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L’histoire du Japonais qui inventa le « vêtement climatisé »

Technologie

Le réchauffement climatique entraînant des journées de plus en plus chaudes, les « blousons de travail climatisés », équipés de ventilateurs intégrés, commercialisés pour la première fois en 2004, ont fait leur chemin grâce au bouche à oreille et sont désormais indispensables l’été sur les chantiers. En réalité, ce produit a connu 20 ans de traversée du désert avant de rencontrer le succès. Nous avons parlé au concepteur du produit.

L’homme possède un « rafraîchisseur physiologique »

Lorsque le cerveau humain sent qu’il fait chaud, grâce à son capteur de température appelé « peau », il donne l’ordre aux glandes sudoripares de produire la quantité de sueur nécessaire, ce qui abaisse la température du corps par vaporisation (rafraîchissement physiologique). Les « vêtements climatisés » maximisent cet effet de refroidissement. L’air aspiré de l’extérieur par deux petits ventilateurs fixés à l’arrière de l’habit circule entre lui et le corps, évaporant instantanément la sueur.

Structure interne d’un « vêtement climatise ». Des câbles relient les ventilateurs à la batterie.
Structure interne d’un « vêtement climatise ». Des câbles relient les ventilateurs à la batterie.

L’air extérieur aspiré par les ventilateurs est évacué par le col et les poignets en entraînant la sueur par évaporation. L’ourlet à la taille est conçu pour empêcher les fuites d’air afin que l’air puisse circuler vers les zones sujettes à la transpiration.
L’air extérieur aspiré par les ventilateurs est évacué par le col et les poignets en entraînant la sueur par évaporation. L’ourlet à la taille est conçu pour empêcher les fuites d’air afin que l’air puisse circuler vers les zones sujettes à la transpiration.

Imagerie thermique montrant l'effet rafraîchissant du port de « vêtements climatisés ». La sueur s'évapore rapidement, ce qui réduit de plus les odeurs de transpiration.
Imagerie thermique montrant l’effet rafraîchissant du port de « vêtements climatisés ». La sueur s’évapore rapidement, ce qui réduit de plus les odeurs de transpiration.

Le développement du concept a connu de nombreuses épreuves et rebondissements avant que les vêtements climatisés ne soient commercialisés et reconnus par le public. Il faut remonter aux alentours de 1994, soit une trentaine d’années. Ichigaya Hiroshi, 75 ans aujourd’hui, président de la société Kûchôfuku se souvient :

« À l’époque, je fabriquais des équipements destinés à mesurer la qualité d’image des tubes cathodiques pour les fabricants de télévision et je voyageais en Asie du Sud-Est dans le cadre de missions commerciales. La Thaïlande et la Malaisie étaient en train de construire d’immenses immeubles, et en les regardant, j’ai eu une idée. La consommation d’énergie des climatiseurs qui refroidissent ces bâtiments doit être énorme. Ne pouvons-nous pas inventer une sorte de système de refroidissement qui ne produise pas de gaz à effet de serre... ? »

À l’époque, Hiroshi avait 47 ans. Trois ans s’étaient écoulés depuis qu’il avait quitté Sony prématurément et avait créé sa start-up. L’entreprise se portait bien, mais il s’inquiétait pour l’avenir.

« La technologie LCD a évolué plus rapidement que nous ne pouvions le prévoir et les téléviseurs à tube cathodique étaient destinés à disparaître tôt ou tard. Nous avons pensé qu’en tant qu’entreprise nous devions plutôt miser sur un autre produit pour remplacer les appareils de mesure des tubes cathodiques, peut-être un nouveau système de refroidissement pour réduire les effets du réchauffement climatique. »

Son savoir-faire allait se trouver complètement obsolète. Et d’un autre côté, il était totalement novice en matière de systèmes de refroidissement. Mais il avait envie de « faire ce que les autres ne font pas ».

Sans se préoccuper de ce qu’il connaissait ou pas, ni même du bon sens, Hiroshi commence à tester plusieurs idées de « ce que cela pourrait être ». Pour y parvenir, il formulait des hypothèses et les testait une à une. Telle était la pratique R&D d’Ichigaya Hiroshi, ingénieur et inventeur.

À l’école de l’inventeur Ibuka Masaru

« Je ne sais pas faire ce que les autres savent faire, mais je peux faire ce qu’ils ne peuvent pas faire. »

C’était déjà ce que Hiroshi avait écrit dans la section « Points forts et points faibles » de sa fiche d’entretien lors de son test d’embauche à Sony. En effet, lors de l’épreuve écrite, il avait commis une grosse bourde en tout décalant d’un cran dans la colonne des réponses. Cependant, lorsque les enquêteurs l’ont interrogé à ce sujet, il a expliqué sans se désarçonner pourquoi les côtés gauche et droit du corps sont inversés lorsqu’on se regarde dans un miroir, et a été reçu avec brio.

« Curieux dès mon plus jeune âge, j’adorais faire des expériences. J’étais le genre d’enfant qui réfléchit sérieusement à des questions telles que : Pourquoi la boîte de caramels est-elle plus légère lorsque les caramels sont épuisés, alors qu’une pile sèche ne s’allège pas lorsque la pile est épuisée ?“

Pendant ses années d’école primaire, il s’était rendu à Akihabara, que l’on appelait « la ville électrique » à l’époque, et a fabriqué de ses mains un microscope et un télescope. Très simples, avec un tube de carton roulé et une lentille fixée à l’intérieur pour le télescope. Toutefois, il a fait preuve de créativité en n’utilisant qu’un seul objectif et en remplaçant l’oculaire par sa propre capacité d’observation à l'œil nu.

Impressionné par les images de l’écran couleur Trinitron vues au Sony Building de Ginza, il rejoignit Sony après son diplôme de la faculté des sciences et de l’ingénierie de l’université Waseda. C’est là qu’il fut formé par l’« inventeur de génie » et co-fondateur de Sony, Ibuka Masaru.

L’un de ses meilleurs souvenirs est l’éloge enthousiaste que le président Ibuka fit de sa « flûte utilisant un tube cathodique comme source sonore », que Hiroshi avait présenté dans le cadre d’un concours interne d’inventions. Il fut muté au département du développement au siège social, où il participa au développement d’un nouvel instrument de musique électronique. Bien que le produit ne fut finalement pas commercialisé, les encouragements du président Ibuka furent un grand soutien pour l’inventeur Ichigaya, même après le lancement de sa propre entreprise.

L’ultime système de refroidissement sans énergie !

Finalement, après de longues réflexions, Hiroshi trouva le concept-clé d’un « système de refroidissement économiseur d’énergie » :

Faire jouer l’eau ! Le déclic lui est venu de l’uchimizu, une idée qui vient du mode de vie traditionnel japonais qui consiste à asperger le sol d’eau pour se rafraîchir, aux grosses chaleurs.

À bien y réfléchir, la plupart des systèmes de refroidissement dans le monde, non seulement l’uchimizu, mais aussi les climatiseurs, les ventilateurs, les réfrigérateurs, les centrales nucléaires etc., dispersent la chaleur en faisant vaporiser de l’eau. La différence réside dans ce qui est vaporisé comme réfrigérant. Les éventails et les ventilateurs électriques vaporisent la sueur, les climatiseurs et les réfrigérateurs utilisent des substituts de CFC, et les centrales nucléaires utilisent l’eau des rivières et des océans.

L’énergie dissipée par l’évaporation du liquide refroidisseur participe étroitement au réchauffement climatique. Le système forme un cercle vicieux, responsable entre autres de l’effet dit « îlot de chaleur » dans les zones urbaines, qui à son tour a accéléré la multiplication des climatiseurs.

L’eau est inoffensive même sous forme de vapeur et, de plus, elle n’est pas chère. Son efficacité est peut-être minime par rapport à la climatisation, mais il ne fait aucun doute que l’eau est le réfrigérant idéal.

Ichigaya Hiroshi a donc eu l’idée d’un refroidisseur à eau qui utilise la vaporisation de l’eau pour refroidir l’air. Le premier espace clos utilisé pour les expérimentations de son concept était une niche pour chien. Puis une nouvelle idée lui est venue : « Quel besoin de refroidir toute la pièce ? Ce sont les gens qui désirent se rafraîchir, pas l’espace ! »

C’est ainsi qu’est né le concept de « vêtements qui rafraîchissent quand on les porte », qui deviendront des « vêtements climatisés ».

Suite > Prendre le train avec les premiers modèles

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