prestigieux salons du livre du monde qui se tient tous les ans au printemps depuis 1981 au Grand Palais et à la Porte de Versailles. Avec environ 1200 stands de maisons d’éditions, c’est non seulement la plus grande foire du livre pour le secteur de l’édition en Europe, mais également une “méga-librairie” de plus de 50 000 m2 ouverte aux lecteurs. Avec de nombreuses manifestations au programme, dont des séances de dédicaces, des entretiens et des débats, c’est également un lieu d’échanges entre lecteurs et écrivains. En 2011, ce salon qui se tient pendant 4 jours (3 jours pour le grand public) a accueilli 180 000 visiteurs.
Le Salon adopte chaque année pour thème principal un pays et une langue spécifique et c’est le Japon qui a été sélectionné cette année, pour marquer le premier anniversaire après le séisme, la deuxième invitation après 15 ans. 20 auteurs dans des genres très variés, avec des romanciers comme Hirano Keiichiro, Oe Kenzaburo, Prix Nobel de littérature, Shimada Masahiko et Ekuni Kaori, le poète Yoshimasu Gozo et la mangaka Hagio Moto, y sont invités. Un programme très intéressant est prévu en continu avec entre autres des entretiens entre ces auteurs et des écrivains français. Dans « le Pavillon du Japon », près de 20 000 livres du Japon et en relation avec l’archipel seront présentés et mis en vente, et une exposition de photos sur le grand tremblement de terre de l’Est du Japon sera également présentée.
Pour la liste des auteurs invités
Pour le programme des manifestations en relation avec le Japon
(*1) ^ La revue hebdomadaire “Morning” tire à 310 000 exemplaires par numéro alors que la revue littéraire mensuelle “Gunzo”, publiée par la même maison d’édition Kôdansha, tire à 7000 exemplaires par numéro (d’octobre à décembre 2011, enquête par l’Association Japonaise des magazines