Hatsumi Masaaki, le ninja vivant le plus célèbre du monde
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À environ une heure de train du centre de la capitale, à Noda, dans la préfecture de Chiba, se trouve le Bujinkan, le dôjô dirigé par Hatsumi Masaaki, 34e grand maître du Togakushi-ryû ninpô, une école de ninjutsu vieille de 900 ans. Des gens venus des quatre coins du monde font expressément le voyage, souvent long, afin de suivre son précieux enseignement qu’il a enrichi de diverses techniques ancestrales d’arts martiaux. Ce jour-là, une centaine de disciples du grand maître foulaient les 50 tatamis du dôjô pour s’entraîner.
L’un d’eux, un Argentin, avait fait 30 heures d’avion pour venir. Formé par Maître Hatsumi, il voyage dans tous les pays pour suivre des séminaires d’arts martiaux (plus de 500 à ce jour !).
« Je suis affilié au Bujinkan depuis 32 ans, c’est mon 50e séjour au Japon. Hatsumi Sensei est un merveilleux guide sur la voie des arts martiaux, mais c’est aussi un maître de vie. C’est lui qui a tiré le meilleur de moi-même. Venir assister à cette leçon, malgré la distance, est pour moi essentiel. »
Ne pense pas, sens-le !
À l’instant où l’enseignement commence, les disciples, jusque-là plutôt agités, se calment instantanément et boivent des yeux le moindre geste de la main, le moindre déplacement d’un pied du grand maître. Ce dernier explique : « Il ne s’agit pas d’esquiver l’attaque, mais de la sentir. Ce n’est pas une affaire de force, ni de vitesse. Tout est dans la maîtrise. »
Au signal, un disciple, un géant deux fois plus massif que le maître, se jette sur lui et porte une attaque. Puis tout arrive très vite. Maître Hatsumi lui saisit immédiatement le bras, et dans un mouvement d’une fluidité parfaite, le renverse à terre. Un acte réalisé avec une telle aisance que l’assaillant, aussi bien que les observateurs, se regardent puis se mettent à rire d’un air de dire : « Mais comment a-t-il fait ? »
« Je n’enseigne rien, je montre mon mouvement et c’est tout. Je préfère qu’ils apprennent par référence à ce geste. C’est évident, les kata (succession de mouvements martiaux codifiés) sont la base, tout passe par là. Mais vous pouvez maîtriser parfaitement les kata, cela ne suffira pas. Le ninjutsu ou “technique de combat des ninja”, n’est pas un sport. C’est une technique de survie. Il n’y a aucune règle. »
Bien sûr, essayer d’imiter les gestes de Maître Hatsumi est beaucoup moins évident qu’il n’y paraît. Bloquer d’un doigt le geste de l’adversaire, mettre son adversaire à terre en quelques mouvements simples… C’est bien beau, mais les observateurs se regardent en disant : « Je n’ai rien vu », ou « Qu’est-ce qui s’est passé ? Je n’ai rien compris… » Une chose est sûre : impossible de ne pas s’étonner devant ce corps de 86 ans doté d’une telle souplesse et d’une telle agilité !
Le plus étrange, c’est que la force mise en jeu ne semble pas importante, tout reste fluide, souple et léger. Que faut-il faire pour acquérir cette compétence ?
« L’être humain possède un équilibre naturel. L’essentiel est de contrôler toutes choses pour préserver cet équilibre. Ce mouvement est le résultat de la réitération d’un entraînement obstiné. En quoi consiste ce contrôle ? Aucune théorie ne peut en faire le tour. Et ce n’est pas quelque chose que l’on peut saisir au premier coup d’œil non plus. Mes disciples sont tous des experts, ils ont plusieurs dizaines d’années de pratique, mais ils continuent à venir s’entraîner, pour une raison bien simple : la maîtrise absolue n’est pas facile à faire sienne. »
Le Tigre de Mongolie fut son maître
Quels furent les débuts de Hatsumi Masaaki sur la voie des arts martiaux ? Par quel chemin est-il lui-même passé avant de devenir un maître parmi les maîtres ?
« Dans mon enfance, c’était la guerre, l’enseignement des arts martiaux était fortement promu. J’ai appris le karaté, la boxe, le combat à la baïonnette, etc. J’ai progressé jusqu’à devenir 5e dan de judo. Quand j’ai eu une vingtaine d’années, j’enseignais le judo à la base militaire américaine de Tachikawa, et je me suis aperçu que des champions japonais reconnus se faisaient battre les uns après les autres par des Américains amateurs. Les arts martiaux que j’avais appris n’étaient d’aucune valeur contre des Occidentaux de grande taille qui se battaient en force. »
C’est alors que Hatsumi Masaaki a fait la connaissance de Takamatsu Toshitsugu, surnommé « le Tigre de Mongolie ».
« Maître Takamatsu n’enseignait pas seulement le ninjutsu, il l’avait pratiqué sur le terrain en Chine pendant dix ans, c’était un véritable ninja. J’ai littéralement été pétrifié par son aura, quand je l’ai rencontré pour la première fois. Je lui ai immédiatement demandé de bien vouloir me recevoir comme affilié, et au bout de nombreuses années d’entraînement, grâce à son enseignement, ma maîtrise du combat est réellement devenue efficace. C’est lui qui a fait de moi celui que je suis aujourd’hui. »
Devenu disciple de Maître Takamatsu à l’âge de 27 ans, il suivit son enseignement pendant 15 ans, jusqu’au décès de celui-ci. Quasiment chaque semaine, il prenait le train de nuit, de Noda à Kashihara, dans la préfecture de Nara, pour aller s’entraîner auprès de son maître. Aujourd’hui, dans le dôjô du Bujinkan, au-dessus de l’autel shintô, trône un portrait photographique de grandes dimensions de Takamatsu : « Il me protège toujours », explique Maître Hatsumi avec une expression tranquille.
À la fin de la trentaine, Maître Hatsumi, qui avait reçu la transmission de 9 écoles de ninjutsu, dont la Togakushi-ryû, de son maître Takamatsu, fonda alors le Bujinkan et commença à son tour à enseigner. Puis, à 50 ans, il commença à voyager et à dispenser son enseignement dans plus de 50 pays à travers le monde, pendant une période de 25 ans : les États-Unis, l’Europe, le Moyen-Orient, l’Afrique, l’Amérique du Sud…
Son enseignement basé sur la pratique gagna rapidement une très haute réputation, au point qu’il fut invité par les forces spéciales américaines et britanniques à dispenser des séminaires de self-défense. Le maître a gardé les présents et les certificats reçus en remerciement à cette époque. C’est également lui qui forma les acteurs en technique ninjutsu pour le film de James Bond On ne meurt que deux fois, de 1967. Il est citoyen d’honneur de plusieurs villes, parmi lesquelles Los Angeles, Atlanta, et d’autres.
Des disciples dans le monde entier
Pourquoi le maître Hatsumi jouit-il d’une grande popularité chez les étrangers ?
« Le Japon a donné au monde le nom du ninjutsu, mais si on remonte loin, très loin dans le passé, on peut dire que des traditions similaires au ninjutsu ont existé dans toutes les régions du monde. De fait, les techniques furtives de combat se transmettent dans l’humanité entière. Au tout début, quand j’ai commencé à enseigner aux États-Unis, je disais toujours en rigolant : « Je ne suis pas Japonais ! Je n’ai pas de pays ! Je suis un extraterrestre ! » C’est en pratiquant sans mettre de frontières que je me suis lié avec des gens de tous les pays. »
Le nombre de ses disciples se situerait aujourd’hui entre 300 000 et 500 000. Le jour où nous l’avons rencontré, 90 % des inscrits à ce séminaire étaient des étrangers. Le gabarit moyen est constitué d’hommes de forte stature, mais il y avait aussi également des hommes et des femmes de corpulence tout à fait moyenne.
« J’ignore le nombre de mes disciples. Nombreux sont ceux qui sont déjà des maîtres dans leur pays, après avoir étudié de nombreuses années. Certains de ceux qui viennent s’entraîner au dôjô sont leurs propres élèves. Certains sont policiers ou soldats, mais d’autres ont des carrières d’élite, comme des avocats ou des médecins… Parfois, des femmes médecins viennent se former pour maîtriser des patients ingérables.»
Transmettre la quintessence du ninjutsu vrai
Pendant une pause, les disciples commencent à former une file devant Maître Hatsumi. L’ambiance est joyeuse et détendue. Le maître, échangeant quelques mots avec chacun, se met alors à calligraphier pour tous sur un rouleau vertical ou un carton à exposer. Son écrit deviendra pour ses disciples un précieux trésor, de retour chez eux.
Le grade le plus élevé au Bujinkan est celui de 15e dan. Ce jour-là était organisé un examen de promotion au grade de 5e dan. Le candidat est assis sur les genoux. Un examinateur, muni d’un sabre de bambou rembourré et gainé de cuir se tient dans le dos du candidat et lui assène un coup sans le prévenir. L’épreuve consiste à sentir quand le coup va arriver par la seule concentration sensorielle, et à l’esquiver. Si le candidat esquive le coup, il est 5e dan ! Ce grade autorise l’ouverture d’un dôjô, aussi est-il bien compréhensible que les lauréats ne puissent retenir un sourire.
Maître Hatsumi, repensant au chemin parcouru jusqu’à présent, a déclaré :
« Apprendre les arts martiaux n’a rien de facile. Il faut s’entraîner dur, et votre esprit doit être pur. Je suis arrivé jusqu’à maintenant, empreint du seul désir de faire connaître le vrai ninjutsu, le véritable esprit des arts martiaux. J’ai ouvert ce dôjô il y a 50 ans et aujourd’hui, j’ai des successeurs dans le monde entier. Je suis heureux d’avoir transmis la quintessence du budô. Je souhaite à tous mes disciples du monde entier de progresser encore et de devenir de belles personnes respectées de tous. »
(Reportage et texte d’Ônishi Yuka, POWER NEWS. Photos : Yokoyama Takeshi. Photo de titre : Hatsumi Masaaki et ses disciples saluant l’autel shintô avant l’entraînement.)