Nakajima Haruo, l’homme-Godzilla
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Son rôle de Godzilla lui vaut un respect unanime
Les fans inconditionnels des films de Godzilla ont toujours montré un grand respect pour « l’intériorité » exprimée par le monstre. Or, à l’intérieur du costume de Godzilla se trouvait un acteur, et c’est à cet acteur, Nakajima Haruo, que revient le mérite de cette interprétation saisissante, qui lui vaut, 60 ans plus tard, de nombreux fans dans le monde entier. Nakajima Haruo avait été choisi pour le rôle par Tsuburaya Eiji (1901-1970), le co-réalisateur en charge des effets spéciaux sur le film de 1954.
Nakajima Haruo est né en 1929 et à l’âge de 21 ans, cinq ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, il entre à la Toho, une des plus grandes maisons de production de cinéma japonais. Après avoir participé à plusieurs films en tant que figurant, il fit ses vrais débuts dans le film L’Aigle du Pacifique (1953). Il y interprète le rôle d’un pilote de chasse dont l’avion est en flamme. C’est ce rôle de cascadeur qui lui valut, quelques mois plus tard, de recevoir une proposition avec le scénario d’un certain « Projet G ». Mais ni le réalisateur Honda Ishiro, ni le responsable du casting ne furent en mesure de lui donner des détails sur le rôle qu’il aurait à interpréter. « Demandez à Tsuburaya », lui répondit le réalisateur.
« Passe ce costume et montre-moi comment tu bouges… »
À cette époque, Godzilla était encore un projet ultrasecret des studios de la Toho, nommé « Projet G » pour en garantir la confidentialité. Les effets spéciaux, à l’époque encore appelés tokushu gijutsu (littéralement « techniques spéciales »), alors qu’ils sont maintenant connus sous l’appellation tokusatsu (contraction de tokushu satsuei, « prises de vues spéciales ») devaient être supervisés par Tsuburaya Eiji, qui gagnerait bientôt son surnom de « dieu des tokusatsu ».
NAKAJIMA HARUO Quand je suis allé voir M. Tsuburaya, le story-board ne faisait pas plus d’une dizaine de pages. Il m’a montré deux ou trois feuillets en me disant : « Ce sera dans ce genre-là. » Il m’a dit aussi : « Moi-même, je ne sais pas encore ce que ça donnera. Quand le personnage sera au point, tu mettras le costume et tu me montreras comment tu bouges. Je réfléchirai à une stratégie à partir de là. »
Pour référence, Tsuburaya Eiji montra à Nakajima Haruo une copie du film King Kong. Mais alors que dans ce film américain de l’époque, le personnage était censé avoir une taille de 10 mètres, il en faisait 50 dans le concept initial de Godzilla.
NAKAJIMA M. Tsuburaya m’avait mis en garde : « En tant qu’acteur, ne te préoccupe que de l’action et de comment tu vas te mouvoir. Moi, je m’occupe de la réalisation des effets spéciaux. C’est moi qui indique quand ça commence, tu devras te tenir prêt à tout moment. Le costume est assez lourd, ça ira ? » Refuser aurait voulu dire arrêter ce métier, alors j’ai dit : « Je le ferai. » Ça l’a mis de bonne humeur. « Faudra pas venir pleurnicher, hein… », il a ajouté. « Pas de problème », j’ai répondu.
Avec 100 kg de caoutchouc sur le dos
Les effets spéciaux de King Kong, la première version de 1933, reposaient sur la technique du stop-motion. Mais pour Godzilla, la Toho avait la contrainte de sortir le film avant 6 mois, l’équipe de tournage n’avait donc pas le temps de le filmer image par image. C’est Tsuburaya Eiji qui a pris la décision de la technique de l’acteur dans un costume de monstre au milieu d’un décor miniature.
Cependant, jouer dans le costume de Godzilla première génération n’était pas aussi simple que ce qu’il avait pu imaginer. Il était en caoutchouc dur, comme des pneus de voiture, il pesait 100 kg au total. Et il fallait le porter sans rien d’autre aux pieds que des geta, des socques de bois (des bottes de caoutchouc furent autorisées à partir du film suivant). Il n’était vraiment pas facile de bouger avec ça !
Tsuburaya Eiji (au centre avec le chapeau), directeur des effets speciaux, sur le plateau de tournage de l'un des films de la série Godzilla
NAKAJIMA Qu’est-ce que je me sentais seul dans ce costume ! J’étais entièrement pris par mon prochain mouvement tout en essayant de garder mon équilibre, je n’avais pas vraiment le loisir de penser à autre chose !
Cela n’empêcha pas M. Nakajima de faire preuve d’ingéniosité et d’imaginer toutes sortes de trouvailles pour donner de la personnalité aux gestes de Godzilla. Il étudia pendant des jours les mouvements des éléphants et des ours au zoo d’Ueno à Tokyo, cette histoire est désormais célèbre parmi les fans de Godzilla. Tsuburaya Eiji avait aussi réglé la vitesse de défilement de la pellicule 2,5 à 3 fois plus rapide, de façon à faire apparaître les mouvements de Gozilla plus lents. Mais le point essentiel dans la technique de déplacement de Godzilla est son « pas glissé ».
NAKAJIMA Il ne fallait pas qu’on lui voie la plante des pieds. Tout en pas glissés, sinon l’impression de force ne passe pas. Comme les lutteurs de sumo…
Je n’ai pas oublié cette lumière dans les yeux des enfants
La seule scène ratée de Nakajima Haruo. Tsuburaya Eiji détestait les scènes de destruction injustifiées.
Nakajima Haruo croyait que c’était la première et la dernière fois qu’il jouait Godzilla. Or, il tourna douze films de cette série. Et dans toute sa carrière, il ne fut responsable que d’une seule scène ratée, dans le premier film de la série, quand Godzilla détruit la tour de l’horloge du magasin d’horlogerie Hattori (aujourd’hui le grand magasin Wako) au carrefour de Ginza 4-chôme.
NAKAJIMA D’abord, j’ai joué comme si Godzilla détruisait le bâtiment sans réfléchir. Mais le boss a dit, « Non, ça ne va pas, faut la refaire. » Alors il a fallu refaire une maquette, ce qui a pris environ un mois jusqu’à ce que le plâtre soit sec. Lors de la seconde prise, Godzilla entend l’horloge sonner, alors je touche l’horloge d’un air intrigué et je la démolis comme sans faire exprès. Cette fois, c’était bon, la prise a été validée.
À sa sortie en novembre 1954, Godzilla fut un énorme succès, vu par 9,6 millions de spectateurs. En 1956, le film est sorti aux États-Unis sous le titre Godzilla, King of the monsters. Des scènes additionnelles ont été incluses dans la version américaine, mais cette version américaine a contribué à l’extension du succès de Godzilla à l’étranger.
60 ans ont passé depuis, mais M. Nakajima se souvient encore fort bien de la réaction du public lors de sa première rencontre avec Godzilla.
NAKAJIMA Quand le film est sorti, je suis allé le voir en salle, en payant mon billet ! J’étais assis au premier rang, je me suis retourné pour voir les visages des spectateurs. C’était vraiment intéressant ! Lorsque Shimura Takashi [le professeur Yamane dans le film] parle, les enfants dans la salle bavardaient entre eux. Puis un coup résonne, « Dom… » et Gozilla apparaît. Si vous aviez vu les yeux des enfants briller à ce moment-là ! Tous, oui ! Quelle émotion ! J’ai éclaté en pleurs.
Les larmes montent encore aux yeux de M. Nakajima quand il raconte ce souvenir. Après, et tout en poursuivant sa carrière dans la série de Godzilla, M. Nakjima a également interprété d’autres kaijû [monstres] dans les films de la Toho, comme Rodan, ainsi que plusieurs de la série télé Ultra Q. Finalement, quand on lui demande quel est l’ennemi le plus redoutable de Godzilla, il répond :
NAKAJIMA Le pire ennemi de Godzilla, c’est l’homme. Parce que l’homme a plein d’idées.
(D’après l’entretien effectué en japonais le 12 juin 2014. Photo de titre : Godzilla, Ebirah et Mothra : Duel dans les mers du sud)
(Nakajima Haruo nous a quitté le 7 août 2017)