« Tora ni Tsubasa » : le succès d’une série télé matinale pour l’égalité femme-homme
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Remettre en cause les discriminations les plus communes
Le « feuilleton matinal » est un format particulier de série télé la NHK, la chaîne de télévision publique japonaise, constitué d’épisodes de 15 minutes couvrant une période de diffusion de six mois, tous les jours, du lundi au vendredi, à 8 h 00 pile.
Tora ni Tsubasa (Les Ailes du tigre), diffusé entre avril et septembre dernier, a connu un taux d’écoute important. Le thème est également plébiscité par les spectateurs. Au Japon comme dans les autres pays, l’appréciation d’une série TV porte sur trois critères essentiels : le scénario, les acteurs et la mise en scène. Tora ni Tsubasa coche toutes les cases.
Le thème de l’histoire est à première vue vigoureux, ardue et sérieux, et pourtant celle-ci ne manque pas d’humour. Rien de raide, donc. Le thème, c’est l’article 14 de la Constitution du Japon qui interdit toute discrimination basée sur le sexe, la race et autres critères. La première scène du premier épisode montre l’héroïne, Tomoko, interprétée par Itô Sairi, en train de lire un journal où se trouve écrit le fameux texte de loi. Nous sommes en 1946, peu de temps après la fin de la guerre, alors que la nouvelle Constitution du pays vient tout juste d’être promulguée.
La Constitution fait l’objet d’un débat actuellement concernant la nécessité ou non de son amendement, mais il semble que personne n’a encore réclamé celui de l’article 14. S’il est probable qu’une majorité de Japonais soutiennent les déclarations de ce texte, il n’est pas toujours respecté encore aujourd’hui.
Les téléspectateurs partagent la colère de l’héroïne
La seconde partie de la série qui se passe après-guerre montre Tomoko employée du ministère de la Justice, où elle a joué un rôle déterminant dans la création des tribunaux des affaires familiales. L’objectif de ces juridictions est de venir en aide aux garçons et aux filles issus de milieux défavorisés dont les parents sont morts pendant le conflit. À l’heure où les fictions à caractère social sont en nombre très réduits, il est impossible de ne pas se sentir émus par ce récit.
Avant la guerre, Tomoko se destinait à devenir avocate. En effet, les carrières de juges ou de procureurs n’ont été ouvertes aux femmes qu’après la guerre. Tomoko a fait son entrée à la faculté de droit en 1935, où un étudiant lui dit que les étudiantes peuvent bénéficier d’un « traitement de faveur ». Cela la met en colère.
« Je ne veux pas de traitement spécial ! C’est d’être spéciale qui te donne le droit de me regarder de haut ? Tu ne comprends pas ce que ton attitude a d’arrogante ? »
L’indignation de Tomoko ne s’éteindra pas : en 1938, lorsqu’elle passe avec succès les examens extrêmement difficiles d’admission à la profession d’avocat, un banquet est organisé à l’université pour fêter l’événement. Elle s’indigne lorsqu’un journaliste la présente comme « la femme supérieure entre toutes ».
« Ce n’est pas parce que j’ai réussi des examens de niveau supérieur que je suis supérieure aux autres ! »
Pour Tomoko, il ne s’agit pas d’une humiliation, elle est furieuse que la presse ne comprenne pas le problème de l’inégalité du droit à l’éducation.
Parce que Tomoko savait que si certaines de ses camarades de classe n’avaient pas pu passer d’examens, c’était en raison de leur situation familiale, que d’autres femmes ne recevaient aucune éducation en raison de la pauvreté ou autres.
La colère que Tomoko ressent à ce moment ne s’est pas apaisée : à partir de 1936, les femmes sont autorisées à passer les examens d’accès aux études de droits, mais ne peuvent toujours pas devenir juges ou procureurs.
« J’appelle de mes vœux une société qui ne trie pas les êtres humains en fonction du fait qu’ils sont hommes ou femmes. Non, cette société, faisons-la ! Si nous nous y mettons tous, nous pouvons la faire ! Dans cette société-la, j’ai envie d’être la meilleure en quelque chose. C’est dans ce but que je travaillerai de toutes mes forces à devenir une bonne avocate. Je continuerai à aider ceux qui en ont besoin, qu’ils soient hommes ou femmes ! »
L’article 14 de la Constitution n’existait pas encore, mais à vrai dire, quasiment personne n’aurait été explicitement en faveur de l’inégalité. C’est l’inégalité ignorée et acceptée comme habitude que Tomoko ressent comme une frustration. C’est cette expression qui fait que cette série trouve un large écho auprès de nombreux téléspectateurs.
Décrire les femmes dans leurs différentes situations
Même parmi les étudiantes, des différences sont patentes. Tomoko avait grandi dans une famille financièrement aisée, son père était cadre d’une grande banque. Mais une autre avait coupé ses cheveux pour éviter que son père, paysan pauvre, ne la vende, puis avait poursuivi sa vie en se faisant passer pour un homme. Une autre femme, mère de trois enfants, était humiliée par son mari avocat. Une autre est une étudiante coréenne, une autre est de famille noble…
Ces cinq personnes parviennent à créer une relation à la fois égalitaire et très unie.
Ce n’est rien d’autre que le message de la série, à savoir que la véritable valeur des êtres humains ne dépend pas de leur position.
En 1937, à la déclaration de la guerre sino-japonaise, le département de la faculté ouvert aux femmes avait failli être supprimé, de fait qu’aucune des diplômées ne réussissaient au concours d’accès à la profession d’avocat. Choi, une étudiante étrangère doit même se prosterner devant le recteur pour que l’école continue d’exister. Le département n’est maintenu que pour ne pas affecter le moral de Tomoko et des autres étudiantes, qui se préparent à repasser les examens l’année suivante.
Choi elle-même avait dans un premier temps décidé de renoncer à passer les examens d’admission et de rentrer chez elle parce que son frère était soupçonné d’être un activiste. Elle s’efforce de réaliser au moins les rêves de ses camarades. Les relations entre Choi et ses camarades ne sont pas fondées sur l’origine.
Parité des artistes-interprètes de la série
Il ne s’agit pas seulement d’une histoire de femmes, car les barrières entre Tomoko et les étudiants masculins tombent également. Ceux-ci, au début agressif avec les étudiantes, finissent eux aussi par changer. L’un d’entre eux, Hanaoka, déprimé de n’avoir pas réussi à entrer à l’université impériale de Tokyo, son premier choix, s’excuse de son comportement passé.
« J’ai délibérément maltraité les femmes parce que je ne voulais pas être critiqué par mes pairs. Je ne suis pas censé être ce genre d’individu. »
Après s’être ressaisi, Hanaoka réussira le concours des fonctions judiciaires et deviendra juge.
L’esprit de l’égalité de genre est en action dans la production même de cette série TV. En effet, il est labellisé « Fifty-fifty, The Equality project », programme auquel participe la NHK depuis 2021, et qui vise à la parité entre actrices et acteurs dans les productions télévisuelles. Il s’agit d’un programme initié par la BBC, la NHK est la seule japonaise à avoir signé la charte.
Le scénario, qui mêle des développements sérieux à des éléments comiques, et l’actrice principale, Itô Sairi, sont remarquables. À 30 ans, elle est une actrice accomplie, douée pour le jeu sérieux comme pour le jeu comique, comme Kiki Kirin, aujourd’hui décédée, dont elle est une fervente admiratrice (elle a joué par exemple dans Une affaire de famille, de Kore-eda Hirokazu, en 2018).
Ce qui en fait un chef-d'œuvre de portée historique
Mibuchi Yoshiko, qui est le modèle sur lequel se base le personnage de Tomoko, est une personnalité respectée. Diplômée de la faculté de droit de l’université Meiji, Mibuchi est devenue la première femme avocate et, après la guerre, la deuxième femme juge.
Nommée juge assesseur de la division civile du tribunal d’instance de Tokyo en 1949, elle a été une charnière essentielle dans une décision historique en 1963, touchant les victimes des bombardements atomiques de Hiroshima et de Nagasaki qui demandaient une indemnisation à l’État. La demande des plaignants fut rejetée, mais le largage des bombes atomiques fut pour la première fois jugé une violation du droit international. À une époque où l’influence des États-Unis sur le Japon était beaucoup plus lourde qu’aujourd’hui, ce jugement n’a considéré aucune inégalité de traitement entre les états. Cette décision a marqué le début d’un effort massif du gouvernement pour venir en aide aux irradiés de la bombe.
L’esprit de Mibuchi Yoshiko est illustré par une phrase qu’elle avait prononcée alors qu’elle était à la tête du tribunal des affaires familiales de Niigata, poste qu’elle avait occupé à partir de 1972 :
« Au tribunal des affaires familiales, on ne traite pas des affaires, on s’occupe de personnes ».
Un personnage historique respecté interprété par l’une des meilleures actrices de sa génération. Je pense que cette série est un chef-d’œuvre et qu’elle marquera l’histoire.
(Toutes les images sont avec l’aimable autorisation de la NHK, sauf mentions contraires.)