Quelle gestion de crise pour la sauvegarde du secteur de l’automobile japonais ?

Économie

La catastrophe du 11 mars a porté un coup terrible à de nombreuses entreprises japonaises. La reprise rapide des activités de Nissan a été applaudie au Japon comme à l’étranger. Nous avons interrogé le directeur général du constructeur, Shiga Toshiyuki, sur la gestion des risques, vitale pour une entreprise, et sur la stratégie de croissance afin de surmonter les difficultés actuelles.

Shiga Toshiyuki SHIGA Toshiyuki

Membre du conseil d’administration et directeur général de Nissan Motors Company. Né en 1953 dans la préfecture de Wakayama. Diplômé de la faculté d’économie de l’Université de la préfecture d’Osaka, il rejoint Nissan en 1976. Directeur du bureau de Jakarta au sein du département Asie-Océanie puis directeur du bureau de planification et du bureau de promotion de l’alliance, il devient administrateur exécutif délégué en 2000. Directeur général depuis 2005. Egalement président de l’Association japonaise des constructeurs automobiles (JAMA) depuis 2010.

Surmonter les difficultés de gestion

— Quelles difficultés avez-vous rencontrées avant que s’enracine cette culture d’entreprise utile en cas de crise ?

SHIGA  Je pense que les difficultés de Nissan dans les années 1990 ont joué un rôle important. Depuis l’alliance avec Renault en 1999, les performances se sont améliorées, mais avec la crise financière de 2008, la situation est de nouveau fragile. De ce fait, les employés savent d’expérience que pour surmonter une crise, il faut réagir avec vigueur.

Lors de la crise des années 90, Nissan a enregistré des pertes durant huit ans. La situation a persisté et les performances ternes sont devenues une habitude. Des mesures étaient prises mais appliquées trop tard, les nouvelles mesures n’étaient pas davantage appliquées à temps et la situation continuait à se dégrader. Il était impossible de reprendre la main à coups de mesures tardives. Le « Nissan Revival Plan » lancé en 1999 nous a appris que pour se redresser rapidement, même si c’est un peu douloureux, une crise doit être jugulée rapidement.

Lors du séisme, nous nous sommes efforcés d’agir vigoureusement. Par exemple, nous avons suspendu les activités de développement pendant trois mois et décidé le blocage des heures supplémentaires dans toute l’entreprise. Nous avons différé la grande majorité des dépenses et conservé notre trésorerie pour faire face à la dégradation de la situation. Réagir avec vigueur et rapidité : le message était facile à transmettre aux employés. Il ne s’agissait pas de suspendre nos activités par esprit de mortification, c’était une décision de gestionnaire. J’ai le sentiment que les employés ont compris et soutenu notre gestion des risques.

C’est vers 2001, en plein plan de renaissance, que nous avons lancé la gestion des risques qui a abouti au système en place aujourd’hui. Ensuite, à travers un processus d’essais et d’erreurs, les facteurs de risque qui menaçaient la pérennité de notre activité ont été identifiés, une cartographie des risques établie et chacun d’entre eux a été attribué à un membre du conseil d’administration, chargé d’y répondre. Une fois les mesures adéquates prises, ce facteur était exclu de la liste des risques puis nous en cherchions d’autres, que nous réglions encore, suivant la méthode PDCA. Cela concernait également la réponse aux séismes ou le plan de continuité d’activité pour nos fournisseurs.

En cas de crise, le bon fonctionnement des outils de gestion des risques permet à l’entreprise de relever des défis extraordinaires. Qu’il s’agisse de sa stratégie dans les économies émergentes ou de son engagement dans les véhicules électriques, Nissan n’est pas un suiveur ; Nissan développe ses propres stratégies et les met en œuvre. En suivant les autres constructeurs, on pourrait apprendre de leurs échecs, les risques seraient donc moindres. Au contraire, quand Nissan se lance en premier dans quelque chose, les risques sont nombreux. Plus on relève de grands défis, plus il est nécessaire d’adopter une gestion des risques prévoyant toutes les éventualités.

Par exemple, en se concentrant sur les risques actuels, comme l’éclatement de la bulle chinoise ou la crise de l’euro, et en réduisant les investissements, il est impossible de se développer. J’ai le sentiment que l’économie japonaise est aujourd’hui tombée dans ce travers. La stratégie de Nissan, même dans une telle situation, est de continuer à être un pionnier. Le plan « Nissan Power 88 » présenté en juin 2011 est d’ailleurs très ambitieux.

La gestion des risques concerne autant la préparation aux catastrophes et aux crises économiques mondiales que les préparatifs pour concrétiser une vision, une stratégie ambitieuse. A mes yeux, ce terme possède ces deux significations.

L’automobile, pilier de l’industrie japonaise

—Comparée à l’action pionnière de Nissan, la réaction du gouvernement a semblé lente. En matière d’économies d’énergie, par exemple, j’ai l’impression que vous aviez une longueur d’avance sur le gouvernement.

SHIGA  La construction automobile est une industrie leader du Japon et elle en est l’un des piliers. Nous savons que si nous ne consentons pas d’efforts, le Japon se trouvera dans une posture délicate.

Laissez-moi vous donner quelques chiffres : en 2010, les exportations de l’industrie automobile, pièces détachées comprises, atteignaient 12 000 milliards de yens, contre 600 milliards de yens pour les importations. A elle seule, l’industrie automobile contribue pour plus de 11 000 milliards de yens à l’excédent commercial. La balance commerciale du Japon s’établit à 67 000 milliards de yens pour les exportations et 61 000 milliards pour les importations, soit un excédent commercial de 6 000 milliards de yens. Si l’industrie automobile n’exporte pas, la balance commerciale sera déficitaire. D’ailleurs, quand la production a dû être suspendue à cause du séisme, en avril 2011, la balance commerciale a enregistré un déficit. Un déficit commercial a, à terme, un impact sur la balance courante et sur les émissions obligataires. La responsabilité de l’industrie automobile est donc extrêmement lourde.

Immédiatement après le séisme, nous avons malheureusement été contraints de suspendre la production. Cela a eu un fort impact sur l’économie japonaise. Quelque 500 équipementiers sont installés dans les zones sinistrées, qui garantissent énormément d’emplois. Sans la reprise de la fabrication automobile, ces usines non plus ne pouvaient reprendre leur activité. Les matériaux du combinat de chimie de Kashima, la sidérurgie, personne ne pouvait avancer si nous n’avancions pas d’abord. Il fallait reprendre vite, pour tenir notre rôle de moteur de l’économie japonaise. Nous en avions pleinement conscience.

Les coupures d’électricité programmées pour parer à la pénurie d’électricité, qui impliquaient l’arrêt de la production, ont eu pour effet de doucher cet enthousiasme. Nos premières prévisions tablaient sur une augmentation progressive de la production en juillet, puis sur le retour à la pleine production entre l’été et l’automne. Nous espérions ainsi générer un réel impact économique, y compris dans les régions sinistrées, et participer à la reconstruction du Japon, mais les coupures d’électricité programmées ont freiné cet élan.

Malgré tout, nous ne pouvions pas déclencher un black-out général. La quantité d’électricité utilisée par le secteur automobile est énorme, et si nous stoppions notre activité le jeudi et le vendredi, jours où la consommation est la plus élevée, le pic de demande serait aplani et les autres industries pourraient fonctionner normalement. Donc, le secteur automobile dans son entier a décidé de déplacer les jours de repos au jeudi et au vendredi, et de travailler le samedi et le dimanche.

Nous avons pris cette décision parce qu’il s’agissait, à nos yeux, de la plus efficace forme de contribution sociale, et je suis heureux du témoignage des employés et de leur famille, dont le quotidien a été bouleversé, ainsi que de celui des habitants des alentours des sites, à qui ce changement de jours chômés a occasionné du dérangement, mais qui nous ont dit : « Cela a été dur, mais nous avons contribué à la société ». Chaque employé a pris conscience de la responsabilité sociale de l’industrie automobile, et, même s’ils en ont souffert, je crois que nous avons bien fait.

Suite > Face à une nouvelle crise : la surévaluation du yen

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