
Kondô Fumio, grand chef cuisinier, spécialiste de la tempura
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Convaincre la clientèle, pas des critiques culinaires
— J’en conclus que vous ne vous souciez pas trop des critiques.
Légumes prêts pour la dégustation. Kondô Fumio se rend chez chacun de ses fournisseurs pour goûter personnellement leurs légumes.
KONDÔ Je m’efforce de faire quelque chose que les autres chefs ne puissent pas égaler. Une fois que vous connaissez le résultat auquel vous voulez parvenir, il est plus facile de persévérer jusqu’à ce que vous y arriviez. Tout ce qui m’intéresse, c’est d’explorer les possibilités de la tempura et d’offrir à mes clients toute la gamme des saveurs que ce style de cuisine peut déployer.
Le secret de la cuisine, c’est de convaincre la clientèle, pas d’obtenir l’approbation des critiques culinaires. C’est sympathique d’avoir deux étoiles au Michelin, mais je ne vais pas changer ma façon de faire rien que pour en avoir une de plus. Ce qui m’importe, c’est d’offrir à mes clients la meilleure tempura qu’on puise faire.
En plus, je suis plutôt exigeant avec les producteurs qui nous fournissent nos légumes. Il me faut ce qu’il y a de mieux. En ce qui concerne les potirons, je demande aux cultivateurs de réduire au maximum le nombre de fruits qui poussent sur chaque tige. Si une tige en porte habituellement cinq, je leur demande de descendre à trois. Moins il y a de fruits par tige, plus chacun d’entre eux reçoit de substances nutritives, avec l’effet spectaculaire qui en résulte en termes de saveur.
Un client très spécial
La délicieuse tempura de Kondô Fumio doit une partie de sa célébrité au regretté Ikenami Shôtarô, auteur de romans historiques doublé d’un fin gastronome. Son fameux essai à l’éloge de la cuisine de Kondô Fumio continue, aujourd’hui encore, de faire venir des fans au « Tempura Kondô ». Le soutien de cet écrivain populaire a contribué au succès du restaurant. Plus qu’un simple client, Ikenami Shôtarô est devenu un « guide » pour Kondô Fumio, qui l’appelle toujours « Ikenami Sensei », pour marquer le respect qu’il lui voue.
— Vous servez toutes sortes de tempura novatrices qu’on ne trouve pas dans les autres restaurants. Quelle est la source de votre créativité ?
KONDÔ Fondamentalement, je pense que ma tempura est le reflet de ce que je suis en tant que personne. J’ai trouvé du travail comme cuisinier dans un hôtel juste à ma sortie du lycée. Au bout de six mois, on m’a donné la responsabilité des plats de tempura. Comme il n’y avait personne au dessus de moi dans le personnel pour me mettre au courant, j’ai acheté quelques livres et fait mes propres expériences. C’est ainsi que j’ai acquis mon savoir-faire de chef dans la tempura. Une fois arrivé à un certain niveau, je me suis lancé dans toutes sortes d’expériences avec de nouvelles idées. Le fait de n’avoir personne pour me dire ce que je devais faire m’a aidé à devenir le chef que je suis aujourd’hui. Mais le vrai moteur de mon évolution, ce sont mes clients — des clients comme Ikenami Sensei. C’est le désir de toujours satisfaire mes clients qui m’a permis d’aller si loin.
— Qu’avez-vous appris d’Ikenami Shôtarô quand il était l’un de vos clients réguliers ?
KONDÔ Pas mal de choses. Mais je me souviens tout particulièrement de la fois où il m’a dit : « le jour où tu as la grosse tête, c’est fini. » Il m’a expliqué que, si je laissais les louanges me monter au cerveau, je ne pourrais plus faire de progrès. « Reste humble » était le conseil de base qu’il me donnait. Il est toujours gravé dans mon cœur et, pour bien m’assurer que je ne l’oublie pas, sur l’uniforme que je revêts tous les jours. En effet, le logo du restaurant brodé dessus est de la main d’Ikenami Sensei.
Je m’efforce de ne jamais oublier ce qu’il m’a dit et je veux faire en sorte que ma tempura soit toujours à la hauteur de ses exigences. Je lui dois de maintenir chez mes clients la confiance qu’il m’a aidé à leur insuffler.
Le restaurant comme lieu de rassemblement
— Bien qu’Ikenami Shôtarô soit mort depuis plus de vingt ans, vous continuez à livrer tous les ans des osechi ryôri [plats traditionnels du Nouvel An] chez lui. Cela semble témoigner de l’importance que ses conseils ont eu pour vous.
KONDÔ Quand Ikenami Sensei était encore en vie, je bénéficiais sans arrêt de sa gentillesse. Il a fallu qu’il soit mort pour que je puisse lui rendre la pareille. Dans le cas d’une dette d’argent, tout s’arrête quand vous l’avez remboursée, mais il n’en va pas de même avec la gentillesse. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut rendre de façon aussi prosaïque. C’est pourquoi j’en suis encore à montrer ma gratitude. Et je vais continuer de le faire jusqu’à la fin de mes jours.
— A-t-il conservé une grande influence sur vous même après sa mort ?
KONDÔ J’ai ouvert le restaurant un an après sa mort. En fait, il avait prédit que j’allais me mettre à mon compte. Ikenami Sensei était très versé dans le ki-gaku pour prédire l’avenir et je me souviens qu’il m’a dit : « C’est cette année que tu vas franchir le pas. » Cela ne m’a pas fait beaucoup d’effet à l’époque, mais sa prédiction s’est avérée juste. [rires]
Ikenami Sensei m’a rendu d’innombrables services au fil des ans. Même s’il n’était plus là quand je me suis mis à mon compte, je ne voudrais pas qu’il soit déçu s’il lui prenait l’envie de franchir à nouveau la porte du restaurant, et je veille à bien garder le cap. C’est une des raisons qui m’ont fait opter pour Ginza. Je me suis dit que c’était vraiment l’endroit qui convenait s’il devait réapparaître.
Le mot kizuna [liens] exprime l’attachement des Japonais au côté quasiment spirituel des relations personnelles. J’avais ce genre de rapport kizuna avec Ikenami Sensei, et aujourd’hui mon restaurant sert à forger des liens entre ma clientèle et les cultivateurs qui font pousser les légumes que nous utilisons. Dans mon travail quotidien, j’espère que ces relations personnelles apporteront un sourire sur le visage de tous les gens concernés.
— Comment résumeriez-vous ce que la tempura signifie pour vous ?
KONDÔ La tempura, pour moi, c’est le pinacle de la cuisine. Au restaurant où je travaillais auparavant, la tempura n’était qu’un plat japonais parmi tous ceux que nous servions. C’est alors que je me suis rendu compte de la spécificité de la tempura en tant que procédé de cuisson. Elle fait vraiment ressortir les saveurs des ingrédients, deux ou trois fois mieux que la cuisson à l’eau ou sur le grill. Je ne prendrais pas la peine de frire les ingrédients si je n’avais pas la certitude que le résultat final aura meilleur goût que si je les préparais d’une autre façon. C’est cette certitude qui me motive aujourd’hui encore pour cuisiner la tempura.
Tempura Kondô, Sakaguchi Bldg, 9ème étage, Ginza 5-5-13, Chûô-ku, Tokyo. Tél. : 03-5568-0923 (réservation requise)
Site internet du restaurant tempura Kondô (en anglais) : https://tempura-kondo.com/en/
(Texte et reportage de Yanagisawa Miho. Photographies de Uzawa Akihiko)