À l’heure de « l’ébullition mondiale », le Japon veut comprendre la fonte de l’Antarctique

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Ôtsuka Takahiro [Profil]

En 2023, le niveau de glace en Antarctique n’a jamais été aussi bas. Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a donc tiré la sonnette d’alarme. Finie l’ère du réchauffement climatique, nous sommes passés à celle de « l’ébullition mondiale ». Plusieurs scientifiques japonais sont dans les équipes de recherches qui travaillent à mieux comprendre comment les courants marins chauds font fondre les plateformes glaciaires de l’Antarctique.

Des vortexs géants qui font fondre les glaces

Si la 65e expédition continue d’analyser les mécanismes de fonte des glaces en Antarctique oriental, les chercheurs veulent également effectuer des relevés sur le Totten (l’un des plus grands glaciers de l’Antarctique oriental). En effet, des données satellitaires ont montré qu’il fondait plus rapidement que tous les autres glaciers en Antarctique de l’Est. Or si l’ensemble du Totten disparaissait, le niveau total des mers s’élèverait de 3 à 4 mètres.

Sur la base des données d’une étude océanique réalisée près du glacier Totten en 2017-21 par une équipe japonaise, américaine et australienne, Mizobata Kôhei, professeur associé de l’Université des sciences et technologies marines de Tokyo et son équipe ont réussi à identifier plusieurs vortex géants tournant dans le sens des aiguilles d’une montre au large de la côte. Ils ont compris que ces tourbillons propulsaient des eaux chaudes en direction du glacier. Plus ou moins stationnaires et en ascension verticale, ces vortexs font de 150 à 200 kilomètres de diamètre. Des recherches supplémentaires portant sur le relief du fond marin sont nécessaires pour mieux comprendre la genèse du processus. Reste à savoir si un phénomène similaire existe dans les mers autour de l’Antarctique. Plus on découvrira de tourbillons, plus il sera facile d’estimer la vitesse de fonte des glaces sous-marines. La température des eaux chaudes projetées par les vortexs n’étant pas constante, il faudrait pouvoir collecter des données sur au moins dix ans.

Élucider le mécanisme de fonte des calottes glaciaires et déterminer avec précision le rythme de la fonte, devrait permettre de chiffrer plus précisément l’élévation du niveau de la mer et mieux anticiper les changements climatiques à venir.

Les courants marins près du Totten

Les changements climatiques de demain au prisme des glaces anciennes

L’équipe de recherche japonaise souhaite non seulement comprendre les mécanismes de la fonte des glaces en Antarctique oriental, mais aussi collecter les plus anciennes carottes de glace du monde. Ces carottes sont prélevées dans des couches de glace qui se forment petit à petit, au fil des ans et des chutes de neige. Elles sont comme des capsules temporelles car elles ont emprisonné de l’air sur des centaines de milliers d’années. Grâce à elles on peut lire, époque après époque, le climat, les variations de températures et la composition de l’atmosphère.

En 2006, des chercheurs japonais ont extrait d’une carotte faisant 3 km de long une glace vieille de 720 000 ans, qu’ils ont analysé. Leur prochain objectif est d’échantillonner de la glace ayant un million d’années. Ce fragment sera prélevé sur un site proche de la base Dome Fuji : six ans auront été nécessaires pour choisir où l’extraire. Pourquoi ce nom de Dome Fuji ? Parce que la couche de glace sous la base antarctique fait justement 3 700 mètres, ce qui correspond à peu près à la hauteur de la plus haute montagne du Japon. Les chercheurs pensent pouvoir prélever des carottes de glace de 2 700 mètres de long, ce qui leur donnerait accès à de la glace ayant un million d’années d’âge.

Comprendre quel était le climat de la Terre il y a un million d’années, permettra aux chercheurs d’estimer l’étendue des zones recouvertes de glace pendant les périodes glaciaires et ainsi de déterminer l’élévation du niveau des mers pendant les périodes interglaciaires. Ces résultats seront des indicateurs précieux pour anticiper l’ampleur des futurs changements climatiques. De -1,6 à -1,2 million d’années, les périodes glaciaires et interglaciaires ont alterné sur un cycle de 40 000 ans, actuellement le phénomène s’est allongé et depuis l’alternance se produit plutôt tous les 100 000 ans. L’échantillonnage de carottes de glace vieilles d’un million d’années devrait permettre aux scientifiques de comprendre pourquoi le cycle s’est ralenti. Si tout se passe bien, l’échantillon devrait être prélevé d’ici à 2028.

Prélèvement dans une carotte, extraire de la glace vieille de 720 000 ans. (© Institut des recherches du cercle polaire du Japon)
Prélèvement dans une carotte, extraire de la glace vieille de 720 000 ans. (© Institut des recherches du cercle polaire du Japon)

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Ôtsuka TakahiroArticles de l'auteur

Directeur du service international de la chaîne Fuji Television. Après avoir travaillé comme reporter, caméraman et journaliste au service d’enquête et de reportage au niveau régional, il dirige l’antenne de Fuji à Berlin puis prend ses fonctions actuelles. Il a créé et produit la série documentaire intitulée « Crise environnementale » (Kankyô crisis), et dans ce cadre a participé en 2022 pendant 132 jours à la 64e expédition de recherche japonaise en Antarctique.

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