Exploration de l’histoire japonaise
« Seppuku » : le sang-froid du guerrier devant la mort, ou une esthétique de l’honneur ?
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Le véritable cœur du guerrier, ce sont ses « tripes »
Le plus ancien cas de seppuku qui ait été enregistré remonterait à l’an 988, lorsqu’un bandit connu sous le nom de Hakamadare, ayant été capturé, s’est ouvert le ventre. Cependant, cette histoire (figurant dans un ouvrage intitulé Zoku-Kojidan) est peut-être plus proche d’une légende que de l’histoire factuelle. Premièrement, Hakamadare n’était pas vraiment un samouraï, et il n’est même pas établi qu’il se soit véritablement tranché les entrailles.
Ainsi, bien que l’on ne sache pas exactement quand cela a commencé, Yamamoto Hirofumi, professeur à l’Institut des archives historiques de l’Université de Tokyo (aujourd’hui décédé), a émis l’hypothèse que les événements survenus lors des troubles de Genpei, une guerre civile pour la domination de la cour impériale à la fin du XIIe siècle, pourraient avoir été le catalyseur de la propagation de cette pratique dans la communauté des samouraïs.
En 1189, Minamoto no Yoshitsune, poursuivi par son demi-frère Minamoto no Yoritomo, qui deviendra le premier shogun du Japon, se réfugie au nord-est du pays. Se trouvant dans l’impossibilité de fuir plus loin, il aurait alors demandé à l’un de ses lieutenants « comment meurt un samouraï ? » « Il s’ouvre le ventre », lui répond celui-ci. Yoshitsune se tuera ainsi de cette manière. Selon le professeur Yamamoto, cette façon de mourir aurait effectivement été adoptée par les samouraïs pendant l’époque de Kamakura (1185-1333).
En tant que guerriers, les samouraïs étaient honorés de mourir au combat. Mais quand cela ne se produisait pas, ils choisissaient de succomber dans la douleur en y mettant toutes leurs forces, pour laisser au moins derrière eux une aura de bravoure attachée à leur nom. On dit aussi que ceux qui perdaient une bataille, ou qui étaient soupçonnés de trahison, montraient leur véritable cœur dans leurs tripes comme une façon de dire : « Eh bien, vous laverez mon nom avec ça ! »
Ce qui explique pourquoi l’éviscération a été reconnue comme une fin digne d’un samouraï.
Du point de vue formel, il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agissait d’un rite volontaire. Bien sûr, en réalité, un samouraï ne commet le seppuku que quand il est acculé, ou que le seigneur qui a pouvoir sur lui dit « meurs ! » C’est de se tuer dans la forme qu’il choisit qui lui permet de préserver son honneur. C’est cette esthétique qui a imprégné l’idéologie sociale des samouraïs durant toutes les époques de Kamakura et Muromachi.
Pendant la période des Provinces combattantes (XVe-XVIe siècle) s’est ajouté l’idée qu’un seigneur de guerre qui perd une bataille met un point d’honneur à donner sa vie pour sauver celle de ses subordonnés. L’exemple de Shimizu Muneharu, seigneur du château de Bichû Takamasu est célèbre : il s’est suicidé quand son château s’est trouvé encerclé par Toyotomi Hideyoshi.
En juin 1582, après avoir obtenu de Hideyoshi la promesse qu’il n’ôterait pas la vie à ceux qui se trouvaient dans le château, Muneharu quitta le château dans une barque et s’éventra. Ce fut considéré comme une fin brillante. Elle a servi d’exemple aux générations futures, avec ce commentaire : « Voilà comment on s’ouvre le ventre ».
On peut également y lire la philosophie du guerrier qui « prend la responsabilité », c’est-à-dire qui endosse individuellement sur sa vie, en tant que chef, un acte collectif.
Les raisons qui conduisent au seppuku ont évolué au fil du temps
Des missionnaires chrétiens hollandais de l’époque ont constaté cette pratique du seppuku pour « prendre la responsabilité ». Ainsi, quand ils décrivent la société japonaise dans leur pays, ils rapportent : « Ils s’ouvrent souvent le ventre d’une manière terrible et un courage rare, et [les gens] ont la plus grande sympathie envers eux ». (Extrait de L’Histoire du Japon de Montanus, publié aux Pays-Bas en 1669)
Le suicide étant proscrit dans le christianisme, en particulier dans le catholicisme, les Européens de l’époque ne pouvaient pas comprendre que les Japonais honorent ceux qui se suicidaient et montrent de la sympathie à leur égard.
Encore à la fin de l’époque d’Edo, en 1868, 11 membres du clan Tosa ont commis le seppuku pour le meurtre d’un marin français. L’officier supérieur commandant du détachement de l’armée française a assisté à la scène. Il a jugé cette coutume grotesque.
L’Occident a critiqué ce qu’il nommait « hara-kiri » (autre appelation plus familière et moins usitée que seppuku ; les deux expressions voulant littéralement dire « se couper le ventre »). Nitobe Inazô a réfuté ces critiques. Dans son livre Bushido, la voie du samouraï, il souligne que c’est un honneur pour un guerrier japonais « d’expier ses fautes, de s’excuser pour ses erreurs, de s’épargner la honte, de racheter ses alliés ou de prouver son intégrité ».
Cependant, il faut reconnaître que la pratique du seppuku avait évolué depuis la fin de la période des Provinces combattantes et l’avènement d’un monde plus pacifique. Ce n’était plus une vertu ou un honneur.
Voyons comment les choses ont évolué.
Au début de l’époque d’Edo (début du XVIIe siècle), le seppuku était considéré comme une forme de jugement kenka ryôseibai, c’est-à-dire « dans une bagarre, les deux sont coupables ». Par exemple, si deux membres de deux clans différents se disputaient et que l’un tirait son sabre et blessait l’autre, les deux étaient également coupables et on leur ordonnait à tous les deux de se faire seppuku.
En clair, autant celui qui porte atteinte à l’intégrité physique d’un samouraï sans discernement que celui qui porte la honte d’avoir été blessé sont condamnables. Le professeur Yamamoto Hirofumi affirme qu’à partir de cette époque, le seppuku visait essentiellement à « maintenir la fiction du guerrier-combattant ».
Puis cette règle est devenue floue.
Un subordonné dit du mal de son supérieur ? Ce dernier s’en plaint au metsuke (un « surveillant », qui fait office de juge des litiges éthiques entre samouraïs). Le service du metsuke examine la plainte et condamne le subordonné fautif, et lui seul, au suicide par seppuku. Cet incident s’est produit en 1623 dans le Kojunin-gumi, l’unité de garde du château shogunal d’Edo.
En fonction de leur grade, les guerriers qui pénétraient dans certaines zones de ce château devaient descendre de cheval et avancer à pied. Or des samouraïs qui ont négligé de descendre de cheval tout à fait involontairement, par ignorance des limites de la zone, ont été contraints de se faire seppuku.
Autrement dit, le seppuku a de plus en plus été utilisé comme outil de maintien de l’ordre et plus du tout comme règle d’honneur.
Sans doute l’éthique japonaise qui consiste à ne pas demander de comptes à ceux qui se suicident et à ceux qui meurent leur évitait la stigmatisation posthume. Cependant, on les a contraints à la mort pour une simple mauvaise parole, pour le fait qu’ils soient descendus ou non de leur cheval. Était-ce vraiment une question d’honneur, comme le dit Nitobe ?
Le seppuku comme style de beauté
La notion du seppuku comme signe de courage et d’énergie devant la douleur est également devenue de plus en plus floue.
En premier lieu, l’ouverture du ventre est une blessure peu létale.
L’anecdote remonte à la période Heian (794-1185). Pendant la guerre de Heiji (1160), Fujiwara no Michinori est défait, prend la fuite, creuse un trou et s’y ouvre le ventre. Or, quand ses poursuivants le trouvent, « il respire et ses yeux voient encore », comme le dit le Heiji monogatari. Il est donc pris vivant et décapité.
On a dit de l’ouverture du ventre que, comme méthode de suicide, elle était très douloureuse et peu mortelle. C’est là qu’intervient le kaishaku. Placé derrière celui qui s’ouvre le ventre, le kaishakunin ou « celui qui donne le kaishaku », va trancher sa tête dès que ce sera fait, mettant fin à la souffrance.
Cette pratique reste encore compréhensible, dans la mesure où il s’agit de donner le « coup de grâce ». C’est ce que l’on a appelé « la pitié du samouraï ». Mais comment justifier des pratiques comme le sensu-bara, qui fut courant à l’époque d’Edo ? Dans le sensu-bara, celui qui « s’ouvre le ventre » ne tient pas un sabre mais un éventail (sensu), et fait seulement mine de s’ouvrir le ventre comme s’il tenait un sabre. L’assistant le décapite dès qu’il baisse la tête. Il ne s’agit de rien d’autre que d’une simagrée de seppuku.
Aucun ventre n’est coupé, aucune douleur n’est supportée, tout est fait pour une exécution propre et rapide. Aucun besoin de montrer une force de caractère particulière, aucun besoin non plus de montrer ses tripes, personne ne verra jamais son « cœur véritable ».
Oui, mais l’honneur est sauf. Pour éviter de lui faire perdre la face à titre posthume, on dira qu’il s’est « formellement » éviscéré. Telle était la réalité.
Néanmoins, ne discutons pas des valeurs des samouraïs du passé unilatéralement de notre point de vue d’individus de l’âge moderne. J’explique seulement ici comme un guerrier considérait une mort dans la dignité. En outre, des cas ont réellement existé de maisons qui ont effectivement pu se perpétuer grâce à la mort par seppuku de l’un de ses membres qui a renoncé à son moi et a accepté de mourir comme une pierre de rebut.
Il n’est pas exagéré de dire que les samouraïs naissaient et vivaient pour perpétuer leur famille. Ils pouvaient préserver leur maison et la préserver jusqu’aux générations futures en « prenant » la responsabilité jusque dans la mort. C’était sans doute là l’état d’esprit des samouraïs quand ils décédaient.
(Photo de titre : Tokugawa bakufu keiji zufu [« Dessins criminels des temps du shogunat Tokugawa »], scène de seppuku. Un tissu blanc est posé sur trois tatamis et un poignard sur un présentoir triangulaire est placé devant lui. La personne à droite est le kaishakunin. Collection du musée de l’Université Meiji.)