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La naissance d’un prestigieux bâtiment franco-japonais : la filature de soie de Tomioka, inscrite au patrimoine mondial
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Conception française et matériaux locaux
À première vue, la filature de soie de Tomioka semble constituer un groupe de bâtisses en briques rouges de style européen. Et pourtant, les toits sont recouverts de tuiles japonaises traditionnelles et les briques ont été posées avec du plâtre japonais shikkui, et non avec du mortier. Les bâtiments ont été conçus par un architecte français mais construits par des ouvriers et des charpentiers japonais, utilisant des matériaux et des technologies locales.
Un projet national prioritaire
Lorsque le Japon a ouvert ses portes au reste du monde, à la fin de l’époque d’Edo (fin du XIXe siècle), la soie brute était son principal produit d’exportation. La demande a grimpé en flèche, mais la mauvaise qualité d’une grande partie de ce matériau a déclenché de nombreuses plaintes de la part des pays importateurs. Désireux de se constituer des réserves de devises étrangères, le nouveau gouvernement de Meiji fit de l’amélioration des processus de production et de la qualité de la soie japonaise un projet national prioritaire. Dans cette optique, en février 1870, il fut décidé de construire une usine modèle, appartenant au gouvernement, et équipée de machines de dévidage de soie à l’occidentale.
Le projet était supervisé par Shibusawa Eiichi, à l’époque bureaucrate au ministère des Finances. Shibusawa est issu d’un milieu aisé dans un endroit aujourd’hui associé à la ville de Fukaya, dans la préfecture de Saitama. Sa famille était engagée dans la sériciculture, et sa connaissance de l’industrie de la fabrication de la soie brute, ainsi que son expérience de voyage en Europe, ont fait de lui la personne idéale pour diriger le projet gouvernemental.
Le Français Paul Brunat, inspecteur dans une entreprise de négoce de soie à Yokohama, est embauché pour se charger de la direction technique, et Odaka Junchû, cousin de Shibusawa et bureaucrate au ministère des Affaires civiles, s’est joint à Brunat pour sélectionner un site de fabrication. Odaka deviendra plus tard le premier directeur de l’usine.
Shibusawa a commencé à participer aux affaires de famille dès la fin de son adolescence, voyageant de la préfecture de Saitama jusqu’à Gunma, et même à Nagano, afin d’acheter des boules d’indigo pour la teinture. Odaka accompagnait souvent Shibusawa lors de ces voyages, et sa familiarité avec la région s’est révélée utile plus tard afin de choisir un site de fabrication pour l’usine du gouvernement. La sériciculture était déjà une industrie importante à Tomioka, et la proximité des mines de charbon de Takasaki constituait une source de combustible idéale pour la filature.
Une construction qui a une grande influence
Le nouvelle filature de soie a été conçue par Edmond Auguste Bastien, qui venait tout juste de travailler à la construction de la forge de Yokosuka. Il a appliqué la même méthode de construction que celle utilisée pour les forges, avec une charpente en bois sur laquelle sont posées des briques. Cela lui aurait permis de terminer ses plans pour la construction du bâtiment en seulement 50 jours.
Il s’est révélé difficile d’obtenir les matériaux de construction nécessaires. Les vitres et les charnières étaient importées de France, mais les briques et le plâtre ont dû être achetés localement.
Odaka a confié à Nirazuka Naojirô, un fabricant local de tuiles, la tâche de se procurer des matériaux de construction. Il en a finalement rapporté de Fukaya et de la région autour de Tomioka pour fabriquer ces nouvelles briques, encore inconnues au Japon, sous la direction de Brunat et Bastien.
La construction a commencé en mars 1871. En juillet de l’année suivante, les principaux bâtiments étaient achevés : deux entrepôts de cocons de 100 mètres de long et une grande usine de dévidage de soie équipée de 300 bobineuses françaises. Le plus grand moulin du monde à l’époque a ainsi été achevé en seulement deux ans et demi à partir du moment où le gouvernement japonais a décidé de lancer le projet - et seulement 16 mois après la construction du terrain - grâce au leadership de Shibusawa et à l’aide de ses camarades de Fukaya ainsi que de ses collaborateurs français.
L’expérience de la filature de soie de Tomioka se révélera extrêmement utile. Dans la seconde moitié des années 1880, le gouvernement de Meiji a lancé un nouveau projet : créer une série de bâtiments gouvernementaux dans le quartier de Hibiya, à Tokyo. Pour répondre à la demande en matériau de construction, Shibusawa créé la Nippon Renga Seizô Kaisha (la Japan Brick Company) à Fukaya, tandis que Nirazuka cherche à obtenir le soutien de la population locale pour la nouvelle industrie. La brique de Fukaya a été utilisée pour construire un certain nombre de bâtiments gouvernementaux et publics de style occidental moderne, parmi lesquels les constructions qui sont aujourd’hui l’ancien bâtiment du ministère de la Justice, la gare de Tokyo et le palais d’Akasaka (la maison des hôtes d’État).
Shibusawa et Nirazuka ont fait bon usage de leur expérience dans la construction de la filature de soie de Tomioka pour introduire une nouvelle industrie dans leur ville natale de Fukaya, qui est rapidement devenue connue sous le nom de « ville des briques ».
Des femmes retroussent leurs manches
Les bâtiments ont fini par être achevés, mais faute d’un nombre de travailleurs suffisant, l’exploitation de cette nouvelle usine n’a commencé qu’en octobre 1872.
En fait, après des siècles d’isolement, le peuple japonais craignait les étrangers, et leur imagination s’est complétement déchaînée. Ainsi, en regardant Brunat et ses compagnons boire du vin rouge, ils se chuchotaient que les occidentaux étaient en train de boire du sang frais... C’est la fille d’Odaka Junchû, Yû, qui a sauvé la situation en se portant volontaire pour devenir la première ouvrière de l’usine. Et cela a contribué à dissiper ces rumeurs sans queue ni tête : si la fille du directeur de la filature pouvait travailler avec les étrangers, les autres le pouvaient également. Le nombre de candidats a soudainement grimpé.
La littérature de l’ère Taishô (1912-1926) avait tendance à dépeindre la vie d’un ouvrier d’usine comme s’apparentant au travail forcé. Mais la mission de la filature de soie de Tomioka, propriété et exploitation du gouvernement, était de présenter les dernières technologies occidentales et de former les travailleurs qui deviendraient plus tard des enseignants dans d’autres usines du pays. Cet aspect éducatif a attiré des travailleuses issues de lignées de samouraïs et d’autres familles prestigieuses à travers le pays. Certaines, dit-on, venaient même de la noblesse. Pour ces raisons, les ouvrières étaient appelées les « princesses de la soie » par la population locale.
La filature de soie de Tomioka a été la première usine du Japon à introduire le concept de la semaine de travail, le dimanche étant chômé. Le travail de nuit était interdit et l’accent était mis sur la création d’un environnement propice à la formation. Le bien-être des employés était aussi un des nouveaux concepts introduits à l’usine, qui disposait d’une clinique médicale gratuite sur place. L’une des apprenties, employée peu de temps après l’ouverture de la filature, écrira plus tard son expérience dans « Le journal de Tomioka », un récit vivant de l’apprentissage des nouvelles technologies occidentales, et d’une interaction agréable avec les instructeurs français. Loin de l’image dramatique d’un site de travail forcé, la filature de soie de Tomioka était en réalité un lieu de labeur très attractif pour les jeunes japonaises de l’époque.
Une préservation intacte pour devenir un site du patrimoine mondial
Brunat et les autres étrangers qui avaient été impliqués dans la filature de soie de Tomioka depuis sa création ont quitté les lieux en 1876, lors de sa quatrième année de fonctionnement. Par la suite, l’usine gouvernementale a été exploitée uniquement par du personnel japonais. La qualité des produits était valorisée avant tout, et durant quelques années, la fabrique ne faisait pas de bénéfices, mais la filature a rapidement réussi dans son objectif initial : améliorer la réputation mondiale de la soie brute japonaise. Des moulins à bobines similaires ont vu le jour dans d’autres parties du pays, et les jeunes femmes issues de ces régions ont ainsi pu travailler dans leur ville natale après avoir été formées à Tomioka.
Après avoir atteint cet objectif, la filature a été vendue par le gouvernement à la famille Mitsui en 1893, avant d’être acquise par la société Hara en 1902. En 1939, elle fusionne avec la Katakura Silk Spinning Co. (aujourd’hui Katakura Industries), plus grand fabricant de soie brute japonais de l’époque. Pendant plus d’un siècle, la filature de soie de Tomioka est resté à la pointe de l’industrie, introduisant de nouvelles machines et continuant ses opérations jusqu’en 1987.
Avant de faire don de la fabrique en 2005, Katakura Industries a dépensé des sommes importantes pour préserver ce précieux endroit en tant que symbole de la modernisation du Japon, promettant de ne jamais vendre, prêter ou détruire les bâtiments historiques. En juin 2014, le filature de soie de Tomioka et les sites associés ont été classés au patrimoine mondial de l’Unesco.
(Voir les 23 sites japonais inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco)
La filature de soie de Tomioka
- Adresse : 1-1 Tomioka, Tomioka-shi, Gunma-ken
- Heures d’ouverture : de 9 h à 17 h (dernière entrée à 16 h 30). Fermé du 29 au 31 décembre.
- Tarifs : adultes, 1 000 yens, lycéens et étudiants universitaires, 250 yens, élèves du primaire et collégiens, 150 yens.
- Frais de location de l’audioguide : 200 yens. Disponible en français.
(Photos de Nippon.com, sauf mentions contraires. Photo de titre : l’entrepôt à cocons Est de la filature de soie de Tomioka)