Comment mieux faire connaître la profondeur de la culture japonaise

Culture Vie quotidienne

Robert Campbell est un professeur américain de littérature japonaise à l’Université de Tokyo et une personne très connue au Japon grâce à ses fréquentes apparitions télévisées. Voici ce qu'il pense de la culture japonaise.

Robert Campbell Robert CAMPBELL

Professeur de l’Université de Tokyo. Né en 1957 à New York aux Etats-Unis. Diplômé du Collège de Berkeley de l’Université de Californie, suit les cours de doctorat du Département des Langues et Cultures de l’Asie Orientale de l’Université de Harvard. Docteur en littérature (spécialisation en littérature japonaise). Chargé de cours à l’Université de Kyûshû, puis professeur adjoint à l’Institut National de Littérature Japonaise avant d’être nommé à son poste actuel. Apparaît dans de nombreuses émissions télévisées. Parmi ses ouvrages : “Recueil de romans en chinois de l’ère Meiji” (écrit en collaboration, Editions Iwanami Shoten, 2005) ; “Les voix d’Edo – L’univers musical et théâtral vu par la collection Kuroki Bunko” (Compilation, Musée de Komaba, 2006) ; “Littérature J – Rencontre en anglais, 50 oeuvres célèbres à apprécier en japonais” (Presses de l’Université de Tokyo, 2010).

L’important, c’est avoir l'attitude “d’aller prendre”

—Il y a donc bien, dans la culture du Japon, une énergie pour intégrer énergiquement les civilisations venues de l’étranger.

CAMPBELL  Le Japon a connu la Restauration de Meiji en 1868, l’année où le pays franchit le premier pas vers la création d’un nouvel Etat unifié. Elle a lieu trois ans après la fin de la Guerre de Sécession aux Etats-Unis. En Europe, ce sont les années de création du Royaume d’Italie contemporain alors qu’en Allemagne également, un royaume s’instaure progressivement autour de la Prusse. Les pays et les régions se recomposent à l’échelle planétaire. Le Japon crée une nouvelle culture, et une nouvelle langue parlée voit le jour. Une révision, dans une perspective mondiale, de la culture de l’ère Meiji à partir de la période Bunka-Bunsei de l’ère Edo, constituerait aujourd’hui un excellent thème de recherche.

—Est-ce que les connaissances que l’on a de cette époque font mieux ressortir les problèmes de la culture japonaise contemporaine ?

CAMPBELL  À l’ère Edo, il existait des règles très strictes en matière de condition sociale. C’est dans ce contexte que la culture populaire a intégré la culture de la cour impériale et qu’elle s’est développée. Pendant l’ère Meiji, la civilisation occidentale a été absorbée par le biais des connaissances des termes chinois. De toute façon, la culture japonaise a pour attitude “d’aller prendre” activement les éléments extérieurs et intérieurs. Je pense que cette énergie s’est peut-être un peu amoindrie ces temps-ci. Lorsque je lis les romans publiés par les écrivains de la jeune génération, ils se passent souvent dans les écoles ou ils décrivent des amis proches et les thèmes sont assez étroits. J’aimerais bien savoir comment, à l'avenir, les Japonais pourront davantage faire connaître la profondeur de leur culture...

—À l’heure actuelle, notre image se résume plutôt au "Cool Japan", avec les mangas et les animés, qui sont très appréciés à l’étranger aussi.

CAMPBELL  Moi aussi, j’aime les mangas, et il y a beaucoup d’œuvres qui ont du poids. Mais au Japon, la sub-culture n'est pas tout : il y a aussi de nombreuses peintures et de nombreux romans, y compris dans la culture de l’ère Edo. Il serait bon de mieux faire connaître, par exemple, des romans contemporains superbes comme ceux de Uchida Hyakken ou de Tanizaki Junichirô.

La beauté des fleurs de cerisiers est vraiment incomparable

—Le 11 mars 2011, le Grand tremblement de l’est du Japon a fait de très nombreuses victimes. Dites-nous si vous avez ressenti quelque chose de différent récemment, du fait de ce séisme.

CAMPBELL  La fleur qui symbolise le Japon, c’est la fleur de cerisier n’est-ce pas ? C’est une très jolie fleur qui apparaît souvent dans des poèmes waka. Mais après l’ère Heian, apparaît au Japon l’expression de “cerisier couleur d’encre”. Il y a une légende selon laquelle les cerisiers deviennent noirs d’encre lorsque l’on pleure la mort de quelqu’un. Et j’ai pensé que cette année ce serait difficile d’admirer les cerisiers mais, un jour, lorsque j’ai vu les cerisiers au Jardin National Shinjuku Gyoen à Tokyo, j’ai été surpris de redécouvrir à quel point les fleurs de cerisiers étaient belles. J’ai aussi souvent entendu dire que les fleurs de cerisiers avaient donné du courage aux habitants du Tôhoku également.

—“La couleur de la fleur s’est évanouie/ Tandis que je contemplais/ Vainement/ Le passage de ma personne/ En ce monde”. C’est un célèbre poème japonais. Les Japonais transposent des émotions diverses dans la fleur de cerisier.

CAMPBELL  Le Japon est un pays où le changement des saisons est vraiment superbe, mais il connaît également de nombreux désastres naturels comme les typhons, les tremblements de terre ou les tsunamis. Dans ce contexte, j’ai pu de nouveau mieux comprendre pourquoi ce sentiment unique de “vanité des choses de ce monde”, de la beauté des choses simples et éphémères, s’était développé au Japon. Mais d’un autre côté, nous avons “le bonheur tombé du ciel” qui est une expression de l’ère Edo. Nous savons tous que notre monde n’est pas éternel, mais les rencontres fortuites ou les petits bonheurs qui viennent tout d’un coup nous rendre visite sont très importants. Il y avait, parmi les gens de ce pays là, cette gentillesse de cœur.

Le goût du “bonheur tombé du ciel”

—Il s’agit donc de savourer le goût de ces petits bonheurs qui débordent et nous tombent dessus, n’est-ce pas ?

CAMPBELL  Au mois de mai de cette année (2011), j’ai eu l’occasion de me rendre dans un abri pour les réfugiés du Tôhoku victimes du tremblement de terre. L’électricité n’avait pas encore été rétablie et on préparait les repas sur des réchauds à gaz. À ce moment-là, une jeune fille est partie dans la montagne pendant deux heures pour aller y ramasser des plantes sauvages comestibles. Tous les réfugiés hébergés avec elle étaient très contents, ils ont préparé les plantes et les ont mangées. Ils ont été reconnaissants, alors même qu’ils étaient dans cette situation tragique provoquée par le désastre. En d’autres termes, ils avaient les capacités émotionnelles d’apprécier ce “bonheur tombé du ciel”. Le Japon a été dépassé par la Chine et il est tombé au troisième rang mondial pour le PNB, et beaucoup de voix s’élèvent dans la crainte d’une baisse du pouvoir économique en raison du désastre. Mais, d’un autre côté, cette catastrophe nous oblige à réviser le style de vie actuel au Japon et à repenser aux valeurs traditionnelles qui ont toujours attaché une grande importance aux relations avec la nature. Je pense qu’il y a là un terrain propice pour donner également naissance à une nouvelle expression culturelle.

—Quel est, à votre avis, la meilleure façon pour que les étrangers puissent ressentir la culture japonaise ?

CAMPBELL  Bien sûr, c’est de venir au Japon et de le voir en réalité. À l’heure actuelle, avec le yen fort, et on pourrait penser que c’est un voyage qui coûte cher, mais il y a des billets d’avion très avantageux et on peut faire l’aller-retour du Japon aux Etats-Unis pour 600 dollars environ. Il y a aussi des endroits à Tokyo où l’on peut loger pour 2 000 à 2 500 yens la nuit. Juste marcher pendant des jours dans la ville qui vous plaît est un vrai bonheur. La chanteuse Lady Gaga dit, par exemple, qu’elle adore aller dans un comptoir de nouilles d’une certaine gare de Tokyo. Je pense que c’est ça qu’il faut, trouver le Japon que l’on aime personnellement.

—Je vous remercie de cette discussion où nous avons pu aborder des sujets aussi variés aujourd’hui. Au fait, Monsieur Campbell, vous vous êtes familiarisé avec la vie au Japon et lorsque vous retournez aux Etats-Unis, on ne vous dit pas que vous avez changé ?

CAMPBELL  Oui, on me le dit de temps en temps. Un jour, lorsque je déjeunais avec ma sœur cadette dans un restaurant en Amérique, je me suis mis sans y penser à porter mon assiette de pâtes pour manger...

— Porter son assiette pour manger, c’est une coutume japonaise ?

CAMPBELL  Aux Etats-Unis, on ne le fait sûrement pas.

—C’est pourtant bien pratique ! (rire)

CAMPBELL  Quand ma sœur m’a fait des reproches là-dessus, j’ai dû m’avouer vaincu. (rire)

(Traduit de l’interview faite en japonais.)

Tags

littérature langue

Autres articles de ce dossier