Bilan japonais des Jeux de Paris : de belles rencontres avec des entraîneurs étrangers et la crise des « sports maison »

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Ikushima Jun [Profil]

Maintenant que le Japon a terminé haut la main ses Jeux olympiques de Paris, se positionnant à la troisième place, nous pouvons constater que certains champions japonais ont pu briller grâce à la présence d’entraîneurs étrangers. D’un autre côté, les « sports maison », qui maintiennent une sélection et une formation d’athlètes selon les structures traditionnelles, voient leur nombre de pratiquants diminuer.

Les « sports maison » qui montrent la « voie japonaise »

Si certaines disciplines ont été marquées par d’heureuses rencontres avec des entraîneurs étrangers, il y en a d’autres comme la gymnastique, le judo et la lutte, qui ont obtenu des résultats grâce aux conseils d’entraîneurs japonais, dans le respect de la tradition. Tous ces sports sont considérés comme des « sports maison ».

Aux Jeux de Tokyo en 1964, la gymnastique et la lutte avaient remporté 5 médailles d’or chacune, tandis que le judo avait remporté l’or dans 3 catégories sur 4. Dans ces Jeux de Paris, la gymnastique et le judo ont remporté 3 médailles d’or chacun et la lutte 8. Ces disciplines ont connu des hauts et des bas au cours des 60 dernières années, mais chacune est le résultat d’une politique d’entraînement spécifique.

Gymnastique masculine : Oka Shinnosuke à la barre fixe lors du concours général individuel. En plus de cette épreuve, il a également remporté l’or au concours général par équipes, et le bronze aux barres parallèles, à Paris, le 31 juillet 2024. (Reuters)
Gymnastique masculine : Oka Shinnosuke à la barre fixe lors du concours général individuel. En plus de cette épreuve, il a également remporté l’or au concours général par équipes, et le bronze aux barres parallèles, à Paris, le 31 juillet 2024. (Reuters)

Depuis les années 1970, la gymnastique japonaise se concentre sur la formation d’athlètes polyvalents et continue à le faire de manière cohérente. Alors que le reste du monde se concentre sur l’entraînement de spécialistes dans chaque discipline, comme les anneaux ou le cheval d’arçons, qui exigent puissance et équilibre, le Japon a formé des athlètes capables de concourir dans six disciplines. Ce n’est pas une coïncidence si le Japon a eu quatre champions individuels du concours général d’affilée, avec Uchimura Kôhei, Hashimoto Daiki et aujourd’hui Oka Shinnosuke. Le perfectionnisme du Japon, avec ses athlètes polyvalents et l’attention portée à la beauté du moindre détail, fait figure de leader dans le monde.

Bien que le nombre de médailles d’or en judo soit tombé de 9 à Tokyo, à 3 à Paris, le Japon a sauvé l’honneur en tant que pays d’origine de cet art martial. Le judo japonais ne consiste pas seulement à gagner, mais à gagner correctement et avec beauté. Comme le dit Ôno Shôhei, qui a remporté successivement les Jeux de Rio de Janeiro et de Tokyo :

« Je projette mes adversaires et je fascine les spectateurs. Ce que je cherche, c’est de donner l’exemple de la perfection au judo aux Jeux olympiques, non seulement pendant le match, mais jusque dans la façon dont je salue en quittant le tatami. »

Mais lors des Jeux olympiques de Paris le Japon a cependant dû ravaler ses larmes à propos de certaines décisions délicates, et la question est de savoir comment combler le fossé entre le « judô – Voie de la souplesse » et le sport international qu’est aujourd’hui le « JUDO ».

Judo masculin : Nagayama Ryûju a remporté la médaille de bronze dans la catégorie des 60 kg après avoir perdu sur une décision inexplicable en quart de finale, Paris, 27 juillet 2024. (Reuters)
Judo masculin : Nagayama Ryûju a remporté la médaille de bronze dans la catégorie des 60 kg après avoir perdu sur une décision inexplicable en quart de finale, Paris, 27 juillet 2024. (Reuters)

La lutte est intéressante de ce point de vue. Jusqu’à présent, le Japon s’était spécialisé dans la lutte libre, mais cette fois-ci, il a également remporté deux médailles d’or en lutte gréco-romaine. Akaishi Mitsuo, directeur sportif au sein de la fédération, analyse les résultats :

« Je pense que la lutte libre peut rester au Japon. Les succès en lutte gréco-romaine sont le résultat de compétences que les athlètes sont allés acquérir lors de camps d’entraînement avec des étrangers à l’étranger. »

Lutte masculine : Hisashi Kusaka remporte la médaille d’or en style gréco-romain 77kg. Il devient le plus lourd médaillé de l’histoire de la lutte japonaise, à Paris, le 7 août 2024. (Jiji Press)
Lutte masculine : Hisashi Kusaka remporte la médaille d’or en style gréco-romain 77kg. Il devient le plus lourd médaillé de l’histoire de la lutte japonaise, à Paris, le 7 août 2024. (Jiji Press)

Diminution inéluctable du nombre d’athlètes

Dans le même temps, ces « sports maison » sont confrontés à un défi majeur : la diminution du nombre d’athlètes juniors. Comparons le nombre de pratiquants dans les clubs scolaires section lycées, en 2013 et en 2023.

Gymnastique masculine

  • 2013 : 2 455 pratiquants
  • 2023 : 1 689 pratiquants

Judo masculin

  • 2013 : 18 719 pratiquants
  • 2023 : 10 825 pratiquants

Lutte masculine

  • 2013 : 2 343 pratiquants
  • 2023 : 1 722 pratiquants

Le problème de la baisse de la natalité auquel est confronté le Japon a pour conséquence une baisse générale d’environ 10 % en 10 ans de pratiquants dans quasiment tous les sports. Cependant, la baisse des pratiquants en judo masculin atteint de plus de 40 %, et en gymnastique et en lutte, dont le nombre de pratiquants est déjà beaucoup plus faible, la baisse est d’environ 30 %. Cela peut devenir un problème majeur à l’avenir et l’on ne peut s’empêcher d’être inquiets quant au nombre de jeunes talents capables de concourir sur la scène mondiale qui émergeront à l’avenir.

En ce qui concerne le maintien de la compétitivité, le cas d’Oka, qui a remporté trois médailles d’or en gymnastique, est instructif. Oka a abandonné le lycée à l’âge de 15 ans en raison de l’environnement d’entraînement et a rejoint le prestigieux club de gymnastique Tokushûkai tout en poursuivant le programme scolaire général par correspondance. Depuis, il a reçu une formation d’élite. Il n’est pas impossible que ce type de parcours se multiplie dans l’avenir pour des individus dont le potentiel aura été reconnu.

Les athlètes de deuxième génération sont très présents dans les domaines du judo et de la lutte. Saitô Hitoshi, le père de Saitô Tatsuru, a été médaillé d’or aux JO de Los Angeles en 1984 et aux JO de Séoul en 1988 dans la catégorie des plus de 100 kg. Motoki Yasutoshi, le père de Motoki Sakura, qui a remporté la médaille d’or en lutte féminine dans la catégorie des 62 kg aux Jeux olympiques de Paris, était sélectionné aux Jeux olympiques de Sydney en 2000.

Lutte féminine : Motoki Sakura remporte l’or dans la catégorie des 62 kg. Une belle réussite pour sa première participation aux Jeux olympiques à Paris, le 10 août 2024. (Reuters)
Lutte féminine : Motoki Sakura remporte l’or dans la catégorie des 62 kg. Une belle réussite pour sa première participation aux Jeux olympiques à Paris, le 10 août 2024. (Reuters)

Alors que le nombre total d’athlètes diminue, la situation actuelle au Japon est marquée par ces exemples d’athlètes d’élite qui ont connu la compétition comme une « tradition familiale »dès leur plus jeune âge.

Compte tenu de la situation actuelle, il pourrait être nécessaire de renforcer l’éducation de cette élite et maintenir ces traditions familiales à l’avenir. À condition toutefois qu’ils se tiennent au courant des techniques d’entraînement ou d’arbitrage les plus avancées, non seulement au Japon, mais également dans le reste du monde. Toutes sortes d’investissements seront nécessaires pour préserver la bonne volonté des maisons établies de longue date.

(Photo de titre : Kitaguchi Haruka partage sa joie avec son entraîneur Sekerak après avoir remporté le javelot féminin en athlétisme, le 10 août 2024, à Saint-Denis. Jiji Press)

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Ikushima JunArticles de l'auteur

Journaliste sportif, né en 1967 à Kesennuma (Miyagi). Diplomé de sociologie de l’Université Waseda. Commence à faire publier ses écrits parallèlement à une carrière chez Hakuhôdô, l’une des plus grandes agences de publicité du Japon. Prend son indépendance en 1999. Réalise des enquêtes sur les Major Leagues de base-ball américaines, la NBA, et commente des rencontres sportives à la télévision japonaise. Parmi ses nombreux livres : Dialogues avec Eddie Jones (éd. Number), Le relais marathon Hakone ekiden (éd. Gentôsha shinsho), etc.

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