Hinako et le loup japonais : la découverte surprenante d’une chercheuse en herbe
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C’était au printemps, lors d’une exposition consacrée aux mammifères au Musée national de la nature et des sciences de Tokyo, que j’ai fait une rencontre inattendue et que je me suis retrouvée nez à nez avec un loup japonais. Canis lupus hodophilax, c’est comme ça qu’il s’appelait. Mas l’animal a maintenant malheureusement disparu. Je me suis penchée sur la plaque explicative. On pouvait y lire que l’animal était un spécimen nouvellement identifié. Seuls cinq spécimens de loups japonais ont été identifiés à ce jour, un aux Pays-Bas, un en Grande-Bretagne et trois au Japon. La découverte d’un sixième spécimen par Komori Hinako, une écolière japonaise pleine de vie, n’a pas manqué de faire sensation dans certains cercles de taxonomistes.
Une occasion inouïe
Toute cette histoire débute en novembre 2020. Komori Hinako, qui est maintenant au collège, était en quatrième année d’école primaire. Elle finit par convaincre son père de l’accompagner lors d’une visite des sections de recherche de Tsukuba du Musée national, dans la préfecture d’Ibaraki. L’établissement ouvre ses portes au public une fois par an. Le centre de recherche abrite notamment la vaste collection de spécimens naturels du musée. Tandis que la fillette se promène dans la section taxidermie, un spécimen ressemblant étrangement à un chien, posé sur une étagère, attire son attention.
Quelle n’est pas sa stupeur devant l’étrange ressemblance de la bête avec un loup japonais ! Elle qui est tant fascinée par ces animaux. Sa curiosité piquée au vif, elle ne fait pas les choses à moitié : elle décide d’envoyer elle-même un e-mail au musée. Hélas, déception : une étiquette l’identifiant comme un yamainu (littéralement « chien des montagnes ») et le numéro de catalogue M831, rien de plus. Mais la fillette n’est pas convaincue, quelque chose lui dit que la créature empaillée est en fait un loup japonais, le terme yamainu ayant été largement utilisé autrefois pour décrire aussi bien les chiens domestiques errant à l’état sauvage que leurs cousins plus rusés et féroces…
Avide de savoir, elle commence à compulser de vieux ouvrages, ne manquant pas de noter chaque élément de preuve qu’elle rencontre, ce qui la comble à chaque fois de joie. Son acharnement ira jusqu’à lui permettre d’obtenir une autorisation spéciale pour examiner la créature empaillée et comparer sa taxonomie avec celle d’autres spécimens connus. Komori Hinako fait des progrès dans ses recherches et obtient même le soutien de deux experts : Kawada Shin’ichirô, du département de zoologie du musée, et Kobayashi Sayaka, chercheuse à l’Institut d’ornithologie Yamashina et spécialiste des premiers registres de spécimens japonais. Voilà donc qu’une fillette d’une dizaine années obtient le soutien de deux experts après une vague intuition pendant la visite d’un musée !
L’été de Hinako, alors en cinquième année de primaire, allait être chargé. Suivant les précieux conseils des deux experts, elle rédige un rapport, à la main, où elle rassemble ses découvertes. Pas de doute pour elle, le spécimen non identifié est un loup japonais. Elle soumet son travail à un concours de recherche destiné aux élèves des écoles primaires, qui lui vaut un prix prestigieux de la part du ministère de l’Éducation.
Impressionnés par le rapport de la fillette, les deux experts Kawada et Kobayashi lui proposent de s’associer pour publier un article scientifique basé sur ses découvertes. Pendant deux ans, ils parcourent tous les trois des kyrielles de documents sur les loups japonais, chacun pouvant peut-être contenir une information permettant d’en savoir plus sur le fameux spécimen. Après s’être mis d’accord sur un format et avoir soumis l’article à un examen, le moment tant attendu arrive ; l’article est publié en février 2024 dans le bulletin du Musée national de la nature et des sciences, avec Komori Hinako, aujourd’hui en première année de lycée, en tant qu’auteure principale.
« Le loup japonais est malheureusement une espèce éteinte. Nous devons examiner d’autres spécimens pour mieux comprendre sa place dans la famille des canidés », dit Kawada Shin’ichirô.
S’appuyant principalement sur des études déjà publiées, les trois chercheurs comparent ces données à la morphologie et aux caractéristiques du numéro M831. Conclusion : le spécimen « est proche d’un loup japonais ».
De l’importance de la documentation
Avant d’arriver à cette conclusion, Hinako a dû passer par mille et une étapes. Premièrement, découvrir les origines du spécimen. « M831 », cette étiquette fixée sur le socle correspond à une entrée dans un catalogue de spécimens conservé au musée. Facile donc. Mais à quoi pouvait bien correspondre la deuxième étiquette ? En piteux état, on ne peut lire qu’un seul chiffre en entier, le « 8 », et une partie d’un autre. Mais la fillette se heurte bientôt à une impasse : l’inscription, qui comprend un caractère estampillé en rouge indique clairement que M831 a été mis au rebut…
De plus, le fait que le Musée de Tokyo, aujourd’hui Musée national de la nature et des sciences, ait été détruit lors du Grand tremblement de terre du Kantô en 1923, corse encore un peu plus les choses. Le musée avait disparu, et bien sûr tous les précieux documents et spécimens qu’il conservait.
Par la suite, une partie de la collection d’histoire naturelle ainsi que certaines archives du Musée impérial de la maison de Tokyo (actuel Musée national de Tokyo) ont été transférées au Musée de Tokyo. D’autres documents ont été déplacés pendant les années tumultueuses de la guerre. Suivre leur parcours est donc devenu un véritable casse-tête. Mais comment démêler tout cet embrouillamini ? Kobayashi Sayaka suggère à la fillette de tout d’abord dresser une liste de tous les spécimens de canidés documentés par le Musée de la maison impériale d’une part et le zoo d’Ueno d’autre part.
Hinako n’épargne pas ses heures et visionne une quantité incommensurable de microfilms. Sa patience finit par payer et elle découvre qu’en 1888, le zoo d’Ueno avait pris possession de deux jeunes loups japonais provenant de la préfecture d’Iwate. Loin de s’arrêter en si bon chemin, elle parvient à rassembler des preuves qui la font parvenir à une conclusion des plus intéressantes : le M831 est l’un des deux animaux. Elle a donc raison depuis le début : le yamainu était bien un loup japonais.
La route est encore longue
Malgré sa publication, l’article laisse cependant de nombreuses questions en suspens. Kobayashi Sayaka note que si les archives du Musée impérial de la maison permettent de ranger le spécimen dans la catégorie des loups japonais, il n’est pas à exclure que l’animal soit un hybride loup-chien issu d’un accouplement avec un chien domestique. Pour elle, pas de doute, l’analyse génétique est le seul moyen de savoir avec certitude s’il s’agit d’un loup de pure race. Mais malheureusement, comme l’explique Kawada Shin’ichirô, le musée n’a pas l’intention de procéder à des tests ADN, nécessitant des prélèvements qui endommageraient les spécimens, ce qui est particulièrement risqué compte tenu de l’âge et de la piètre conservation du loup en question.
Pour pouvoir déterminer si un spécimen est un loup japonais, une analyse du crâne est généralement nécessaire. Un autre problème apparaît toutefois, puisqu’on ne sait pas si le M831 contient des os ou s’il s’agit simplement d’une peau montée. Kawada Shin’ichirô espère pouvoir un jour passer aux rayons X l’animal et prendre une radiographie de celui-ci. Mais pour l’instant, l’heure est à la réjouissance ; il est tout simplement heureux que le spécimen ait pu être conservé pendant toutes ces années, et qu’il attire l’attention après être resté si longtemps dans l’ombre. « À l’avenir, les progrès en matière d’analyse de l’ADN permettront peut-être d’effectuer des tests à partir de minuscules échantillons (…) cela élargirait à coup sûr le potentiel de recherche des spécimens. Il faut garder tout cela en tête et conserver avec le plus grand soin les spécimens pour la prochaine génération de scientifiques. »
Une chercheuse née
Passionnée par les animaux, Hinako confie être fascinée par la zoologie, et ce depuis sa plus tendre enfance. Alors qu’elle n’a que trois ans, après avoir regardé une vidéo sur internet, elle s’intéresse de près aux espèces en voie de disparition. Après quoi, ses parents l’emmènent au Musée de la nature et des sciences pour tenter de satisfaire l’avidité de savoir de leur petite fille. Hinako se souvient de ce jour-là comme si c’était hier. Elle est tout de suite fascinée par les objets exposés. Elle passe son temps - ce qui semble une éternité à sa mère et à son père - à scruter et à comparer chacun des animaux qu’elle voit. De fil en aiguille, aller au musée devient de plus en plus récurrent pour la petite famille. Et c’est là qu’un jour pas comme les autres, la fillette se retrouve pour la première fois nez à nez avec le loup japonais.
Bien que cette espèce ait été déclarée comme disparue, des rumeurs selon lesquelles certains animaux auraient été aperçus dans les régions montagneuses continuent de circuler. Hinako confie que c’est ce qui a piqué puis nourri sa curiosité. Alors qu’elle est en deuxième année d’école primaire, elle réalise un projet de recherche sur ces animaux. Pour les besoins de ces travaux, elle recueille des informations en ligne et se rend dans des endroits où des loups auraient été aperçus ou dans des lieux qui furent jadis leur habitat. Elle interroge des habitants et recueille des témoignages de personnes qui ont déjà vu l’animal. Enfin, elle rassemble ses conclusions dans un rapport de 50 pages.
Nihon ôkami
Le loup japonais errait autrefois dans les montagnes et les forêts de chacune des grandes îles de l’Archipel, à l’exception de Hokkaidô, l’île la plus au nord. Créature redoutée et redoutable, il régnait en maître, s’imposant notamment devant les sangliers, les cerfs et d’autres animaux nuisibles aux cultures, si bien qu’il était vénéré dans certaines régions comme divinité tutélaire et messager des dieux.
Cependant, peu à peu, l’image du loup s’est ternie, l’animal commençant à succomber aux pressions extérieures, avec des maladies comme la rage et la maladie de Carré, qui ont décimé les populations. Dans les régions du nord de Honshû pour ne citer qu’elles, il était considéré comme un animal nuisible, un parasite et, à la fin du XIXe siècle, il était même la cible des chasseurs de prime. Le dernier loup sauvage s’est éteint sous les balles de chasseurs dans les montagnes de la préfecture de Nara en 1905.
L’appellation Nihon ôkami, ou loup japonais, pour qualifier l’espèce est relativement récente, datant seulement de l’après-guerre. Dans les ouvrages spécialisés, l’animal est souvent appelé yamainu et, historiquement, il portait des noms tels que ôkami, ôinu, oino ou encore kasegi, ce qui laisse à penser que l’espèce était loin d’être rare mais plutôt largement répandue.
Les études scientifiques modernes ont progressé de même que l’industrialisation du Japon, qui s’accélérée après la Restauration de Meiji de 1868. Les expositions industrielles nationales se sont succédé et des musées consacrés à la science et à l’industrie ont été créés, nourrissant un besoin de collecte et de documentation de la nature au sens large : faune, flore et minéraux. Dans ce contexte, quelques maigres efforts ont été entrepris pour la préservation du loup japonais, la plupart des connaissances sur cet animal provenant d’une petite collection d’os et de peaux montées appartenant à des instituts d’enseignement et des musées.
Confusion taxonomique
Le loup japonais s’est fait connaître du grand public dans la première moitié du XIXe siècle grâce aux efforts de Philipp Franz von Siebold (1796-1866). En 1830, ce médecin d’origine bavaroise, qui a passé six ans au comptoir hollandais de Nagasaki, a remmené aux Pays-Bas une collection d’animaux, de plantes, d'œuvres d’art et de cartes du Japon en 1830. Dans cette collection se trouvaient trois spécimens de loup japonais.
Après quoi, Philipp Franz von Siebold a envoyé les spécimens (une peau montée, un squelette avec crâne et deux crânes) au zoologiste néerlandais Coenraad Jacob Temminck (1778-1858), alors directeur du Musée national d’histoire naturelle de Leyde. Il a décrit les spécimens comme étant des exemples d’ôkami et de yamainu. Le zoologiste néerlandais en arriva à la conclusion qu’ils étaient différents du loup gris originaire d’Eurasie et d’Amérique du Nord. Ces animaux étaient les représentants d’une nouvelle sous-espèce, qu’il baptisa Canis hodophilax.
Une illustration d’un spécimen monté figurait dans la section de la collection Fauna Japonica datant du XIXe siècle, consacré aux chiens et aux loups japonais. Avec son squelette, crâne inclus, il a servi de spécimen de référence pour des travaux de recherche approfondis sur les loups japonais, bien qu’il ait été identifié comme appartenant à la catégorie des yamainu.
L’analyse récente de l’ADN nucléaire des spécimens de Leyde a permis de comprendre davantage leur taxonomie. Sur les trois spécimens, le squelette avec crâne n’est pas un loup, mais un chien domestique et l’animal empaillé, quant à lui, est très probablement un hybride loup-chien.
Hinako espère que l’identification du M831 comme étant un loup japonais permettra de comprendre une partie du mystère qui entoure l’espèce et, qui sait, mènera à la découverte de nouveaux spécimens et documents, venant ainsi grossir la quantité de matériel de recherche disponible. « Plus j’étudie les loups japonais, plus je les trouve intéressants », dit-elle. La collégienne souhaite poursuivre ses recherches sur la taxonomie de ces animaux tout en approfondissant les archives existantes. « Les différents spécimens connus présentent d’importantes divergences, mais c’est justement le fait que tant de questions restent en suspens qui rend l’espèce si fascinante. »
Sa soif de savoir la mènera à n’en pas douter vers d’autres travaux de recherche. Une chose est sûre, elle déploiera le même dévouement et le même enthousiasme que pour son étude sur le loup japonais.
(Photo de titre : Komori Hinako et le spécimen de loup japonais qu’elle a découvert dans les départements de recherche de Tsukuba du Musée national de la nature et des sciences. © Hayashi Michiko)