Le renouveau régional au Japon

Dénicher les trésors de l’île : la méthode du village d’Ama face au dépeuplement

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Face à la désertification d’une région, une solution : dénicher ses trésors et les mettre en valeur pour redynamiser et repeupler. Le village d’Ama, sur une île reculée, s’active avec un certain succès à attirer de nouveaux résidents et se démène pour leur donner envie de rester. Petit à petit, ce lieu pittoresque se fait connaître à travers le Japon et sert de modèle de revitalisation pour d’autres communautés. Reportage.

L’apport des nouveaux arrivants

Ishida Daigo, maintenant âgé de 42 ans, était l’un de ces nouveaux résidents. Il est arrivé d’Osaka en 2005 et n’a plus jamais quitté l’île. Désillusionné par les pratiques commerciales de son ancienne entreprise, il se mit à la recherche d’un nouvel emploi. C’est alors qu’il fut intrigué par une petite annonce pas comme les autres : « Recherche personnes pour trouver le trésor caché de l’île. »

L’emploi en question consistait en une unité de transformation des produits de la mer, à l’aide d’une technique de congélation rapide qui permettrait de conserver toute la fraîcheur du produit. L’industrie halieutique d’Ama était accablée par des coûts de transports extrêmement élevés jusqu’au port de Sakai (préfecture de Tottori), et des problèmes au niveau de la fraîcheur du produit entraînaient bien souvent une baisse des prix. Cette technologie avait été introduite par une coentreprise entre le gouvernement et un certain nombre de sociétés, conçue pour apporter des ressources au village, notamment en stimulant les ventes d’huîtres et de calmars.

L’usine de traitement de produits de la mer utilise le système CAS (Cells Alive System, « système cellules vivantes ») pour congeler instantanément les calmars (avec l’aimable autorisation de la mairie d’Ama).
L’usine de traitement de produits de la mer utilise le système CAS (Cells Alive System, « système cellules vivantes ») pour congeler instantanément les calmars. (Avec l’aimable autorisation de la mairie d’Ama)

L’usine de traitement utilise le CAS, ou « système cellules vivantes », une technologie qui permet de congeler instantanément les cellules afin de multiplier par trois la valeur des calmars. Selon Ishida Daigo, il s’agit d’une opération assez simple, où chaque tâche a aidé à donner un souffle nouveau au village. Et cette trouvaille, il n’était pas peu fier d’en parler avec ses amis. « Il est probablement là mon trésor. »

Autre découverte d’un nouveau membre du village : le concombre de mer séché. En 2005, Miyazaki Masaya, alors étudiant à l’université Hitotsubashi, à Tokyo, s’est activement impliqué dans un projet d’échange avec les élèves du collège d’Ama. Et il est littéralement tombé amoureux du village. À tel point qu’il refusera même un poste dans une institution financière et ira s’installer à Ama pour travailler dans l’industrie de la pêche locale. Inspiré par son expérience en tant qu’étudiant en Chine, il se rendit compte que des concombres de mer, un ingrédient de prix dans la cuisine chinoise, pourraient être élevés dans le village pour ensuite être exportés en Chine. Le problème de sous-évaluation des produits du village était ainsi résolu.

Seulement, il n’y avait aucune structure pour le séchage desdits concombres de mer, et même avec une subvention de la part du gouvernement, Miyazaki Masaya et son équipe étaient loin du compte ; il leur fallait encore 70 millions de yens (soit 480 000 euros) de financement de la part du village. La proposition de budget d’Ama pour l’exercice fiscal 2007 se heurta à une forte opposition au sein du conseil. Ôe Kazuhiko, qui était responsable de la promotion du secteur à la mairie, n’épargna pas ses efforts et expliqua en détail pourquoi, si le projet rencontrait le succès escompté, il apporterait des sommes considérables au village, via la Chine. En démontrant que l’argent en surplus serait redistribué aux pêcheurs locaux, apportant ainsi des revenus supplémentaires à chacun d’entre eux, il finit par convaincre le conseil d’adopter sa proposition de budget. Encore à l’heure actuelle, le concombre de mer est toujours une précieuse source de revenus pour Ama.

L’usine de traitement des concombres de mer de la marque Tajimaya (avec l’aimable autorisation de la mairie d’Ama)
L’usine de traitement des concombres de mer de la marque Tajimaya (avec l’aimable autorisation de la mairie d’Ama)

Bouche-à-oreille, réseaux sociaux…. les histoires des premiers nouveaux arrivants se sont répandues, attirant sans cesse de plus en plus de nouveaux résidents à les rejoindre. Depuis l’introduction des réformes en 2004 jusqu’en 2021, le village a attiré un total de 873 nouveaux habitants. 414 d’entre eux ont choisi de rester, soit 18,7 % des 2 212 âmes que compte le village (chiffres de mars 2021). Pari réussi pour Ama qui a fait d’une pierre deux coups : trouver une solution à la désertification à laquelle il était confronté et remédier au vieillissement de sa population.

Nombre de nouveaux résidents à Ama (chiffres cumulés)

Alors que le village se voit confronté à un dilemme en raison du vieillissement démographique, de nouveaux arrivants sont extrêmement précieux dans de nombreux secteurs, chaleureusement accueillis par la population locale. « Tout le monde se donne un coup de main les uns les autres, tout le monde veut travailler ensemble pour montrer sa reconnaissance envers l’île », confie Ishida Daigo. Un grand nombre de personnes sont venues s’installer à Ama, sans nécessairement avoir de plan précis en tête, mais elles se sont immédiatement senties chez elles.

Le port de pêche de Toyoda, dans le nord du village d’Ama (© Nippon.com)
Le port de pêche de Toyoda, dans le nord du village d’Ama

Devenir un modèle de lutte contre le dépeuplement

L’un des exemples de cette nouvelle vague de résidents est Kojima Megumi. Sur sa carte de visite, on peut lire « Mi-responsable gouvernementale / Mi-X » au sein de la division de la promotion des échanges du village d’Ama. Mi-X ? Elle nous explique qu’elle peut, pour le bien de sa communauté, endosser n’importe quel rôle. « J’ai même changé des draps et fait du repassage dans un hôtel du village » confie-t-elle.

Le cas de Kojima Megumi est le symbole du vent de révolution qui a commencé à souffler parmi les fonctionnaires du village. Cette révolution intègre également la philosophie épousée par le maire d’Ama : « Ne pense pas que ton travail consiste uniquement à rester assis derrière ton ordinateur et faire bien gentiment ce que te demande le gouvernement préfectoral ou national. Les défis auxquels nous sommes confrontés sont en première ligne, c’est à nous de prendre des initiatives qui bénéficieront à la communauté. »

Kojima Megumi et son originale carte de visite (© Nippon.com)
Kojima Megumi et son originale carte de visite

Kojima Megumi a quitté la préfecture pour s’installer à Ama en avril 2022. Avec la pandémie de Covid-19, le télétravail était bien accepté, à tel point qu’il était possible de travailler pour un bureau à Tokyo tout en cultivant du raisin pour faire du vin !

Ces derniers temps, le village est allé au-delà de la simple recherche de nouveaux résidents, se demandant comment il pourrait leur donner envie de rester. Ceux qui font la force d’Ama peuvent se trouver n’importe où, mais ils sont encouragés à conserver des liens financiers avec le village, par exemple en achetant des produits locaux, ou par le biais du système furusato nôzei (qui propose de faire un don à sa commune natale en échange d’une réduction d’impôts et de cadeaux de remerciement). Le village organise également des « échanges entre étudiants » adultes pour une durée comprise entre 3 et 12 mois, afin de faire connaître l’île.

Pourtant confronté au vieillissement de sa population, au déclin de son taux de natalité et à un manque de vitalité, le village d’Ama est une lueur d’espoir pour l’avenir du Japon. Toyota Shôgo est le représentant spécial pour le développement de ressources humaines du conseil d’Ama. Selon lui, « La gêne engendre la sagesse. Notre défi est de devenir un modèle pour l’avenir du Japon ».

Ama reçoit désormais fréquemment des visites de représentants d’autres gouvernements locaux, eux aussi confrontés au problème de la désertification. Ici, des représentants du village d’Ogasawara, un avant-poste insulaire isolé de Tokyo, rencontrent Toyota Shôgo (en bleu, derrière le pupitre). Il leur évoque les stratégies adoptées par Ama (© Nippon.com).
Ama reçoit désormais fréquemment des visites de représentants d’autres gouvernements locaux, eux aussi confrontés au problème de la désertification. Ici, des représentants du village d’Ogasawara, un avant-poste insulaire isolé de Tokyo, rencontrent Toyota Shôgo (en bleu, derrière le pupitre). Il leur évoque les stratégies adoptées par Ama.

Le village d’Ama est accessible par ferry ; à quatre heures de la terre ferme, depuis la ville de Sakaiminato, dans la préfecture de Tottori ou à une heure depuis Dôgo, la plus importante île de l’archipel Oki, lui-même à seulement 40 minutes de vol de l’aéroport Itami d’Osaka. Les ferries sont fréquemment annulés en raison des conditions météorologiques en mer, notamment en automne et en hiver.

(Photos [sauf mention contraire], reportage et texte de Mochida Jôji, de Nippon.com. Photo de titre : la plage « arc-en-ciel » du village d’Ama)

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