
Ces quatre jeunes lutteuses qui défient le monde du sumo
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Une jeune lutteuse « dénuée de tout point faible »
Abe Nana, aujourd’hui en dernière année de collège, fait la fierté de la préfecture de Niigata : « Fille la plus forte du sumo » au Japon, elle a remporté des tournois nationaux à 12 reprises. J’ai assisté en personne à l’un de ses combats le 1er janvier 2023, à l’occasion du premier Championnat du Japon de sumo féminin du Nouvel An. Conçu par les athlètes elles-mêmes en tant que moyen de montrer l’enthousiasme que peut susciter le sumo féminin, l’événement était géré par des femmes pour des femmes.
Quand les présentateurs ont appelé Nana, l’atmosphère sur place a brusquement changé. Dès qu’elle est entrée sur le ring, l’intensité de sa présence a submergé tout le monde.
Après une révérence pleine d’entrain, elle s’est frappé bruyamment les cuisses. Le gyôji, ou arbitre, a lancé le cri d’envoi traditionnel « Hakkeyoi ! » et, en l’espace d’un instant, tout était fini.
Après ce tournoi, qui l’a couronnée première reine de tous les temps de la catégorie juniors, elle a remportée la victoire dans la même catégorie lors des Championnats nationaux de mai et de juillet. Elle s’est avérée invincible.
Abe Nana célébrant sa victoire dans la catégorie juniors poids lourds le 16 juillet 2023, à l’issue du Tournoi japonais de sumo féminin de Gifu. Elle a remporté la victoire en ayant recours à sa technique favorite, l’oshidashi, qui consiste à sortir de force son adversaire du ring. (Photo avec l’aimable autorisation d’Abe Nana)
« Ma sœur est timide et se cache toujours dans mon ombre. mais dès qu’elle met les pieds sur le ring, elle se transforme en super-héros », dit Sakura, la sœur de Nana et son aînée de deux ans.
Lorsqu’elles étaient toutes deux élèves à l’école primaire, Sakura a décidé de tenter sa chance au Tournoi de sumo de Wanpaku, une compétition nationale pour les enfants organisée par la Fédération japonaise de sumo et la Junior Chamber International de Tokyo, et Nana a suivi le mouvement. Ce fut le premier contact des sœurs Abe avec le sumo. Sakura a été vaincue en demi-finale, mais Nana s’est battue comme un vétéran et a été couronnée championne.
« J’ai gagné mon premier tournoi en quatrième année, et n’ai jamais cessé depuis lors de rêver de devenir championne du monde. Je veux donner encore plus de force à mon oshidashi », dit l’adolescente prodige. Elle déclare que les interviews la rendent terriblement nerveuse, et sa voix est si calme qu’on a du mal à croire que c’est la même fille qui se déchaîne sur le ring. Pourtant, quand je lui demande quels points faibles elle cheche à cacher, elle répond sans hésitation : « Je n’en ai aucun ! »
L’objectif de Nana : que le sumo soit son unique gagne-pain. Mais à l’heure actuelle, il n’existe aucun moyen pour une femme d’y parvenir. Sakura, qui jusqu’à présent sert d’assistante à sa sœur, dit : « Il n’est pas normal qu’une fille qui s’est pareillement démenée doive subir de telles contraintes du simple fait de son sexe. » Sa voix déborde de passion.
« C’est sympa de voir des filles se rentrer dedans de toutes leurs forces, sans ce soucier de ce qu’en pensent les gens. Tout le monde est sérieux. Tout le monde se donne à fond, tout comme dans le sumo au niveau professionnel. Si tout le monde pouvait voir à quel point c’est génial, je pense que cette façon de faire attirerait des tonnes de fans. Et alors, Nana serait en mesure de vivre son rêve. »
Abe Nana a remporté haut la main le Tournoi individuel de sumo du Japon par catégories de poids qui s’est déroulé le 14 mai 2023 — tournoi qui constitue souvent le premier pas vers le sumo professionnel. Sakura (à gauche) avait les larmes aux yeux lors de l’ouverture du championnat du monde par sa sœur. (Photo avec l’aimable autorisation d’Abe Nana)
« Les combats ne durent que deux ou trois secondes »
La sans rivale. C’est ainsi qu’on appelle Hisano Airi, âgée de 24 ans. Quand on lui a demandé qui elle prenait pour modèle, Abe Nana a très vite prononcé son nom, en disant « elle est tellement forte et tellement gentille ».
À l’issue du Championnat du Japon de sumo féminin du Nouvel An, elle est devenue la première championne de tous les temps après avoir gagné le dernier round, au cours duquel s’affrontaient les vainqueurs de toutes les catégories. Sa force est irrésistible, mais son entrée dans le sport a été tardive, puisqu’elle n’a commencé qu’à l’université.
« J’ai fait mes débuts dans le karaté, mais quand j’étais en dernière année de primaire, j’ai participé au Tournoi de sumo de Wanpaku et me suis classée deuxième. Dès que je suis passée dans le secondaire, un élève plus âgé a commencé à me pousser à m’inscrire au club de judo, en disant que mes matchs de sumo les impressionnaient. »
Airi a poursuivi le judo pendant toute la durée de ses études secondaires, « mais, dit-elle, on me harcelait. J’ai donc quitté à la fois mon club et mon école ». Elle est entrée dans un autre établissement et s’est remise au judo, sans parvenir pour autant à oublier ses pénibles souvenirs. On lui recommanda le sumo pour la possibilité qu’il lui offrait de changer de rythme.
« Les combats ne durent que deux ou trois secondes, si bien que ça va plus vite et que c’est plus palpitant que le judo. Le sumo est aussi intéressant pour sa limpidité. Si vous tombez à terre ou sortez du ring, vous avez perdu. »
La Nihon University a repéré son talent lors de son premier tournoi, et elle était vraiment sur la voie du sumo féminin. Outre les forces essentielles acquises via le karaté et la puissance accumulée dans la pratique du judo, elle bénéficie d’un remarquable bon sens.
« Je suis toujours débutante dans le sumo, et il reste donc beaucoup de place pour améliorer mes aptitudes. Je veux apprendre en me confrontant à des lutteurs expérimentés », dit Hisano Airi, sans cacher ses ambitions. (Photo avec l’aimable autorisation de Hisano Airi)
Airi a remporté quatre tournois nationaux, et tout le monde autour d’elle l’appelle la « souveraine absolue ». Mais s’il lui arrivait de perdre, l’épreuve en serait d’autant plus dure — et cette éventualité lui paralysait le corps, qui aurait dû bouger de son plein gré. Elle l’empêchait de lutter comme elle l’aurait voulu.
Toujours en proie à ce conflit, la lutteuse a paticipé l’an dernier au Jeux mondiaux. Lors de son premier combat, elle a affronté une puissante adversaire considérée comme une gagnante potentielle du championnat. Au moment même où elles sont entrées en collision, se souvient-elle, elle a ressenti une toute nouvelle excitation pour ce sport. Non seulement son adversaire était forte, mais il était en outre claire qu’elle aimait vraiment le sumo.
« L’idée de combattre contre la meilleure au monde m’exaltait et j’en oubliais les pressions inhérentes au statut de championne. » Cette nouvelle inspiration l’a nourrie, et elle s’est placée troisième dans la catégorie poids-lourds.
« Quand vous vous efforcez de devenir plus fort, peu importe que vous soyez un homme ou une femme. De même que Raoh dans Ken le survivant, lorsque je suis sur le ring, je veux être forte, et gentille, et décontractée. »
À l’heure actuelle, elle travaille comme agent de sécurité tout en continuant de s’entraîner. Elle a de dures journées, mais son désir d’être la meilleure reste inébranlable.
Hisano Airi face au représentant de la Mongolie aux Jeux mondiaux qui se sont tenus en 2022 à Birmingham, en Alabama. La lutteuse s’efforce désormais de renforcer sa masse musculaire pour être mieux à même d’affronter les adversaires étrangers de plus grande taille. (Photo avec l’aimable autorisation de Hisano Airi)