Les foires à la patate douce attirent les foules
Les Japonais adorent les patates douces (satsuma-imo). En automne, la saison des récoltes, des fêtes de la patate douce se tiennent un peu partout dans le pays. La préfecture de Shizuoka a même organisé une deuxième « Expo Patate » en novembre 2024, après le succès de la première en mars.« Ce succès est dû à la grande variété de produits que nous proposons, allant de la patate extra sucrée rôtie aux friandises innovantes diverses », jugent les organisateurs.
La ville Kawasaki, près de Tokyo, a quant à elle tenu une « Super foire à la patate » en novembre, avec une quinzaine de fabricants spécialisées en friandises à la patate douce venant de tout le Japon. Des ateliers sur la récolte et le tri des patates ont également été proposés. « Les patates douces ne sont pas une mode passagère, elles se frayent un chemin pour avoir leur place dans la culture culinaire du Japon », disent les responsables de l’événement.

Les foules à l’Expo d’été de la patate douce, à Saitama. (Avec l’aimable autorisation du Comité organisateur du festival de la patate douce)
Un produit importé puis « japonisé »
Mais d’où viennent les patates douces ? Selon le site du ministère de l’Agriculture, leurs origines remontent aux régions tropicales de l’Amérique centrale et latine, notamment le Mexique. Elles auraient déjà été cultivées entre 800 et 1 000 ans avant notre ère dans la partie centrale des Andes. Christophe Colomb en rapporta d’Amérique à la fin du XVe siècle, mais le climat européen ne leur convenait pas. Elles ont cependant été diffusées dans les colonies d’Afrique, d’Inde et de l’Asie du Sud-Est, pour être acheminées au Japon vers 1600, par la Chine. D’abord introduites dans les îles Ryûkyû (Okinawa aujourd’hui), elles débarquent ensuite dans la région de Satsuma, sur l’île de Kyûshû (sud-ouest), ce qui leur a valu d’être baptisées satsuma-imo, littéralement « patate de Satsuma ». On les appelle aussi parfois kara-imo, Kara étant l’un des noms de l’ancienne Chine, ou même kansho, qui se rapproche de leur nom chinois, gānshǔ.
La consommation de patates douces se diffuse à travers l’archipel nippon. Selon Hashimoto Ayuki, président de l’Association pour la promotion des patates douces, la culture de patates douces pour éviter les famines aurait pris un essor durant l’époque d’Edo (1603–1868) grâce à l’engouement du huitième shôgun, Tokugawa Yoshimune (1684-1731), pour un livre sur le sujet écrit par Aoki Konyô, un expert en études hollandaises.
On observe un premier engouement en 1793 lorsque des patates douces rôties appelées yaki-imo sont mises en vente dans le quartier de Hongô Yon-chôme d’Edo. Après la Restauration de Meiji en 1868, la population de Tokyo croît rapidement, et les gens apprécient cet aliment bon marché et délicieux, enclenchant un deuxième engouement qui s’estompe avec l’arrivée des sucreries occidentales au début de l’ère Taishô (1912-1926). Cependant, un troisième boom démarre dans les années 1950 quand des vendeurs ambulants se mettent à sillonner les quartiers résidentiels avec des remorques, proposant des patates douces rôties à la pierre chaude. Selon Hashimoto « les gens aimaient le côté pratique de les acheter devant leur porte ». La demande a baissé avec l’arrivée des supermarchés et des supérettes konbini, mais la commercialisation d’une machine électrique pour rôtir les patates douces en 2010 a lancé une sorte de quatrième boom. Avec l’arrivée de l’annô-imo, une nouvelle variété de patates plus fondante et plus sucrée, la popularité de la satsuma-imo se maintient.
Du positif dans les exportations
La patate douce évolue avec les goûts des consommateurs. Selon le Ministère de l’agriculture, la variété la plus cultivée en ce moment est la beni haruka qui a une consistance plutôt moelleuse. La région de Tokyo et ses environs favorisent la beni azuma avec sa consistance plus farineuse, tandis que la kôkei 14 gô (« kôkei numéro 14 »), avec un bon équilibre entre le farineux et le moelleux, est populaire dans le Kansai (Osaka et ses environs) et dans la partie sud de l’île de Kyûshû. Il existe aussi des variétés régionales à base du kôkei 14 gô comme la gorôjima kintoki (préf. Ishikawa), la naruto kintoki (préf. Tokushima), la miyazaki beni (préf. Miyazaki), et la beni satsuma (préf. Kagoshima).
La patate douce annô-imo, qui a engendré le boom actuel, nous vient de Tanegashima (préf. Kagoshima), où l’on a adapté une variété importée d’Indonésie après la guerre. Constatant l’augmentation de la demande et la nécessité de mettre en place un système adéquat de ventes, deux variétés sont retenues en 1998 ; l’annô beni à peau rouge, et l’annô kogane, à peau jaune pâle. Les deux variétés sont inscrites en 2022 en tant que patates douces de Tanegashima dans la liste nationale des appellations, ou indications géographiques.
Face à cette envolée de la demande, Hokkaidô a aussi fortement remonté sa production de patate douce. La superficie de culture était de 100 hectares en 2023, une multiplication par 7,1 en dix ans. Durant la même période, le volume de production a été multiplié par 6,7 pour atteindre 1 870 tonnes par an. Si le réchauffement climatique a rendu possible la culture des patates douces dans la préfecture la plus septentrionale du pays, l’administration a rajouté l’aliment à sa liste de nouveaux produits stratégiques, et œuvre au renforcement de sa culture.
On remarque aussi un engouement pour les patates douces japonaises à l’étranger. Selon des chiffres compilés par le ministère de l’Agriculture à partir des statistiques d’exportation publiées par le ministère des Finances, la valeur des exportations de patates douces a été multipliée par 9,4 en dix ans, pour atteindre 2,9 milliards de yens en 2023 (18 millions d’euros). Les patates douces occupent maintenant la troisième place dans l’exportation des fruits et légumes japonais, après les fraises et les ignames de Chine. Hong Kong, la Thaïlande et Singapour représentent 90 % des exportations. La demande venant de Thaïlande s’accroît de façon particulièrement importante. Pour les producteurs japonais, cette demande venant d’Asie stimulera sans doute le marché de l’exportation de façon importante.

Froides, ou utilisées dans les confiseries nippones
Au Japon, la yaki-imo, ou patate douce rôtie, reste très populaire. « Summit », une chaîne de supermarchés qui opère à Tokyo ainsi que dans les trois préfectures voisines de Kanagawa, Chiba, et Saitama, propose la variété annô-imo et sélectionne en plus un à trois autres produits selon les saisons, comme par exemple, la beni haruka, silk sweet, naruto kintoki ou gorôjima kintoki. Les magasins prennent aussi la peine de publier les heures auxquelles les patates douces fraichement rôties sont disponibles, et selon le responsable de la publicité, « le succès est au rendez-vous et de nombreux clients viennent expressément à ces heures-là ».

Des patates douces yaki-imo fraichement rôties dans un supermarché. (Avec l’aimable autorisation de la chaîne de magasins Summit)
À côté des yaki-imo classiques consommées surtout en hiver, la vente de yaki-imo refroidies en plein été suscite aussi de l’interêt. La grande chaîne de konbini Family Mart par exemple en propose. Il s’agit de beni haruka mûris pendant plus de 90 jours. « Les consommateurs apprécient le goût naturel de la patate douce, l’arôme de la peau rôtie et son côté doux-amer », explique un responsable de la publicité.
Les fabricants de confiserie s’y mettent également. L’entreprise Imuraya (préf. Mie) propose un yôkan (dessert en gelée) à la patate douce préparée avec des beni haruka, tandis que Matsunaga Seika (préf. Kagoshima) propose une variante de ses gâteaux « Shiruko sando » fabriquée avec de l’annô-imo locale.

Des confiseries japonaises à la patate douce (© Kume Chikuma)
De même, dans le cadre d’une campagne de promotion des produits japonais, la chaîne de cafés Tully’s Coffee Japan avait proposé en édition limitée trois cafés de saison, comme un latte à la patate douce, à la fin de l’été dernier.
Hashimoto Ayuki, président de l’Association pour la promotion des patates douces, pense qu’avec le développement et la commercialisation de nouveaux produits, « l’évolution de la patate douce vers un produit premium est en train de la faire passer d’un aliment de saison à un aliment consommé toute l’année. On peut anticiper une demande soutenue dans les années à venir ».
(Photo de titre : des patates douces rôties beni haruka. Pixta)