Kondô Fumio, grand chef cuisinier, spécialiste de la tempura
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Au même titre que les sushis, la tempura était à l’origine un plat sans apprêts que les gens ordinaires consommaient dans les stands de restauration en plein air. Génération après génération, des chefs amoureux de leur métier ont modelé les recettes et affiné les techniques, tant et si bien que la tempura est devenue l’un des plus grands genres de la cuisine mondiale.
Quiconque veut goûter ce qui se fait de mieux en matière de tempura se doit de faire un détour par le « Tempura Kondô », un restaurant de Ginza, quartier chic de Tokyo, où la propension insatiable de Kondô Fumio, le chef-propriétaire de ce lieu, à expérimenter en permanence, a propulsé la tempura vers de nouveaux sommets. L’hôtel restaurant où il officiait auparavant comme cuisinier en chef a acquis grâce à lui la réputation d’être le lieu incontournable pour les amateurs de tempura de première qualité. Depuis qu’il s’est établi à son compte, les gourmets continuent de s’extasier sur le talent de Kondô Fumio, à tel point que le nom de son établissement est pratiquement devenu synonyme de tempura.
La tempura est un festival pour tous les sens. Au vif grésillement qui se produit quand Kondô Fumio dépose devant vos yeux un morceau de tempura enduit de pâte à frire dans l’huile chaude, succède l’explosion des senteurs qui émanent de la tempura brûlante que vous soulevez de l’assiette où elle est délicatement disposée devant vous. Nous avons évoqué avec Kondô la passion qui l’a poussé à consacrer sa vie à perfectionner l’art de la tempura.
Priorité à la légéreté
— Qu’est-ce qui distingue votre tempura des autres ?
KONDÔ FUMIO Elle est très légère et pas du tout huileuse. C’est l’une des raisons de la popularité de ma tempura auprès de mes clients d’un certain âge, qui redoutent la cuisine grasse. Outre cela, il y a dans ma clientèle beaucoup de femmes qui font attention à limiter leur consommation d’huile. J’ai eu récemment la visite d’une équipe d’une chaîne de télévision. Dans le cadre de leur émission, ils ont mesuré le contenu en calories de mes plats et il s’est avéré qu’il y en a moitié moins dans ma tempura que dans celle qu’on cuisine à la maison. Le secret, c’est de veiller à ce que la pâte à base de farine n’absorbe pas trop d’huile. Voilà le genre de savoir-faire qui fait de vous un pro !
Les gens ont tendance à classer la tempura parmi les fritures, mais je la vois aussi comme un plat cuit à la vapeur. Lorsque vous sortez un morceau de tempura de l’huile chaude, la chaleur résiduelle fait que la cuisson à la vapeur se poursuit à l’intérieur de la pâte frite, ce qui contribue à faire ressortir sa saveur particulière. La cuisson se fait en deux étapes. C’est quelque chose que l’on ne doit pas oublier lorsqu’on procède à la friture, sinon la saveur perdra beaucoup de son impact.
— Cet équilibre délicat ressort vraiment des plats que vous préparez. La tempura aux fruits de mer que j’ai goûtée était croustillante à l’extérieur mais tendre au dedans. Et les plats de tempura aux légumes exprimaient si bien la saveur que je me suis étonné que des légumes ordinaires comme on en mange tous les jours puissent avoir aussi bon goût.
KONDÔ Nous servons beaucoup de tempuras aux légumes. L’emploi des légumes dans la tempura suscitait pas mal de doute au Japon. Il pouvait y avoir un morceau de tempura à la patate douce ou au champignon en accompagnement, mais ça n’allait guère plus loin. La tempura a évolué à l’époque d’Edo [1603-1868], et le fin du fin à cette époque était la friture de poisson frais pêché dans les eaux qui bordaient la ville d’Edo [Tokyo]. On n’utilisait pas beaucoup de légumes. Cela m’a toujours semblé un tantinet étrange — nous avons tant de légumes délicieux au Japon. Et j’ai toujours voulu en intégrer de plus en plus dans mes plats de tempura.
Ma façon d’aborder la patate douce a changé au fil des ans. J’avais l’habitude de l’émincer avant de la frire, mais je n’ai jamais été vraiment satisfait de la saveur que j’obtenais. Je savais à quel point les patates douces peuvent avoir bon goût lorsqu’on les fait rôtir et j’étais déterminé à trouver une façon de préparer une tempura à la patate douce qui soit tout aussi bonne. La tempura que je sers aujourd’hui est le fruit de cette quête.
Je coupe une patate douce en gros morceaux, d’au moins dix centimètres, que je fais lentement revenir pendant une trentaine de minutes. La pâte à frire emprisonne l’humidité et la douceur, ce qui évite à la tempura de devenir sèche et de s’émietter. Certains critiques culinaires ont pris cette nouvelle variante de la tempura de patate douce avec des pincettes. Ils l’ont trouvée contraire à l’orthodoxie ! Mais mes clients l’apprécient. La recette pour vous faire une clientèle, c’est de faire ressortir la vraie saveur de vos ingrédients.
En règle générale, les clients ne s’intéressent pas aux idées toutes faites sur la façon dont un plat doit être préparé. La seule chose qui compte pour eux, c’est le goût — est-ce bon ou non ? Dans ce sens, la cuisine est une affaire assez simple.
Convaincre la clientèle, pas des critiques culinaires
— J’en conclus que vous ne vous souciez pas trop des critiques.
KONDÔ Je m’efforce de faire quelque chose que les autres chefs ne puissent pas égaler. Une fois que vous connaissez le résultat auquel vous voulez parvenir, il est plus facile de persévérer jusqu’à ce que vous y arriviez. Tout ce qui m’intéresse, c’est d’explorer les possibilités de la tempura et d’offrir à mes clients toute la gamme des saveurs que ce style de cuisine peut déployer.
Le secret de la cuisine, c’est de convaincre la clientèle, pas d’obtenir l’approbation des critiques culinaires. C’est sympathique d’avoir deux étoiles au Michelin, mais je ne vais pas changer ma façon de faire rien que pour en avoir une de plus. Ce qui m’importe, c’est d’offrir à mes clients la meilleure tempura qu’on puise faire.
En plus, je suis plutôt exigeant avec les producteurs qui nous fournissent nos légumes. Il me faut ce qu’il y a de mieux. En ce qui concerne les potirons, je demande aux cultivateurs de réduire au maximum le nombre de fruits qui poussent sur chaque tige. Si une tige en porte habituellement cinq, je leur demande de descendre à trois. Moins il y a de fruits par tige, plus chacun d’entre eux reçoit de substances nutritives, avec l’effet spectaculaire qui en résulte en termes de saveur.
Un client très spécial
La délicieuse tempura de Kondô Fumio doit une partie de sa célébrité au regretté Ikenami Shôtarô, auteur de romans historiques doublé d’un fin gastronome. Son fameux essai à l’éloge de la cuisine de Kondô Fumio continue, aujourd’hui encore, de faire venir des fans au « Tempura Kondô ». Le soutien de cet écrivain populaire a contribué au succès du restaurant. Plus qu’un simple client, Ikenami Shôtarô est devenu un « guide » pour Kondô Fumio, qui l’appelle toujours « Ikenami Sensei », pour marquer le respect qu’il lui voue.
— Vous servez toutes sortes de tempura novatrices qu’on ne trouve pas dans les autres restaurants. Quelle est la source de votre créativité ?
KONDÔ Fondamentalement, je pense que ma tempura est le reflet de ce que je suis en tant que personne. J’ai trouvé du travail comme cuisinier dans un hôtel juste à ma sortie du lycée. Au bout de six mois, on m’a donné la responsabilité des plats de tempura. Comme il n’y avait personne au dessus de moi dans le personnel pour me mettre au courant, j’ai acheté quelques livres et fait mes propres expériences. C’est ainsi que j’ai acquis mon savoir-faire de chef dans la tempura. Une fois arrivé à un certain niveau, je me suis lancé dans toutes sortes d’expériences avec de nouvelles idées. Le fait de n’avoir personne pour me dire ce que je devais faire m’a aidé à devenir le chef que je suis aujourd’hui. Mais le vrai moteur de mon évolution, ce sont mes clients — des clients comme Ikenami Sensei. C’est le désir de toujours satisfaire mes clients qui m’a permis d’aller si loin.
— Qu’avez-vous appris d’Ikenami Shôtarô quand il était l’un de vos clients réguliers ?
KONDÔ Pas mal de choses. Mais je me souviens tout particulièrement de la fois où il m’a dit : « le jour où tu as la grosse tête, c’est fini. » Il m’a expliqué que, si je laissais les louanges me monter au cerveau, je ne pourrais plus faire de progrès. « Reste humble » était le conseil de base qu’il me donnait. Il est toujours gravé dans mon cœur et, pour bien m’assurer que je ne l’oublie pas, sur l’uniforme que je revêts tous les jours. En effet, le logo du restaurant brodé dessus est de la main d’Ikenami Sensei.
Je m’efforce de ne jamais oublier ce qu’il m’a dit et je veux faire en sorte que ma tempura soit toujours à la hauteur de ses exigences. Je lui dois de maintenir chez mes clients la confiance qu’il m’a aidé à leur insuffler.
Le restaurant comme lieu de rassemblement
— Bien qu’Ikenami Shôtarô soit mort depuis plus de vingt ans, vous continuez à livrer tous les ans des osechi ryôri [plats traditionnels du Nouvel An] chez lui. Cela semble témoigner de l’importance que ses conseils ont eu pour vous.
KONDÔ Quand Ikenami Sensei était encore en vie, je bénéficiais sans arrêt de sa gentillesse. Il a fallu qu’il soit mort pour que je puisse lui rendre la pareille. Dans le cas d’une dette d’argent, tout s’arrête quand vous l’avez remboursée, mais il n’en va pas de même avec la gentillesse. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut rendre de façon aussi prosaïque. C’est pourquoi j’en suis encore à montrer ma gratitude. Et je vais continuer de le faire jusqu’à la fin de mes jours.
— A-t-il conservé une grande influence sur vous même après sa mort ?
KONDÔ J’ai ouvert le restaurant un an après sa mort. En fait, il avait prédit que j’allais me mettre à mon compte. Ikenami Sensei était très versé dans le ki-gaku pour prédire l’avenir et je me souviens qu’il m’a dit : « C’est cette année que tu vas franchir le pas. » Cela ne m’a pas fait beaucoup d’effet à l’époque, mais sa prédiction s’est avérée juste. [rires]
Ikenami Sensei m’a rendu d’innombrables services au fil des ans. Même s’il n’était plus là quand je me suis mis à mon compte, je ne voudrais pas qu’il soit déçu s’il lui prenait l’envie de franchir à nouveau la porte du restaurant, et je veille à bien garder le cap. C’est une des raisons qui m’ont fait opter pour Ginza. Je me suis dit que c’était vraiment l’endroit qui convenait s’il devait réapparaître.
Le mot kizuna [liens] exprime l’attachement des Japonais au côté quasiment spirituel des relations personnelles. J’avais ce genre de rapport kizuna avec Ikenami Sensei, et aujourd’hui mon restaurant sert à forger des liens entre ma clientèle et les cultivateurs qui font pousser les légumes que nous utilisons. Dans mon travail quotidien, j’espère que ces relations personnelles apporteront un sourire sur le visage de tous les gens concernés.
— Comment résumeriez-vous ce que la tempura signifie pour vous ?
KONDÔ La tempura, pour moi, c’est le pinacle de la cuisine. Au restaurant où je travaillais auparavant, la tempura n’était qu’un plat japonais parmi tous ceux que nous servions. C’est alors que je me suis rendu compte de la spécificité de la tempura en tant que procédé de cuisson. Elle fait vraiment ressortir les saveurs des ingrédients, deux ou trois fois mieux que la cuisson à l’eau ou sur le grill. Je ne prendrais pas la peine de frire les ingrédients si je n’avais pas la certitude que le résultat final aura meilleur goût que si je les préparais d’une autre façon. C’est cette certitude qui me motive aujourd’hui encore pour cuisiner la tempura.
Site internet du restaurant tempura Kondô (en anglais) : https://tempura-kondo.com/en/
(Texte et reportage de Yanagisawa Miho. Photographies de Uzawa Akihiko)