Quand gourmandise rime avec plaisir

La « fausse » cuisine japonaise, un véritable succès à l’étranger

Gastronomie Tourisme Échanges internationaux

Si la cuisine japonaise traditionnelle est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, à l’étranger néanmoins, elle s’est parfois transformée pour s’adapter aux goûts locaux. Découvrons quelques exemples de ces mets pseudo-nippons.

Les râmen envahissent l’Europe

Les râmen nippons connaîssent aussi de multiples variantes à l’étranger. Ses origines sont chinoises, certes, mais le râmen est entièrement intégré dans la cuisine de l’Archipel et connaît une popularité importante à travers l’Asie et même en Europe.

En automne 2022, j’étais à une exposition autour du manga Naruto au Musée de la BD de Bruxelles. Les visiteurs étaient de tous les âges et un Canadien m’a dit que c’était par le biais des mangas que les fans avaient pris connaissance de mets tels le râmen, le sushi et le curry japonais. Ceci confirme que les animes ont servi de moteur à l’engouement pour la gastronomie japonaise.

Un livre sur le râmen en vente à la boutique du Musée de la BD de Bruxelles.
Un livre sur le râmen en vente à la boutique du Musée de la BD de Bruxelles.

Les amateurs font la queue devant le food truck « Naruto » à la Foire de Francfort, durant l'été 2023. (© Segawa Midori)
Les amateurs font la queue devant le food truck « Naruto » à la Foire de Francfort, durant l’été 2023. (© Segawa Midori)

Depuis quelques années les restaurants de râmen se multiplient à Francfort. Muku, dont le propriétaire, Yamamoto Shinichi, est japonais, est particulièrement réputé et a même été invité temporairement pour une « importation inversée » au Musée du râmen de Yokohama. Le râmen de Muku est un vrai de vrai, avec un goût bien de chez nous, et il s’allie bien au saké et au vin.

Notons cependant que tous les restaurants « japonais » ne sont pas à la recherche de l’authenticité. Selon Segawa Midori, une Japonaise résidant à Francfort, « à première vue, on dirait des râmen mais le bouillon n’a pas de goût et la soupe est drôlement sucrée. Ça n’a rien à voir avec le vrai râmen du Japon, et ils rajoutent même du poulet frit ! ».

L’hiver dernier, lors d’un voyage en Italie, je suis tombée sur un plat appelé gyôza râmen dans le restaurant Wagamama, situé dans la gare centrale de Rome. Toute contente à l’idée de manger japonais, j’ai commandé leur spécialité, mais elle n’avait rien à voir avec du râmen ou des gyôza…

Déjà, au lieu de servir les gyôza à part, ils étaient posés en garniture sur les râmen. La description dans le menu était du râmen garni de gyôza, de chou chinois grillé, d’oignons et de coriandre, avec une sauce soja, huile pimentée, sésame et pâte de sambal (purée de piments) en accompagnement. La purée de sambal est la base de la cuisine malaisienne, le goût venait donc bien d’Asie, mais ce n’était en rien un râmen japonais.

L’ouverture du premier Wagamama, à Londres, date de 1992, et la chaîne possède désormais 150 restaurants dans 22 pays à travers l’Europe. Toutefois, les Japonais résidants en Italie n’en sont pas réellement amateurs.

Le menu du restaurant Wagamama dans la gare de Rome. Le gyôza râmen correspond au plat au centre.
Le menu du restaurant Wagamama dans la gare de Rome. Le gyôza râmen correspond au plat au centre.

Tanaka Toshiyuki a été chef sushi en Italie jusqu’en 2016, et il travaille maintenant à Sushi Kinmedai, un restaurant japonais haut de gamme à Kuala Lumpur. Il explique un peu les tenants et les aboutissants de la cuisine nippone en Europe : « Contrairement à la France, où la gastronomie japonaise est bien connue à Paris, les Italiens ne font pas vraiment la différence entre la cuisine japonaise et la cuisine chinoise. La plupart des gens pensent que c’est tout simplement de la cuisine asiatique ».

Tanaka souligne que la manque de disponibilité d’ingrédients authentiques pose un problème pour créer un véritable goût japonais. « Les règlements sanitaires à l’importation sont très sévères en Europe, et ça peut être vraiment compliqué d’obtenir les ingrédients nécessaires pour préparer une cuisine japonaise authentique ».

Le « faux chinois » du Japon

Pour la population locale, certaines saveurs de la cuisine japonaise traditionnelle peuvent également être difficiles à accepter. Le sociologue Kurasawa Sai qui a enseigné au début des années 2010 à l’université de Dacca, au Bangladesh, m’a raconté l’histoire suivante :

« L’ambassade du Japon avait invité une cinquantaine de notables locaux à goûter à la gastronomie japonaise. Les plats étaient à base de bouillon dashi et les invités se sont exclamés que le repas était délicieux et aussi équilibré. Mais ce n’était pas tout à fait vrai. J’ai bien compris, ayant discuté avec des personnes qui avaient été présentes, que pour les Bangladais, qui ont l’habitude d’une cuisine bien épicée, le repas avait été un peu fade. »

Les Japonais ont tendance à regarder de travers ce qu’ils considèrent comme de la « fausse cuisine japonaise » mais ils oublient sans doute qu’ils en sont eux-mêmes les maîtres, ayant remanié la cuisine du monde entier à leur goût.

Par exemple, quand on évoque la cuisine chinoise, beaucoup de Japonais pensent immédiatement à des plats tels le tenshinhan (omelette de crabe au riz) ou le chûkadon (un bol de riz garni de porc, de fruits de mer et de légumes). Mais un Chinois vous dirait tout de suite que ces mets n’existent pas en Chine. Et même la véritable cuisine chinoise au Japon peut parfois paraître à côté de la plaque à quelqu’un qui connaît la version authentique.

L’autre jour, un homme d’affaires chinois qui habite Tokyo m’a dit que les ingrédients du babaocai, un plat typique de légumes sautés, ou du porc remis au wok Huí Guô Ròu, n’étaient pas du tout les mêmes au Japon qu’en Chine.

Le « faux japonais » que l’on trouve à l’étranger est sans doute bien différent de l’original, et pourrait créer des malentendus sur ce qu’est la véritable cuisine japonaise. En revanche, le fait de réimaginer des plats japonais au goût d’ailleurs peut donner des résultats inattendus et délicieux. Cela permet de découvrir d’autres cultures, et pourrait s’avérer utile pour inciter plus d’étrangers à visiter le Japon, et aussi pour développer la restauration japonaise à travers le monde.

(Toutes les photos : © Himeda Konatsu, sauf mentions contraires)

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