Kirino Natsuo, la romancière des jeunes filles perdues

Société Livre

L’écrivaine Kirino Natsuo, qui a dépeint des femmes se débattant dans des situations extrêmes, brosse dans « Le X de la rue » (Rojô no X) un portrait réaliste des jeunes filles asservies par le « business des lycéennes ». Une suite est d’ailleurs prévue à ce roman. Pourquoi s’attacher aujourd’hui à représenter des jeunes femmes ? Kirino Natsuo offre sa réponse dans nos colonnes.

Kirino Natsuo KIRINO Natsuo

Romancière née en 1951, couronnée de nombreux prix – prix Edogawa Ranpo pour « La pluie sur mon visage » (Kao ni furikakaru ame) en 1993, prix des auteurs japonais de romans policiers pour Out en 1998, prix Naoki pour Disparitions en 1999, prix littéraire Izumi Kyôka pour Monstrueux en 2003, prix Shibata Renzaburô pour « Notes cruelles »(Zangyakuki) en 2004, prix Tanizaki Junichirô pour L’île de Tokyo en 2008. Décorée de la médaille honorifique au ruban pourpre en 2015. Son dernier roman, « Un murmure perpétuel » (Tomedonaku sasayaku) est paru aux éditions Gentôsha en 2019.

Une vie toujours plus difficile pour les femmes

La difficulté à vivre que rencontrent les jeunes femmes existait déjà de son temps, rappelle Kirino Natsuo :

« Mais dans ma jeunesse, l’économie était en plein essor, c’était l’époque où le seul salaire de l’homme suffisait à faire vivre toute la famille, l’épouse pouvait rester à la maison. Le foyer, la famille, existaient encore, et étaient l’endroit où revenir quand les choses allaient mal. La perte de repères, le sentiment de n’appartenir à aucun lieu ressenti par les jeunes filles d’aujourd’hui n’est en rien comparable, et m’apparaît insoluble. Le nombre de foyers monoparentaux a augmenté et beaucoup de ménages sont confrontés à la pauvreté.

Aujourd’hui, 70 % des travailleurs précaires sont des femmes. Les disparités se creusent entre une petite élite et la masse des travailleurs précaires. Les jeunes femmes en sont les premières victimes, reléguées à des postes faiblement rémunérés et à des formes de contrat précaires. C’est un fait structurel qui interdit tout espoir. Dans le même temps, en partie à cause de la baisse de la natalité, on cherche à leur imposer un nouveau rôle, on leur demande de faire des enfants, de concilier une vie professionnelle active avec leur vie familiale ; à mes yeux, c’est une nouvelle forme de répartition des rôles suivant les sexes. »

La face obscure de la société

L’une des raisons qui ont poussé Kirino Natsuo à devenir écrivaine est la discrimination envers les femmes qu’elle a vécue lorsqu’elle cherchait un emploi et quand elle travaillait. Mariée dans la vingtaine, elle ne se voyait pas être femme au foyer. Lorsqu’elle a eu 30 ans, elle a commencé à écrire de la littérature sentimentale et des romans pour adolescents ; elle a alors découvert que la création était son domaine de prédilection.

C’est avec Out, publié en 1997, qu’elle a connu la consécration. L’intrigue dérangeante – des femmes employées à mi-temps dans une usine aident une collègue qui a tué son mari à démembrer le corps – a suscité l’intérêt. En 2004, la traduction en anglais de ce roman a été nominée au prix Edgar-Allan-Poe, la plus prestigieuse récompense américaine pour la littérature policière.

Après le succès de Out et de ses femmes poussées à bout, Kirino Natsuo ne cesse d’accorder davantage de poids aux problèmes de société dans ses œuvres, le tout assaisonné de meurtres, d’enlèvements et de disparitions qui tiennent le lecteur en haleine. Elle crée ainsi un genre à part, à la lisière du roman policier de divertissement, qui s’attache à dépeindre la face sombre de la société et de la psychologie humaine.

« À un moment, je détestais qu’on me qualifie d’auteure de romans policiers, et j’ai même envisagé d’arrêter de mettre en scène des coupables dans mes intrigues. Brosser le portrait de gens qui se débattent, dépassés par leurs problèmes et acculés dans des situations indépendantes de leur volonté, m’intéressait davantage. Parce qu’ainsi, on décrit forcément les défauts de la société, et quand on s’intéresse aux gens maltraités, aux gens à la marge, on débouche forcément sur des histoires de femmes. Les problèmes auxquels les femmes font face aujourd’hui sont complexes et délicats, et je prends garde à ne pas les aborder de façon superficielle. »

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