Quand un scandale de fraude généralisée souille l’image de l’industrie automobile japonaise

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En juin 2024, cinq fabricants de véhicules japonais ont été accusés d’avoir falsifié des tests de sécurité pour obtenir les certifications nécessaires à la commercialisation de leurs produits, ce qui a ébranlé l’industrie automobile nippone, généralement perçue comme fiable et digne de confiance, tant au Japon qu’à l’étranger. Voici plusieurs éléments de compréhension de cette affaire.

Des révélations qui ont choqué le monde entier

Le scandale des certifications frauduleuses de véhicules par Toyota, Honda, Mazda, Yamaha et Suzuki a éclaté le 3 juin 2024, touchant un total de 38 modèles. Toyota a été contraint de suspendre la production de trois de ses voitures, Mazda de deux, et Yamaha d’un. Les modèles concernés chez Suzuki et Honda ne sont plus en construction, ce qui leur a permis d’éviter l’arrêt de leur chaîne de production.

Bien que des fabricants de véhicules japonais avaient déjà commis des actes répréhensibles, c’est certainement la première fois qu’un si grand nombre d’entre eux sont identifiés ensemble pour de tels comportements. En effet, les entreprises nippones avaient jusque-là toujours joui d’une bonne réputation à l’international en raison de leur approche professionnelle face à la fraude. Alors les réactions de surprise à travers le monde à la découverte de ces tricheries sont donc parfaitement compréhensibles.

L’émergence d’allégations de mauvaise conduite a commencé en 2022, lorsque des révélations ont mis en lumière les pratiques inappropriées de Hino Motors, de Toyota Industries, de Daihatsu et d’autres fabricants concernant les certifications de type de véhicule. Le ministère du Territoire, des Infrastructures, des Transports et du Tourisme, responsable de ces certifications, a donc ordonné des enquêtes auprès de 85 entreprises, dont plusieurs fabricants de véhicules et d’appareils japonais. Un audit des dossiers a fini par conduire les cinq fabricants mentionnés à admettre des actes répréhensibles.

Chaque constucteur a été contraint d’examiner une grande quantité de documents : Toyota à lui seul a par exemple dû consulter plus de 7 000 dossiers couvrant une décennie entière. Étant donné qu’une certification de type implique des centaines d’essais individuels, cela représente au minimum des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de tests à analyser. Après avoir passé en revue toutes les données, des irrégularités ont été identifiées concernant 6 certifications de Toyota pour 7 modèles différents.

Sans cet ordre d’audit majeur réclamé par le ministère, il est peu probable qu’une telle révélation simultanée de la part de plusieurs fabricants se soit produite. De nombreux cas de mauvaise conduite auraient pu ainsi rester cachés et ne jamais être divulgués.

Toyota a annoncé le 5 juillet avoir terminé son enquête sur son processus de certification, qu’il avait jusqu’alors annoncée comme étant « en cours ». Cependant, le constructeur a ensuite été contraint de suspendre les expéditions des monospaces Noah et Voxy à la suite de l’identification par le ministère de cas de fraudes affectant 7 autres modèles. Enfin, le 31 juillet, le scandale a resurgi lorsque le ministère a ordonné à Toyota d’améliorer ses structures de gouvernance.

Les agents du ministère des Transports perquisitionnent les bureaux de Mazda, situés dans la préfecture de Hiroshima, en juin 2024. (Jiji)
Les agents du ministère des Transports perquisitionnent les bureaux de Mazda, situés dans la préfecture de Hiroshima, en juin 2024. (Jiji)

La complexité des processus en cause ?

Il est indéniable qu’un nombre considérable de fabricants automobiles japonais ont été complices de ces actes répréhensibles. J’ai contacté plusieurs constructeurs pour obtenir des explications, mais ils m’ont soit répondu qu’ils ignoraient tout, soit que l’affaire était encore en cours d’investigation. Pourquoi ont-ils du mal à expliquer leur conduite ? Sans doute à cause de la nature chronophage et coûteuse du processus de certification de type. En effet, le président du conseil d’administration de Toyota, Toyoda Akio, a déclaré lors d’une conférence de presse que la complexité du processus de certification était tel qu’il doutait que quinconque dans l’industrie, y compris lui-même, pouvait le comprendre pleinement.

Certains fabricants se montrent particulièrement mécontents de leur traitement par les autorités. Ainsi, lorsqu’ils demandent une certification, s’ils manquent à certains critères, il peut être très difficile d’obtenir une explication claire du problème. L’incapacité du ministère à énoncer clairement la raison d’un rejet entrave le bon déroulement du processus de certification.

Ceci étant dit, le ministère des Transports possède toute autorité sur l’industrie automobile, et Toyota ne pouvait pas prendre le risque de s’y opposer. Se plaindre de la complexité du processus lors d’une conférence de presse pour admettre des actes répréhensibles pourrait être interprété comme une mauvaise excuse. Il semble donc qu’en raison de cette dynamique, les fabricants de voitures n’ont pas pu exprimer leur mécontentement envers le ministère.

Il va sans dire qu’au Japon, la fabrication de véhicules est une industrie clé, véritable moteur de l’économie de l’Archipel. Les autorités, au lieu de simplement donner des ordres aux fabricants, devraient parfois envisager la question de leur point de vue. On m’a rapporté qu’en Europe et aux États-Unis, les constructeurs automobiles entretiennent une relation un peu plus coopérative avec les autorités réglementaires, et que les gouvernements s’efforcent de soutenir l’industrie. Bien que cette coopération existe également au Japon dans une certaine mesure, je pense que les autorités auraient davantage pu consulter les fabricants.

Les principes fondamentaux des critères d’évaluation

Certaines voix, principalement dans les médias automobiles, ont montré une sympathie (parfois mal placée) envers les fabricants de voitures. Ces commentateurs soutiennent que les compagnies nippones prennent la sécurité très au sérieux, en établissant parfois des normes plus strictes que celles requises par la loi, et que déclarer cela comme de la fraude serait un abus de pouvoir de la part des agences gouvernementales.

Les tests de collision arrière de Toyota sont cités comme exemple. Toyota indique que, au lieu de projeter sur leurs véhicules une barrière mobile ayant une masse standard de 1 100 ± 20 kilogrammes, ils ont utilisé une barrière de 1 800 kilogrammes. Bien que Toyota ait admis des irrégularités, certains médias se sont moqués de la décision des autorités de classer l’utilisation d’un test plus strict que la norme en tant que forme de fraude. Je ne suis pas en mesure de dire si le fait d’effectuer ces essais avec une barrière pesant 1 800 kilogrammes plutôt que 1 100 améliore ou nuit à la sécurité. Cependant, le Japon n’a pas établi la norme de 1 100 ± 20 kg de manière indépendante. Elle repose en effet sur des principes internationaux. En d’autres termes, les mêmes normes s’appliquent dans de nombreux autres pays, et leur uniformisation signifie qu’une fois qu’un fabricant a obtenu la certification de type dans son propre pays, il peut exporter des voitures à l’étranger sans répéter le processus dans les pays importateurs. C’est le principe fondamental derrière l’accord international, et bon nombre de ces normes ont été adoptées après avoir été débattues au cours du Forum mondial des Nations Unies pour l’harmonisation des règlements sur les véhicules (également appelé « WP.29 »).

Les tests de collision sur le Toyota Sienta (un modèle qui n'est désormais plus produit) ont été réalisés en utilisant une barrière mobile plus lourde que la norme. (© Toyota)
Les tests de collision sur le Toyota Sienta (un modèle qui n’est désormais plus produit) ont été réalisés en utilisant une barrière mobile plus lourde que la norme. (© Toyota)

Considérons ce qui pourrait se passer si les fabricants de voitures japonais testaient des véhicules en utilisant des normes développées indépendamment. Ils seraient soumis à des demandes des pays importateurs de ne pas exporter des voitures non fiables. Cela serait suicidaire pour les fabricants japonais, qui exportent entre 70 % et 90 % du total de leur production. Si les constructeurs nippons pensent encore qu’il est possible de garantir la sécurité en utilisant une barrière de 1 800 kilogrammes, ils devraient demander à la Commission économique pour l’Europe des Nations unies (CEE-ONU) de modifier la norme, actuellement proche de 1 100 kilogrammes, à 1 100 kilogrammes ou plus. De cette façon, l’utilisation d’une barrière plus lourde ne serait pas considérée comme une violation des règlements, et Toyota n’enfreindrait pas les règles.

Quoi qu’il en soit, la CEE-ONU a certainement des raisons parfaitement valides de fixer la masse de la barrière autour de 1 100 kilogrammes. Ignorer ce fait, et déclarer l’utilisation d’une barrière plus lourde comme meilleure pour la sécurité, ne peut être décrit que comme un raccourci grossier.

Toyota a admis s’être engagé dans des pratiques douteuses. Si, comme le prétend la presse, Toyoda Akio a vraiment déclaré : « Au Japon, il n’y a plus d’incitation à donner le meilleur de soi-même », il n’a sans doute pas voulu dire que les normes japonaises sont déraisonnablement strictes. Je soupçonne que Toyoda voulait tout simplement exprimer sa frustration par rapport à la relation actuelle entre l’industrie et les régulateurs, ainsi que par la façon dont certains médias ont attaqué les fabricants de voitures sans bien comprendre la nature de cette question.

Il est indéniable que certains fabricants japonais se sont livrés à des actes frauduleux. Afin de garantir que ce scandale ne ternisse pas la réputation internationale des entreprises japonaises, il est important que ces dernières fassent un effort d’investigation sérieux afin de comprendre leurs problèmes et de prévenir leur récurrence.

(Photo de titre : le PDG de Toyota, Toyoda Akio, s’addresse aux journalistes à Tokyo, le 3 juin 2024. Jiji)

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