Les carpes « nishiki-goï », bijoux aquatiques de Niigata et trésors de la clientèle étrangère
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Des bijoux pleins de grâce
Lors de l’exposition annuelle des carpes nishiki-goï de Niigata, sur la côte de la mer du Japon, les visiteurs se bousculent pour admirer les carpes bigarrées qui nagent dans de vastes bassins bleus. L’expression « poisson ornemental » évoque en général les espèces exotiques qu’on peut voir dans les aquariums spécialisés de certains amateurs. Néanmoins, en ce qui concerne les nishiki-goï, une espèce aux motifs éclatants connue également sous le nom de « carpe de brocart », ce n’est pas dans un réservoir à poissons qu’on est le mieux à même de les admirer, mais lorsqu’ils nagent gracieusement dans une grande mare comme on en voit dans les jardins japonais. Pour l’exposition, toutefois, les poissons évoluent dans des bassins en plastique, de façon à ce que les acheteurs potentiels puissent voir du dessus les spécimens exposés et apprécier sans difficulté la qualité des couleurs, des motifs et de la forme qui déterminent la valeur des nishiki-goï.
Dans le Japon d’avant-guerre, une résidence agrémentée d’une mare remplie de nishiki-goï était un signe de richesse. De nos jours, où une grande partie de la population japonaise habite de petites maisons ou des appartements urbains, les nishiki-goï sont devenus une rareté. Mais cela ne veut pas dire que la demande de carpes ornementales ait chuté. Les exportations de ce poisson, très apprécié des riches étrangers, sont en plein essor et les producteurs de nishiki-goï ont vu leurs revenus grimper en flèche.
La vague mondiale d’engouement pour les nishiki-goï est un phénomène relativement récent. Selon les statistiques du commerce publiées par le ministère des Finances, jusqu’en l’an 2000 environ, les exportations japonaises annuelles de poisson ornemental, à l’exclusion du poisson rouge, atteignaient approximativement un milliard de yens (7,5 millions d’euros). En 2019, ce montant avait grimpé à 4,7 milliards (35,5 millions d’euros). Les nishiki-goï ont acquis une telle notoriété en Asie et ailleurs que la langue anglaise utilise exclusivement le mot koi, qui veut dire carpe en japonais, pour désigner la variété décorative.
Niigata, lieu de naissance des nishiki-goï, abrite aujourd’hui plus de 300 éleveurs, soit davantage que n’importe quelle autre préfecture. L’exposition annuelle des carpes nishiki-goï de Niigata, le plus grand événement de ce genre au monde, a célébré son soixantième anniversaire en 2020. Plus de 80 éleveurs y ont participé et quelque 750 poissons ont été exposés. Il n’est pas inhabituel que le prix de vente d’un poisson primé atteigne des dizaines de millions de yens, et bien des visiteurs viennent à l’exposition dans le seul but de jeter un coup d'œil sur ces spécimens hors de prix. Toutefois, la pandémie de Covid-19 a empêché un grand nombre d’acheteurs et de fans étrangers — qui sont d’ordinaire plus de 1 000 — de se rendre à l’exposition.
Du statut d’aliment hivernal à celui de trésor national
C’est à Nijûmuragô, un district de la région de Chûetsu, dans la préfecture de Niigata, qui recouvre aujourd’hui les municipalités de Nagaoka, Ojiya et Uonuma, que la production de nishiki-goï a commencé à la fin de l’époque d’Edo (1603-1868). À l’origine, le poisson était élevé à des fins alimentaires. La région est connue pour ses abondantes chutes de neige en hiver et, en ces temps où les routes, coupées pendant des mois d’affilée, privaient les collectivités d’approvisionnements vitaux, les nishiki-goï constituaient une source précieuse de protéines. Pendant les mois où il faisait plus chaud, les éleveurs mettaient le poisson dans des bassins d’irrigation, puis, en hiver, ils le transféraient dans des mares proches des fermes. Ils plaçaient alors un couvercle sur ces mares ou y plantaient de gros poteaux pour empêcher la neige de s’accumuler et de suffoquer les poissons. Certains éleveurs allaient jusqu’à creuser des mares sous le plancher de leurs maisons pour y garder les carpes.
Avec le temps, les croisements répétés ont donné naissances à de nouvelles variétés, dont le hi-goï entièrement rouge. Par la suite, une variété appelée asagi, qui avait développé des marques en partie blanches dues au caractère argileux du sol local et à la douceur de l’eau, est arrivée d’une région voisine. On pense que ces deux variétés ont alors été croisées pour donner naissance au kôhaku, un poisson à peau blanche orné de grandes marques rouges.
On peut facilement imaginer que les habitants des villages isolés des montagnes, très fiers des variétés rares de nishiki-goï qui peuplent leurs mares, aiment à rencontrer leurs voisins et discuter de croisements entre variétés visant à créer des descendants dotés de couleurs et de motifs spécifiques. Cette passion pour la carpe culmine aujourd’hui avec les expositions qui permettent aux éleveurs de donner à voir le fruit de leur travail.
Isa Mitsunori, qui dirige le centre Isa d’élevage de carpes et la section de Niigata de l’Association pour la promotion du nishiki-goï dans tout le Japon, suppose que l’apparition du kôhaku, suivie par celle du Taishô sanshoku, avec ses taches noires comme de l’encre, et du Shôwa sanshoku, orné de motifs jusqu’à la bouche, s’explique par le fait que ces trois variétés de nishiki-goï ont été traitées comme les « trois grandes ». Puis, à partir du début du XXe siècle, l’importation des carpes allemandes, plus grosses et dotées de moins d’écailles, a entraîné une forte augmentation du nombre des variétés disponibles de nishiki-goï, pour arriver au chiffre actuel de 82.
Les nishiki-goï ont fait leur entrée sur la scène nationale, sous le nom de kawari-goï, ou « carpe peu commune » en provenance de la province d’Echigo, à l’occasion de l’exposition Taishô de Tokyo, une foire industrielle qui s’est tenue dans le parc d’Ueno en 1914. À l’époque, ces espèces étaient également connues sous d’autres noms, tels que iro-goï, hana-goï et moyô-goï, qui faisaient tous référence à leurs couleurs et leurs motifs, mais à partir des années 1940 le nom nishiki-goï s’est imposé.
Les exportations de carpes vers la clientèle de l’étranger
C’est au début de l’après-guerre que Niigata a commencé à promouvoir les exportations de nishiki-goï. Dans les années 1960, grâce à l’apparition de sacs en plastique spécifiquement conçus pour le transport par avion de poissons vivants, les nishiki-goï sont venus embellir les jardins des habitants nippo-américains de Hawaï, un phénomène qui a contribué à gonfler régulièrement les rangs des fans en Occident.
En 2004, le puissant séisme de Chûetsu, à Niigata, a durement frappé le secteur de l’élevage de carpes. La secousse a endommagé des bâtiments et fissuré des mares, provoquant des fuites. Outre cela, les glissements de terrains ont barré des cours d’eau et les coupures d’électricité ont provoqué des pannes de pompes à oxygène, ce qui a entraîné la mort d’un grand nombre de carpes.
De façon imprévisible, la catastrophe a accéléré la transition du secteur vers les exportations. Quand les éleveurs ont commencé à reconstruire, les messages d’encouragement et le soutien financier des fans étrangers ont afflué. À l’époque, la demande intérieure avait atteint un plafond, mais le poisson était de plus en plus populaire en Chine et ailleurs en Asie. Avec l’appui des pouvoirs publics, le secteur a misé sur les exportations pour sortir de la crise, en portant son attention sur le marquage.
En 2017, Niigata a déclaré le nishiki-goï poisson officiel de la préfecture. À l’heure actuelle, environ 80 % des spécimens produits sur le territoire national sont exportés, et 60 % d’entre eux sont élevés à Niigata.
Identifier les goûts des fans étrangers
Selon Isa Mitsunori, bien des acheteurs étrangers sont tout d’abord attirés par les poissons de couleur dorée ou argentée, mais avec le temps la majorité des fans renoncent à ces variétés clinquantes pour se tourner vers les « trois grandes ».
Les nishiki-goï dorés et argentés ont tendance à être ornés de motifs réguliers. En revanche, les motifs des « trois grandes » variétés sont beaucoup plus divers et changent à mesure de la croissance des poissons. Le plaisir des collectionneurs repose en partie sur l’achat d’un poisson fondé sur l’anticipation de son apparence future — les motifs vont-ils devenir plus vifs et plus grands ? — et l’observation de son évolution.
Aujourd’hui, les observateurs et les fans étrangers ont une bonne connaissance des caractéristiques propres aux divers élevages de nishiki-goï et aux variétés qu’ils produisent. Lorsqu’on lui demande s’il est capable d’identifier un poisson provenant de son élevage, Isa Mitsunori raconte que, lors d’un voyage d’affaires au temple cambodgien d’Angkor Vat, il lui est arrivé de reconnaître un Shôwa sanshoku qui nageait dans une mare à proximité de l’entrée. « Je me suis immédiatement rendu compte que c’était un de mes poissons », dit-il. « Je me suis senti fier de me trouver sur un site classé au patrimoine mondial et d’y voir un nishiki-goï que j’avais élevé. Cela m’a fait prendre conscience de la chance que j’avais de me livrer à cette activité internationale.»
(Voir également notre article : Importer des carpes japonaises chez soi : le hobby des personnes aisées à l’étranger)
(Reportage, texte et photos de Nippon.com. Photo de titre : les bassins en plastique où nagent les carpes, lors de l’exposition 2020 des carpes nishiki-goï de Niigata)