Le sumo, sport national japonais, répond à de nombreuses traditions, que ce soit la tenue portée par les lutteurs, leurs coiffures ou encore les différents rituels observés lors de chaque tournoi. Parmi ces nombreux éléments, observés depuis des temps immémoriaux, certains ne manquent pas d’ajouter, davantage encore, au spectacle de cet art martial.
Au sumo, le système de championnat n’est que relativement récent. C’était initialement un simple combat de force, réputé plus acharné que le sport ne l’est aujourd’hui. En outre, pendant la plus grande partie de l’histoire, aucune structure officiellement établie n’était chargée de remettre les titres ou encore les prix aux lutteurs les plus performants. Un système institutionnalisé ne verra le jour qu’à l’ère Meiji (1868–1912), selon lequel le lutteur qui aura obtenu le meilleur score sera déclaré champion du tournoi.

Takerufuji célèbre sa victoire au tournoi de printemps à Osaka le 24 mars 2023, avec sa mère, Ishioka Momoko, assise à ses côtés. Cela faisait 110 ans qu’un lutteur sumo n’avait pas remporté le championnat pour sa première apparition dans la division supérieure makunouchi. (© Jiji)
Les premiers tournois ont eu lieu pendant la période Heian (784–1183). Ils faisaient partie de la sumai no sechie, une célébration en grande pompe à la cour impériale. Cet événement qui avait lieu chaque année faisait concourir les meilleurs lutteurs de tout le pays au sein de la garnison gauche ou droite de la garde impériale.
La sumai no sechie a maintenant disparu, la popularité du sumo ayant connu des hauts et des bas au fil des siècles. Mais les choses commencent à changer pendant l’époque d’Edo (1603-1868), avec dans les premières décennies un succès croissant du kanjin-zumô, des combats organisés en public en hommage aux temples bouddhistes et aux sanctuaires shintô. Les lutteurs étaient divisés en deux factions, est et ouest, les matchs opposant un lutteur de chaque faction. Les fonds récoltés étaient reversés aux édifices pour leurs travaux de reconstruction ou de réparation. Les combats sauront trouver leur public au fil des siècles, le sumo devenant le sport populaire que nous connaissons aujourd’hui.
Le sumo rencontrait peu de succès au début de l’ère Meiji. Toutefois, une arène exclusivement réservée à ce sport ouvrira en 1909 à Tokyo : le célèbre Ryôgoku Kokugikan. C’est également à cette époque que les champions commencèrent à être couronnés lors des tournois, pratique qui se répandra plus tard en raison de l’influence des médias et des sports occidentaux.
La Nihon Sumô Kyôkai, l’Association japonaise de sumo, a d’abord institué un système de championnat collectif. Un drapeau de championnat était alors remis à l’équipe de l’est ou de l’ouest, en fonction des résultats des lutteurs de chaque faction. À l’époque, il n’y avait pas de combats internes au sein d’une même équipe. Les fans soutenaient donc simplement les lutteurs et les camps de leur choix.
C’est également à cette époque que le journal Jiji Shinpô a commencé à décerner un prix aux lutteurs qui n’avaient essuyé aucune défaite lors de leurs tournois. L’idée de remettre une récompense à un lutteur qui a su se distinguer en combat commençait à faire son chemin. C’est également à ce journal que l’on doit la tradition d’afficher de grands portraits des champions récents à l’intérieur de l’arène. Cependant, loin de trouver de suite leur place dans le monde du sumo, les premières tentatives de mise en place d’un système de championnat se sont heurtées aux règles ancestrales en place depuis de nombreux siècles, et qui autorisaient une série de résultats ambigus.
En plus d’une victoire ou d’une défaite directe, une rencontre pouvait se terminer sur un score ex-aequo, une absence ou une non-contestation (à noter que si un lutteur était absent, son adversaire serait lui aussi frappé de non présentation même s’il était présent dans l’arène). Chaque lutteur était alors inscrit dans sa propre colonne, et n’était pas pris en compte dans le nombre total de lutteurs de la rencontre.

Takahanada, de la division maegashira (à gauche), qui prendra plus tard le nom de Takanohana et qui accédera au rang de yokozuna, et Konishiki, de division ôzeki, posent devant leurs portraits de champions lors d’une cérémonie de présentation des portraits, à Tokyo en 1992. Traditionnellement, la présentation des portraits des vainqueurs des deux compétitions précédentes a lieu la veille du début de chacun des trois tournois organisés au Ryôgoku Kokugikan, à Tokyo. (© Jiji)

Portraits de champions accrochés au Kokugikan. Offertes par le journal Mainichi, ces photos sont celles des vainqueurs des 32 derniers tournois. (© Jiji)
1914 sera l’année de la controverse ; le lutteur Ryôgoku établit un record lorsqu’il fait pour la première fois son entrée dans la division makunouchi (la 1ere division). Remportant neuf victoires, il devance le yokozuna Tachiyama (qui en totalisait huit) et mène le camp est à la victoire. Certains remettent en question ce championnat historique, les deux lutteurs invaincus ne s’étant pas affrontés. Cependant, Tachiyama, lui, dont le combat s’est terminé sur un score ex-aequo, a ainsi vu s’évanouir sa chance de remporter une neuvième victoire, qui aurait été décisive, lorsque son adversaire s’est retiré du tournoi. Certains pensent qu’il ne l’aurait pas fait pour les bonnes raisons.
L’Association du sumo n’adoptera officiellement le système de championnat individuel qu’en 1926, après la création de la Coupe de l’empereur, l’année précédente, un prix qui est encore aujourd’hui remis au vainqueur de la division makunouchi. L’organisation mettra ensuite en place de nouvelles règles sur une période de deux ans pour qu’un lutteur soit déclaré vainqueur du tournoi. Il s’agit notamment d’une remise en jeu en cas de score à ex-aequo et de l’abandon des combats non contestés.
1947 sera également l’année du changement avec l’avènement d’une structure éliminatoire, permettant de départager les champions en cas d’égalité des scores. La popularité du sumo ayant lourdement pâti des années de guerre, l’association a décidé de supprimer l’ancienne coutume qui consistait à attribuer le titre au lutteur le mieux classé, dans le but de rendre la compétition plus intéressante.
La cérémonie d’entrée sur le ring, prélude au combat en lui-même
L’un des plus grands et des plus reconnaissables rituels du sumo est la façon d’entrer sur le ring, ou dohyô-iri, avant le début de chaque combat de la division makunouchi. Il est apparu à l’époque Kyôhô (1716–1736), mais rares sont les preuves encore existantes des origines de ce spectacle captivant.

Une gravure de 1849 d’Utagawa Kuniyoshi (1798-1861) représentant la cérémonie d’entrée sur le dohyô. (Avec l’aimable autorisation de la collection de la bibliothèque centrale métropolitaine de Tokyo)
Le dohyô-iri consiste à insuffler de la puissance au public par les expressions faciales des différents lutteurs en compétition et les rituels d’applaudissements et de frappes de pieds. Le kashiwade est un style d’applaudissement, où les lutteurs joignent avec force leurs paumes de mains en l’honneur des divinités shintô. Il précède le shiko, qui consiste pour le lutteur à lever chaque pied en l’air, puis à frapper le sol avec fermeté en signe de domination sur les esprits terrestres maléfiques.
Avant l’ère Meiji, les lutteurs de la division makunouchi exécutaient le kashiwade et le shiko pendant la cérémonie d’entrée sur le ring, d’une manière comparable à celle des yokozuna aujourd’hui, une main tendue avant de frapper le sol de leurs pieds pour faire montre de leur force et de leur équilibre. Cependant, alors que les compétitions dans la division devenaient de plus en plus nombreuses, non plus dix, comme c’était le cas, traditionnellement, le fait qu’un si grand nombre de lutteurs aussi imposants exécutent le shiko, massés autour du ring, est devenu problématique, si ce n’est dangereux. Le shiko sera ainsi plus tard supprimé, si bien qu’aujourd’hui, les lutteurs applaudissent et lèvent les deux mains en l’air avant de soulever légèrement leur keshô mawashi, qu’ils portent pour la cérémonie.
La coutume qui consiste à appeler le nom de chaque lutteur au moment de leur montée sur le ring, le dohyô-iri, est également relativement nouvelle. Traditionnellement, les lutteurs entraient et sortaient du ring pendant la cérémonie de façon plutôt sobre, sans guère de considération pour leur rang ou leur écurie. Le système actuel, où les lutteurs sont conduits à l’arène par ordre de rang par un arbitre (gyôji) et foulent le dohyô lorsque leur nom est appelé, n’a été adopté qu’en 1965 pour rendre la cérémonie plus intéressante pour les spectateurs.

Des lutteurs forment un cercle lors de la cérémonie d’entrée sur le ring. Ce rituel a lieu seulement avant le début des combats dans les deux divisions les plus élevées : jûryô et makunouchi. (© Jiji)
Le dohyô-iri des yokozuna suit les rituels exécutés par la division makunouchi lors de leur entrée sur le ring. Il a été exécuté pour la première fois en 1789 par Tanikaze et Onogawa, les deux premiers lutteurs officiellement détenteurs du rang de yokozuna. Selon des archives, les lutteurs portaient un keshô mawashi et à la taille, une corde blanche épaisse spéciale appelée shimenawa. Ils étaient les uns après les autres conduits sur le ring par un assistant (tsuyuharai), muni d’un grand sabre. La forme prise par les cérémonies d’entrée sur le ring demeure inconnue mais la coutume voulait qu’elle corresponde à leur rang de yokozuna et que les lutteurs soient conduits sur le ring de façon sobre.
Le dohyô-iri chez les yokozuna a pris de l’ampleur au cours des décennies suivantes, avec l’ajout de nouveaux éléments, comme le fait de se lever lentement après s’être accroupi, avec un bras ou les deux tendus après avoir exécuté un shiko (piétinement). Deux formes différentes verront finalement le jour, le style shiranui, qui se distingue par le fait d’avoir les deux bras ouverts et le style unryû, où le bras gauche est incliné vers l’avant et le bras tendu de l’autre côté.

Le yokozuna Terunofuji exécute le rituel de la cérémonie d’entrée sur le ring dans le style shiranui. (© Kyôdô)
Des tenues différentes selon les lutteurs
Le mawashi, seule tenue portée par le lutteur sur le ring et pendant l’entraînement, est à la base un simple pagne appelé fundoshi. Auparavant, il était coutume de ne porter que le strict minimum en cas de travail manuel intense, si bien que le fundoshi fut adopté en tant que tenue des lutteurs de sumo. Au fil du temps, cette tenue a évolué pour devenir les différents types de mawashi portés aujourd’hui.
Le type de mawashi porté par les lutteurs de divisions jûryô et makunouchi lors des combats porte le nom de de shimekomi. Ils sont fabriqués en satin de soie tissé dans le style hakata-ori. Ils se caractérisent notamment par la présence d’une pièce de tissu rigide connue sous le nom de sagari, sur le devant et à laquelle sont accrochés de nombreux cordons de ceinture. La plupart des sagari sont composés de 19 cordons, mais les lutteurs peuvent en porter plus ou moins, à condition que le nombre total soit impair, les nombres pairs étant considérés de mauvais augure, car ils peuvent facilement être « brisés ».

Takayasu frappe son shimekomi pour se préparer à un combat. (© Jiji)
Les mawashi réservés à l’entraînement, eux, sont simples, et en coton. Ceux portés par les lutteurs des deux plus hautes divisions, jûryô et makunouchi, sont de couleur blanche, et ceux de divisions inférieures telles que makushita sont noirs, pour les entraînements comme pour les combats.

Gônoyama (à gauche) pousse l’ôzeki Kotozakura à l’entraînement sous le regard des lutteurs de rang inférieur. (© Jiji)
Que le spectacle commence !
Contrairement aux mawashi et shimekomi réservés à l’entraînement, le keshô mawashi, qui ressemble à un tablier et que portent les lutteurs lors de la cérémonie d’entrée sur le ring et lors d’événements spéciaux, n’a des fins que purement esthétiques.
Au début de l’époque d’Edo, les pagnes en lin blanc étaient la norme. Cependant, avec l’apparition de la soie et du satin, les lutteurs ont commencé à ajouter des motifs pittoresques brodés d’or et d’argent sur les bords de leur mawashi.
Mais les mawashi deviennent problématiques à fur qu’ils sont de plus en plus décorés. Les doigts et les mains des lutteurs se raccrochent souvent aux fils des broderies pendant les combats. Vers le milieu du XVIIIe siècle, le keshô mawashi et le shimekomi sont devenus deux éléments bien distincts, le premier étant exclusivement réservé à la cérémonie d’entrée sur le ring. La partie avant du keshô mawashi est peu à peu devenue de plus en plus longue jusqu’à atteindre le haut des pieds des lutteurs, comme c’est le cas aujourd’hui, offrant toujours plus d’espace pour des motifs de plus en plus chargés.
Un keshô mawashi est relativement cher, avec des prix commençant généralement à 800 000 yens. Ces coûts ne sont généralement pas à la charge des lutteurs, ces objets étant généralement offerts par des mécènes, des clubs de supporters ou des sponsors. Les motifs des keshô mawashi reflètent le donateur, représentant par exemple le produit d’une entreprise. Ils peuvent également avoir une signification particulière pour les lutteurs, comme un surnom ou un objet de leur préfecture ou pays d’origine.

De gauche à droite : le keshô mawashi de Takamizakari joue sur son surnom de « Robocop » ; celui d’Atamifuji présente une marque de crème brûlée de sa ville natale ; et celui de Tobizaru met en scène le Roi Singe, un personnage légendaire qui, comme le lutteur, est petit mais puissant. (© Jiji)
Cependant, parmi tous les keshô mawashi, deux se distinguent particulièrement. Le premier a appartenu au yokozuna Hitachiyama. Il était décoré d’un motif de laurier aux feuilles incrustées de perles, de rubis et d’autres pierres précieuses, avec au centre un diamant de 5 carats. Mais ce n’est rien par rapport au deuxième keshô mawashi, le seul à pouvoir rivaliser, celui de Wakashimazu, avec un prix fixé à 150 millions de yens, arborant un aigle en plein vol, un diamant de pas moins de 10 carats dans le bec. Le mawashi en lui-même aurait eu une valeur de 5 millions de yens, la valeur étant essentiellement concentrée dans le diamant.
Bien que les keshô mawashi chargés et aux couleurs vives ne soient plus vraiment au goût du jour, ces objets continuent d’attirer l’œil et ne manquent pas de faire grande impression auprès des fans et du public.
(Photo de titre : des lutteurs de division makunouchi parés de leur keshô mawashi lors de la cérémonie d’entrée sur le ring. © Jiji)