Aoki Isao, le premier golfeur japonais de classe mondiale
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Une carrière prodigieuse
Après six décennies consacrées au golf, le légendaire golfeur japonais Aoki Isao est toujours en pleine forme. Âgé de 82 ans, il n’est plus actif dans le circuit professionnel, mais reste un acteur de premier plan dans la promotion du sport. Il a récemment démissionné de ses fonctions de directeur de la Japan Golf Tour Organisation (la JGTO, Organisation japonaise des tournois de golf), des fonctions qu’il a exercées durant quatre mandats, à partir de 2016. Depuis qu’il a quitté la JGTO, où il était très occupé à sillonner le pays pour négocier avec des sponsors et assister aux 40 championnats du tournoi, il a consacré davantage de temps à la poursuite de ses objectifs personnels, notamment le renouvellement de liens anciens noués sur les parcours.
En juin, il est parti 10 jours avec sa fille aux États-Unis pour assister au cinquantième anniversaire du World Golf Hall of Fame (le Mémorial mondial du golf), à Pinehurst, en Caroline du Nord. Aoki, qui a lui-même été intronisé dans le Hall en 2004, affiche le sourire qui est sa marque de fabrique lorsqu’il raconte ses rencontres avec d’anciens rivaux de l’époque du tournoi PGA, par exemple Lee Trevino, Ben Crenshaw ou Mark O’Meara.
Le World Golf Hall of Fame, qui a récemment quitté la station du World Golf Village, en Floride, pour aller s’installer à Pinehurst, a été ouvert en 1974 pour rendre hommage aux meilleurs joueurs professionnels du monde entier. Parmi les premières personnes intronisées figurent des joueurs légendaires comme Arnold Palmer, Jack Nicklaus et Bobby Jones, le cofondateur du Master Tournament. Aoki a été le second joueur japonais intronisé dans le Hall, après la légende féminine du golf Higuchi Hisako, en précisant qu’aujourd’hui Okamoto Ayako et Ozaki Masashi ont rejoint leurs rangs.
« Le golf a été bon pour moi », déclare Aoki. « Je veux rendre à ce sport et à ceux qui m’ont aidé au fil des ans ce qui m’a été donné. » Il s’acquitte en partie de cette tâche via le soutien qu’il apporte depuis longtemps aux jeunes joueurs et sa participation aux championnats pro-am, ce qui lui donne une opportunité de transmettre son expérience et son savoir-faire aux jeunes générations.
Des histoires à raconter
Le terrain d’origine d’Aoki est le Mobara Country Club, situé dans le centre de la préfecture de Chiba, un endroit où il a passé d’innombrables heures à peaufiner son jeu en tant que professionnel. L’un des souvenirs les plus mémorables qu’il en a conservés remonte à 2019, quand il a accompagné l’ancien Premier-ministre Abe Shinzô et Donald Trump, alors président des États-Unis, lors de la visite d’État effectuée par ce dernier au Japon.
Malgré les huit décennies de vie qu’il a derrière lui, Aoki reste un compétiteur invétéré lorsqu’il se trouve sur un terrain de golf. « Peut-être suis-je en train de vieillir, mais je peux encore tirer dans les soixante-dix. Je n’arrête jamais de chercher à améliorer mon score. » Toutefois, lorsqu’il porte le regard en arrière vers les années de sa jeunesse, Aoki insiste sur le fait qu’il est entré dans le golf par hasard. « Quand j’étais un jeune homme, mon sport c’était le base-ball », dit-il. Il a joué dans l’équipe de son école et aurait continué au lycée si la vie ne s’était pas interposée. « Pendant ma dernière année d’école, mon équipe a été éliminée des matchs de qualification pour le tournoi préfectoral. » Avec un seul out restant dans le dernier tour, une balle passée par le catcher permettait à l’équipe adverse de remporter la manche. La défaite a dévasté Aoki. « J’étais tellement en colère que j’ai jeté tout mon équipement. Il en a résulté une énorme dispute avec mon père, qui a fini par me chasser à coups de pied et me dire de me débrouiller tout seul. Je suis donc parti de chez moi. »
Confronté à la nécessité de gagner sa vie, il s’est tourné vers le caddying. « J’avais entendu dire que ça pouvait rapporter de l’argent, et j’ai donc trouvé un emploi au Tokyo Tomin Golf Course, qui était à l’époque le club du grand pro japonais Hayashi Yoshirô. » De là, Aoki est ensuite passé au Abiko Golf Club de Chiba, mais il était content de continuer d’exercer ses tâches de caddy. « L’idée de devenir un golfeur professionnel ne m’a même pas effleuré. »
En 1961, la victoire de Hayashi au championnat PGA du Japon, récompensée par un modeste prix de 300 000 yens, l’a fait changer d’avis. « À l’époque, les récompenses étaient plus modestes », dit Aoki. « Mais je me suis dit que si Hayashi, qui était plutôt petit, pouvait empocher une telle somme, un grand type comme moi n’aurait aucun mal à toucher au moins 500 000 yens. Cela me fait rire aujourd’hui, mais c’est ce raisonnement qui m’a conduit à devenir pro. »
Lors de sa première tentative en vue de se qualifier en tant que professionnel, l’échec d’Aoki au test d’aptitude à jouer n’a tenu qu’à un coup. Après avoir quitté Abiko et pris pour nouvelle base le Hannô Golf Club, situé dans la préfecture voisine de Saitama, il a réussi son second essai au mois de décembre, devenant ainsi un golfeur professionnel à l’âge de 22 ans.
Grâce à son activité de professionnel, Aoki a vu son salaire au terrain de golf plus que doubler. « Ce n’était pas grand-chose, mais à l’âge que j’avais, ça avait l’air d’une petite fortune. » Il était content de vivre de son maigre salaire, mais au bout de deux ou trois ans, un golfeur professionnel plus âgé l’a pris à part et lui a reproché son manque de motivation. « Il m’a dit que j’étais un grand baratineur et que je ne pouvais pas me considérer comme un pro si je ne participais à aucun tournoi. » Touché par ces propos, Aoki a pris la résolution de prendre les choses au sérieux et s’est mis à s’entraîner pour de bon.
Il s’est rendu au Yugawara Country Club, dans la préfecture de Kanagawa, et a obtenu du responsable des installations l’autorisation d’y pratiquer son sport. « J’ai posé sur la table un paquet d’argent et lui ai demandé de rester jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus », explique-t-il. « Au bout d’un mois, j’ai pensé que j’aurais tout dépensé et m’entendrais dire de partir, mais lorsque j’en ai parlé avec le responsable, il a juste agité la main pour me dire au revoir. » Il s’avère que le responsable avait été impressionné par l’éthique professionnelle d’Aoki. En entendant le gardien des terrains raconter comment on pouvait voir, au petit matin, le jeune golfeur courir autour du cours avant d’entrer sur le terrain, le responsable décida d’assumer le coût et de laisser Aoki s’entraîner à sa guise. « Je suis certain que cela a coûté au club une jolie somme mais, grâce à sa générosité, mon jeu de golf s’est considérablement amélioré. »
En 1971, après sept années consacrées au golf professionnel, Aoki a remporté son premier tournoi, le Kantô Pro Championship (Championnat pro du Kantô). En repensant à ce moment, il dit : « J’ai remporté un certain nombre de titres au cours de ma carrière, mais le premier est indubitablement le plus mémorable. »
Une force sur le tour
Aoki, qui est devenu l’un des plus grands joueurs du Japon, a pris place aux côtés d’Ozaki à la tête de ce qu’on appelle l’« ère AO ». Il s’est aussi fait un nom en jouant à l’étranger, où il a affronté certains des golfeurs les plus talentueux. Il a fait sa première incursion à l’étranger à l’âge de 26 ans, sur le Asia Golf Circuit (Circuit de golf asiatique). Mais c’est à l’issue de sa saison faste de 1973, au cours de laquelle il a remporté six titres dont le Championnat PGA du Japon, qu’il a commencé à être régulièrement invité à des grands tournois à l’étranger tels que les Masters.
Aoki allait passer plusieurs saisons à jouer principalement en dehors de l’Archipel, ce qu’il dit avoir commencé d’envisager après sa victoire de 1978 au World Matchplay Championship (Championnat mondial de matchplay), en Angleterre. « L’attribution de ce titre m’a fait penser que je pouvais aussi gagner le tour américain. » Sa conviction s’est encore renforcée l’année suivante, quand il s’est classé en deuxième place au même championnat. Ses exploits ont culminé en 1980 avec son extraordinaire performance au US Open.
À l’occasion de sa seconde participation à ce grand événement, Aoki est arrivé au sommet du tableau de classement pour se retrouver à égalité avec Jack Nicklaus pour le quatrième et dernier round. Il a laissé le golfeur américain en position dominante tout en maintenant la pression jusqu’au trou final. Son classement en seconde position était le plus élevé obtenu jusque-là par un joueur japonais dans un grand tournoi de golf aux États-Unis, et son affrontement avec Nicklaus l’a fait entrer dans l’histoire mouvementée du tournoi.
Trois années plus tard, en 1983, sa victoire à l’Open de Hawaï a été un autre triomphe, et elle a constitué le second titre remporté par un golfeur japonais lors d’un championnat de l’US tour.
Contrairement à ce qui avait motivé sa décision de devenir pro, Aoki insiste sur le fait que l’appât du gain n’était pas le principal facteur de sa détermination à jouer outre-mer. « Dans les années 1980, le tournoi japonais de golf professionnel était l’un des plus grands événements de ce genre dans le monde », explique-t-il. « Le golfeur espagnol Severiano Ballesteros m’a même demandé un jour pourquoi je jouais dans le US tour alors que je pouvais faire un malheur au Japon. » Il se trouve toutefois que les gros paiements n’étaient pas la principale préoccupation d’Aoki. « Je voulais être un pionnier. »
Mais ces allers et retours entre le Japon et les événements internationaux n’étaient pas sans inconvénients. Il raconte les problèmes que posaient les voyages à l’étranger à partir du Japon. « J’étais toujours en train de courir pour attraper un vol de correspondance. La salubrité de mon régime alimentaire au cours de mes voyages constituait elle aussi un problème. Et puis il me fallait convaincre mes sponsors au Japon de me laisser partir. Je ne pouvais non plus me permettre de décevoir mes fans, et je voulais donc toujours finir dans les dix premières places. Ce qui continuait de me motiver, c’était le désir de prouver que je pouvais y arriver quelque soit l’endroit où je jouais. »
Béni par le golf
Tournant son attention vers la jeune génération des golfeurs japonais, Aoki dit qu’elle a perdu l’appétit de prendre le monde à bras le corps qu’elle avait à son époque. « Au cours des dix dernières années, on a vu un certain nombre d’excellents joueurs japonais faire leur apparition sur le circuit international », dit-il. « Mais Matsuyama Hideki a été le seul d’entre eux à faire montre de résilience. »
Il souligne le caractère décevant de leurs performances lors de l’US Open de 2024 et se lamente de l’impact réduit que les meilleurs joueurs du Japon ont eu sur le tour PGA des États-Unis. « Je sais que c’est un circuit compétitif », explique-t-il. « Mais c’était déjà le cas à mon époque. Si vous voulez faire le poids face aux meilleurs joueurs, vous devez vous préoccuper avant tout d’améliorer certains aspects spécifiques de votre jeu — vos tirs de putting ou de bunker ou quoi que ce soit d’autre. Mais il est encore plus important d’avoir l’état d’esprit adéquat. Vous ne pouvez pas vous congratuler pour avoir été qualifié pour un tournoi et vous contenter ensuite de gesticuler. Vous devez avoir la volonté de gagner. »
Lorsqu’il se retourne pour contempler sa carrière, Aoki dit que le golf lui a permis de se frotter les coudes avec des gens riches et célèbres, au nombre desquels figurent des présidents des États-Unis allant de Gerald Ford à Bill Clinton et Donald Trump. « Lorsque le Premier ministre Abe m’a demandé de jouer en trio avec le président Trump, c’était un signe de respect pour ce que j’avais accompli en tant que golfeur professionnel », dit-il, débordant de fierté.
« Le golf a été ma vocation », ajoute Aoki. « J’ai toujours préféré la compagnie à la solitude, et le golf m’a permis de partager tant de choses avec tant de gens. Même maintenant, à chaque fois que je joue, avant de poser la balle sur le tee je remercie silencieusement les puissances en place pour avoir créé le golf. Tout ce que j’éprouve, c’est la plus profonde gratitude. »
(Les photos d’interview : Nippon.com)