Un médecin dans l’univers des prisons japonaises : la réalité du métier derrière les barreaux

Personnages Société Santé Livre

Takino Yûsaku [Profil]

Le docteur Ôtawa Fumie met en lumière la réalité peu connue des professionnels de santé travaillant dans les prisons au Japon. Elle a choisi de pénétrer dans ce milieu, considéré comme « effrayant » pour beaucoup, afin d’exercer son métier avec le plus d’humanité possible.

Ôtawa Fumie ŌTAWA Fumie

Spécialisée dans tous les aspects de la médecine interne, elle travaille également en tant que professionnelle de santé dans les prisons, s’occupant des patients dans les institutions pénales. Après avoir reçu son diplôme de la Tokyo Women’s Medical University, elle commence à travailler dans les hôpitaux universitaires et les centres médicaux d’urgence puis dans la médecine privée avant d’occuper son poste actuel en 2018. Dans le cadre de son travail pour la prévention des récidives, Ôtawa est l’une des premières à intégrer la « gymnastique du rire » dans ses programmes de réhabilitation. Ses publications les plus connues comprennent « Se débarasser de sa mère » (Haha o suteru to iu koto) et « Médecin de prison » (Prison doctor). Également très présente à la télévision, Ôtawa Fumie a été récemment désignée par le public comme la commentatrice la plus digne de confiance.

La pénurie de personnel, un véritable problème

Le docteur Ôtawa n’a pas eu particulièrement peur non plus après avoir commencé son travail en tant que médecin en milieu pénitentiaire. « Un des patients que j’ai vu aujourd’hui avait perdu un oeil et un doigt entier. Nombre d’entre eux sont des membres de gangs de yakuza. Puisqu’ils vivent selon les règles de leurs organisations, ils ont donc l’habitude d’obéir à une certaine forme de loi. C’est pourquoi à « l’intérieur », ils sont, de manière surprenante, plutôt doux et bien élevés. »

Selon elle, le plus grand problème auquel la médecine en milieu carcéral doit faire face est le manque de main-d'œuvre. Si la pénurie de personnel soignant dans les zones urbaines est en train d’être résolue, c’est loin d’être le cas dans les prisons régionales. Il est désolant de constater que certains bâtiments, où sont incarcérés plusieurs centaines de détenus, peuvent pendant des jours ne pas recevoir la visite d’un seul médecin.

Il existe également d’autres problèmes à gérer pour les cliniques des centres de détention.

« Puisqu’on nous impose des limites budgétaires, notre espace de stockage est limité et nous ne pouvons avoir qu’une petite réserve de médicaments. J’ajoute qu’aucune prison ne possède d’appareil à IRM ou de scanner. Quand c’est jugé nécessaire, nous envoyons nos prisonniers dans des hôpitaux à l’extérieur. Mais pour faire sortir les détenus de nos bâtiments, nous avons besoin de la présence de plusieurs gardiens, ainsi que d’un véhicule de transport. La logistique et la paperasserie chronophage que ce procédé entraîne allonge malheureusement la durée nécessaire pour diagnostiquer une seule maladie. Il est vraiment choquant pour moi de constater que même à l’intérieur de centres fermés, les docteurs doivent vraiment tout faire pour identifier les maladies des patients avant qu’il ne soit trop tard. »

Certains lecteurs du livre d’Ôtawa pourraient avoir l’impression que les patients ne bénéficient pas de soins de qualité en raison de leur passé criminel. Elle dément fermement. Les soins sont aussi poussés que possible : quand les détenus arrivent pour la première fois, ils sont minutieusement vus par un docteur, et pour leur bilan de santé annuel, ils passent une radiographie ainsi qu’un examen sanguin.

Le rôle de la médecine correctionnelle

Les détenus sont souvent condamnés à des travaux d’intérêt général en plus de leur temps d’emprisonnement. Pour cette raison, Ôtawa déclare : « Il est important qu’ils se maintiennent en bonne forme physique et mentale. Et c’est aussi une façon de réduire le taux de récidive. Ces dernières années, nous nous rendons compte que les punitions les plus dures ne sont pas nécessairement celles qui fonctionnent le mieux pour améliorer le comportement des prisonniers, et c’est pourquoi le système correctionnel est en train de changer. Nous savons que nous pouvons réduire le taux de récidive en nous concentrant sur l’éducation et le soutien de ceux qui sont en cours de réintégration dans la société. »

Dans les zones de la prison situées en dehors de la clinique, tels que les lieux de travail et de vie, les conditions restent particulièrement inconfortables. La vie de groupe se révèle souvent anxiogène, et certains des gardiens peuvent être très stricts. Ces derniers crient sur les détenus qui répondent, tout refus d’obtempérer est sanctionné par une punition, et ceux qui se bagarrent sont placés à l’isolement. « La clinique est véritablement l’endroit le plus paisible de la prison », note Ôtawa. « Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles les prisonniers demandent sans cesse à voir les médecins. »

Selon Ôtawa, les détenus peuvent parler au personnel médical de ce qui les fait souffrir, mais aussi de ce qui les dérange.

« Je pense que le plus gros travail d’un médecin de prison est de montrer aux détenus qu’ils sont dans un endroit dans lequel ils seront écoutés, plutôt que de leur donner l’impression qu’ils n’ont pas le droit de se plaindre en raison des actes qu’ils ont commis par le passé. Le message que je souhaite transmettre est le suivant : si le monde extérieur et la société refusent d’accepter les anciens détenus et les traitent comme des parias, ils n’auront plus nulle part où aller. La récidive n’est pas un problème qui puisse être uniquement résolu « à l’intérieur ». Il doit également y avoir un accueil pour eux « à l’extérieur ». Je pense que c’est la communauté, dans sa globalité, qui permet aux anciens criminels de changer leurs comportements et d’être correctement réinsérés.

(Photo de titre : Ôtawa Fumie dans les bureaux de Nippon.com, à Tokyo)

Tags

société santé livre femme médecin personnalité prison

Takino YûsakuArticles de l'auteur

Critique littéraire. Né dans la préfecture d'Osaka. Diplômé de droit à l'université Keiô, il travaille pendant 30 ans pour les magazines d'une grande maison d'édition, en tant qu'éditeur des feuilletons écrits par des romanciers à succès comme Matsumoto Seichō. Il a aussi beaucoup écrit sur le monde de la politique et de la diplomatie.

Autres articles de ce dossier