Quand un scandale de fraude généralisée souille l’image de l’industrie automobile japonaise

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Ôtani Tatsuya [Profil]

En juin 2024, cinq fabricants de véhicules japonais ont été accusés d’avoir falsifié des tests de sécurité pour obtenir les certifications nécessaires à la commercialisation de leurs produits, ce qui a ébranlé l’industrie automobile nippone, généralement perçue comme fiable et digne de confiance, tant au Japon qu’à l’étranger. Voici plusieurs éléments de compréhension de cette affaire.

Les principes fondamentaux des critères d’évaluation

Certaines voix, principalement dans les médias automobiles, ont montré une sympathie (parfois mal placée) envers les fabricants de voitures. Ces commentateurs soutiennent que les compagnies nippones prennent la sécurité très au sérieux, en établissant parfois des normes plus strictes que celles requises par la loi, et que déclarer cela comme de la fraude serait un abus de pouvoir de la part des agences gouvernementales.

Les tests de collision arrière de Toyota sont cités comme exemple. Toyota indique que, au lieu de projeter sur leurs véhicules une barrière mobile ayant une masse standard de 1 100 ± 20 kilogrammes, ils ont utilisé une barrière de 1 800 kilogrammes. Bien que Toyota ait admis des irrégularités, certains médias se sont moqués de la décision des autorités de classer l’utilisation d’un test plus strict que la norme en tant que forme de fraude. Je ne suis pas en mesure de dire si le fait d’effectuer ces essais avec une barrière pesant 1 800 kilogrammes plutôt que 1 100 améliore ou nuit à la sécurité. Cependant, le Japon n’a pas établi la norme de 1 100 ± 20 kg de manière indépendante. Elle repose en effet sur des principes internationaux. En d’autres termes, les mêmes normes s’appliquent dans de nombreux autres pays, et leur uniformisation signifie qu’une fois qu’un fabricant a obtenu la certification de type dans son propre pays, il peut exporter des voitures à l’étranger sans répéter le processus dans les pays importateurs. C’est le principe fondamental derrière l’accord international, et bon nombre de ces normes ont été adoptées après avoir été débattues au cours du Forum mondial des Nations Unies pour l’harmonisation des règlements sur les véhicules (également appelé « WP.29 »).

Les tests de collision sur le Toyota Sienta (un modèle qui n'est désormais plus produit) ont été réalisés en utilisant une barrière mobile plus lourde que la norme. (© Toyota)
Les tests de collision sur le Toyota Sienta (un modèle qui n’est désormais plus produit) ont été réalisés en utilisant une barrière mobile plus lourde que la norme. (© Toyota)

Considérons ce qui pourrait se passer si les fabricants de voitures japonais testaient des véhicules en utilisant des normes développées indépendamment. Ils seraient soumis à des demandes des pays importateurs de ne pas exporter des voitures non fiables. Cela serait suicidaire pour les fabricants japonais, qui exportent entre 70 % et 90 % du total de leur production. Si les constructeurs nippons pensent encore qu’il est possible de garantir la sécurité en utilisant une barrière de 1 800 kilogrammes, ils devraient demander à la Commission économique pour l’Europe des Nations unies (CEE-ONU) de modifier la norme, actuellement proche de 1 100 kilogrammes, à 1 100 kilogrammes ou plus. De cette façon, l’utilisation d’une barrière plus lourde ne serait pas considérée comme une violation des règlements, et Toyota n’enfreindrait pas les règles.

Quoi qu’il en soit, la CEE-ONU a certainement des raisons parfaitement valides de fixer la masse de la barrière autour de 1 100 kilogrammes. Ignorer ce fait, et déclarer l’utilisation d’une barrière plus lourde comme meilleure pour la sécurité, ne peut être décrit que comme un raccourci grossier.

Toyota a admis s’être engagé dans des pratiques douteuses. Si, comme le prétend la presse, Toyoda Akio a vraiment déclaré : « Au Japon, il n’y a plus d’incitation à donner le meilleur de soi-même », il n’a sans doute pas voulu dire que les normes japonaises sont déraisonnablement strictes. Je soupçonne que Toyoda voulait tout simplement exprimer sa frustration par rapport à la relation actuelle entre l’industrie et les régulateurs, ainsi que par la façon dont certains médias ont attaqué les fabricants de voitures sans bien comprendre la nature de cette question.

Il est indéniable que certains fabricants japonais se sont livrés à des actes frauduleux. Afin de garantir que ce scandale ne ternisse pas la réputation internationale des entreprises japonaises, il est important que ces dernières fassent un effort d’investigation sérieux afin de comprendre leurs problèmes et de prévenir leur récurrence.

(Photo de titre : le PDG de Toyota, Toyoda Akio, s’addresse aux journalistes à Tokyo, le 3 juin 2024. Jiji)

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Ôtani TatsuyaArticles de l'auteur

Journaliste indépendant. À l’issue de ses études universitaires, il a travaillé comme ingénieur-chercheur chez un fabricant de produits électroniques jusqu’en 1990, année où il a intégré l’équipe de rédaction de Car Graphic, une revue consacrée à l’automobile, dont il est par la suite devenu rédacteur en chef adjoint. En 2010, il a quitté Car Graphic pour entamer une carrière de journaliste indépendant, et depuis lors, il écrit sur toutes sortes de sujets, depuis les véhicules de luxe jusqu’aux voitures ultra-légères keisha, tout en publiant d’innombrables reportages sur le sport automobile et les plus récentes avancées de la technologie. Outre qu’il figure parmi les juges de Car of the Year Japan (voiture de l’année Japon) 2021-2022, Ôtani Tatsuya est membre de l’Association japonaise des journalistes automobiles et de la Société des journalistes automobiles du Japon.

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