Les leçons du scandale Johnny Kitagawa ont-elle été réellement tirées ?

Société

Le scandale lié aux abus sexuels impliquant Johnny Kitagawa (décédé en 2019 sans avoir été inquiété par la justice) a ébranlé le monde du divertissement japonais. Suite au démantèlement de la grande agence artistique Johnny & Associates et à sa restructuration en de nouvelles entités, une question demeure : les figures influentes du milieu du show-biz et des médias sont-elles réellement prêtes à s’attaquer au vice qui croupissait dans cette entreprise ?

Réformes sincères ou simple façade ?

Le 7 mars 2023, la BBC diffusait un documentaire intitulé Predator : The Secret Scandal of J-Pop, première émission télévisée à révéler publiquement les abus sexuels commis par Johnny Kitagawa sur de jeunes garçons. Kitagawa, mort en 2019, était le fondateur et président de l’agence artistique d’idoles masculines Johnny & Associates.

À la suite de cette enquête, une commission indépendante mandatée par Johnny & Associates (depuis rebaptisée Smile-Up) et dirigée par l’avocat Makoto Hayashi (ancien procureur général) a confirmé fin août 2023 que Kitagawa avait bel et bien abusé sexuellement de jeunes talents. Cette révélation a porté un coup fatal à l’entreprise, forçant sa direction à organiser une conférence de presse le 7 septembre de la même année.

Parmi les intervenants figuraient l’ancienne présidente de l’agence, Julie Fujishima, son successeur Higashiyama Noriyuki, ainsi qu’Inohara Yoshihiko, président de la filiale Johnny’s Island.

(De gauche à droite : Inohara Yoshihiko, président de Johnny’s Island, Higashiyama Noriyuki, président de Johnny & Associates, l’ancienne présidente Julie Fujishima et l’avocat Hiroshi Kimeda, lors d’une conférence de presse du 7 septembre 2023  à Tokyo. © Jiji)
(De gauche à droite : Inohara Yoshihiko, président de Johnny’s Island, Higashiyama Noriyuki, président de Johnny & Associates, l’ancienne présidente Julie Fujishima et l’avocat Hiroshi Kimeda, lors d’une conférence de presse du 7 septembre 2023 à Tokyo. © Jiji)

En larmes, Julie Fujishima a déclaré : « Il s’agit des actes de mon oncle, et en tant que nièce, j’en prends l’entière responsabilité. » Higashiyama Noriyuki, protégé de longue date de Kitagawa, a quant à lui qualifié ces actes d’atroces.

Le 2 octobre, ce dernier et Inohara Yoshihiko ont tenu une seconde conférence de presse, lors de laquelle ils ont réitéré leurs excuses. Jusque-là, la direction de Johnny & Associates avait toujours évité de répondre aux médias, cultivant une certaine culture du secret. Cette prise de parole semblait donc marquer un tournant. Ils ont à cette occasion promis d’indemniser les victimes au-delà des exigences légales et annoncé qu’une fois ces indemnisations réglées, l’agence serait dissoute et ses activités transférées à une nouvelle entité, sans aucun lien avec Julie Fujishima et la famille Kitagawa. Une volonté de réforme sincère semblait alors émerger.

Un retour à l’opacité ?

(Fukuda Atsushi, PDG de Starto Entertainment, s’adressant aux journalistes le 9 décembre 2023 à Tokyo. © Jiji)
(Fukuda Atsushi, PDG de Starto Entertainment, s’adressant aux journalistes le 9 décembre 2023 à Tokyo. © Jiji)

Dès novembre 2023, le vent a commencé à tourner. Il a été décidé que Fukuda Atsushi, ancien président d’une filiale de Sony Entertainment, prendrait la tête de la nouvelle agence baptisée Starto Entertainment.

En décembre, Fukuda s’est seulement exprimé auprès d’une poignée de journaux et d’agences de presse, sans jamais organiser de véritable conférence de presse.

En avril 2024, Starto a officialisé la signature de contrats avec 295 artistes issus de Johnny & Associates, regroupés en 28 groupes, avec un capital initial de 10 millions de yens (65 000 euros). Bien qu’il soit dit que ces fonds proviennent des dirigeants et des employés, aucun détail n’a été divulgué.

Ce manque de transparence a par conséquent alimenté les spéculations dans le milieu du divertissement : certains soupçonnent que les fonds initiaux, ainsi que plusieurs millions de yens nécessaires aux opérations de Starto, aient été fournis ou garantis par Julie Fujishima. Si ces financements étaient avérés, Starto ne serait donc qu’une simple version rebaptisée de Johnny & Associates, ce qui mettrait en cause la sincérité des dirigeants ainsi que leurs démarches.

L’organisation d’une conférence de presse permettrait de dissiper ces doutes, mais Fukuda n’a montré aucun signe allant dans ce sens. Pire, l’agence semble renouer avec la culture opaque et isolée de son prédécesseur.

Des indemnisations progressent, mais les critères restent flous

De son côté, Julie Fujishima reste à la tête de l’ancienne agence (Johnny & Associates, devenue Smile-Up en octobre 2023). Désormais, cette structure ne se consacre plus qu’à l’indemnisation des victimes.

Au 13 décembre 2024, 1 008 personnes avaient signalé des abus. Parmi elles, 538 avaient conclu un accord d’indemnisation, 215 avaient reçu une réponse négative, 237 étaient injoignables et 9 faisaient encore l’objet d’une évaluation. Cependant, l’agence n’a pas révélé les critères exacts définissant ces indemnisations.

Les médias réclament davantage de transparence, mais ni Fujishima ni Higashiyama ne semblent disposés à organiser une conférence de presse. Jusqu’à présent, ils ne se sont exprimés qu’au moment où la pression publique était à son comble.

Récemment, certains plaignants ont engagé des procédures d’arbitrage ou intenté des poursuites contre Smile-Up, y compris aux États-Unis, où une plainte a été déposée à Las Vegas.

Starto, une posture rigide envers les médias

La nouvelle agence Starto semble adopter une posture inflexible envers les chaînes de télévision, ce qui rappelle très fortement les pratiques de Johnny & Associates. Un exemple frappant : son retrait du Kôhaku Uta Gassen, l’émission musicale emblématique du Nouvel An diffusée par la NHK.

Lorsque j’ai interrogé un membre du personnel de production de la NHK, celui-ci m’a confié que le producteur en chef du Kôhaku négociait avec Starto bien avant l’annonce d’octobre. Cependant, les discussions se sont rapidement tendues sur le nombre d’artistes que l’agence souhaitait faire participer.

L’équipe de production du Kôhaku avait proposé d’inclure le groupe d’idoles Snow Man ainsi qu’un autre groupe affilié à Starto. Depuis septembre 2023, aucun artiste de l’agence n’était apparu dans une nouvelle émission de la NHK, et compte tenu du fait que la participation aux programmes de la chaîne publique est l’un des critères de sélection pour l’événement, cette proposition – qui représentait environ un dixième des 21 groupes retenus – ne semblait pas déraisonnable. D’autant plus que, de 1997 à 2008, seuls un ou deux groupes de Johnny & Associates étaient conviés chaque année.

Starto, toutefois, réclamait la présence de trois à quatre groupes sur scène. Si cette exigence pouvait sembler excessive, elle se justifiait par le fait qu’en 2022, avant que la NHK ne cesse d’inviter les artistes de Johnny & Associates, six groupes avaient été sélectionnés.

Les négociations entre la NHK et Starto se sont compliquées le 20 octobre 2024, date à laquelle la NHK a diffusé un reportage spécial sur Johnny Kitagawa et son « empire des idoles ». Le programme montrait notamment une scène où un représentant de Smile-Up, chargé des indemnisations, s’adressait froidement à la famille d’une victime, ce qui n’a pas manqué de ternir l’image de Smile-Up et de Starto. Cependant, ce qui a le plus agacé l’agence, selon les informations recueillies, c’est la critique ouverte du reportage envers Wakaizumi Hisaaki, un conseiller de l’agence issu de Johnny & Associates. Wakaizumi, ancien réalisateur à la NHK, avait autrefois dirigé le département de production de la chaîne.

Suite > Des critiques contre Starto venues d’autres agences

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