Exploration de l’histoire japonaise

Le choc des vaisseaux noirs du commodore Perry : une rencontre historique qui a changé le Japon

Histoire

En 1853, le commodore Matthew Perry a mené une flotte de vaisseaux noirs au Japon et menacé la paix dont jouissait ce pays. La peur initiale a laissé place à la curiosité, et le public s’est montré fasciné par les estampes décrivant minutieusement l’escorte américaine.

L’info-divertissement destinée aux habitants d’Edo

En 1853 et l’année suivante, de nombreux kawaraban, ou prospectus gravés sur bois, ont été publiés à Edo (comme l’image ci-dessus). Ils constituaient une source d’informations précieuse pour les citoyens, dans un style d’info-divertissement similaire à celui des émissions télévisées à grand spectacle d’aujourd’hui. Les premiers kawaraban consacrés aux vaisseaux noirs contenaient des textes et des illustrations véhiculant des informations sur la taille des navires et le nombre de leurs canons, ainsi que sur les moyens de défense de la baie de Tokyo et les préparatifs mis en œuvre par les daimyô dans d’autres zones. Certains montraient des soldats partant d’Edo pour aller renforcer d’autres dispositifs de défense, et les lecteurs avides se sont très vite jetés sur ces prospectus illustrés de soldats portant casques et armures.

Représentations des navires américains par les kawaraban. (Avec l'aimable autorisation des Archives d'histoire de Yokohama)
Représentations des navires américains par les kawaraban. (Avec l’aimable autorisation des Archives d’histoire de Yokohama)

Les kawaraban donnaient aussi des informations sur la façon dont les États-Unis s’étaient déclarés indépendants de la Grande-Bretagne en 1776 et avaient fait de Washington leur capitale. Malgré les informations erronées qu’ils ne manquaient pas de véhiculer, les kawaraban permettaient en règle générale aux citoyens ordinaires d’Edo d’enrichir leurs connaissances sur les États-Unis et la flotte de Perry.

 Portrait de Perry publié dans un kawaraban. (Avec l'aimable autorisation des Archives d'histoire de Yokohama)
Portrait de Perry publié dans un kawaraban. (Avec l’aimable autorisation des Archives d’histoire de Yokohama)

À l’ouverture des négociations préalables au traité, les kawaraban ont tourné leur attention vers les interactions établies à Yokohama entre les membres des équipages et les Japonais. L’un de ces prospectus donnait une description très précise du menu du banquet offert aux Américains. On pouvait y lire, par exemple, que le namasu, un plat de fines tranches de poisson assaisonnées au vinaigre, était à base d’ormeaux et de palourdes, et que la soupe contenait du gobô (racine de bardane) et de l’udo (aralia cordata). Il parlait aussi des autres plats figurant au menu, dont du mutsu (laitance de poisson rouge), du tofu bouilli dans du bouillon (dashi), et de la daurade grillée. La source de ces informations n’est pas mentionnée dans le document, mais il est possible que l’auteur les ait obtenues de la bouche d’un représentant du shogunat.

Boutique d'Edo vendant des kawaraban parlant des vaisseaux noirs. Tiré du Kurofune raikô fûzoku emaki (Rouleau de peintures illustrant les coutumes entourant l'arrivée des vaisseaux noirs). (Avec l'aimable autorisation du Musée préfectoral d'histoire et de folklore de Saitama)
Boutique d’Edo vendant des kawaraban parlant des vaisseaux noirs. Tiré du Kurofune raikô fûzoku emaki (Rouleau de peintures illustrant les coutumes entourant l’arrivée des vaisseaux noirs). (Avec l’aimable autorisation du Musée préfectoral d’histoire et de folklore de Saitama)

Les kawaraban ont parlé des cadeaux échangés entre Perry et le shogunat, ainsi que d’une démonstration de sumo donnée lors d’une réception à Yokohama. Le shogunat entendait montrer aux Américains, qui comptaient nombre d’hommes bien bâtis parmi leurs officiers, qu’il y avait aussi des Japonais de forte carrure, mais le récit de l’expédition de Perry affiche une attitude dédaigneuse envers les lutteurs : « Tous débordaient tellement de chair qu’ils semblaient avoir perdu leurs caractéristiques distinctives et ne plus constituer que vingt-cinq paquets de graisse. »

Les lutteurs de sumo (rikishi) représentés sur ce kawaraban accomplissent des tours de force. (Avec l'aimable autorisation des Archives d'histoire de Yokohama)
Les lutteurs de sumo (rikishi) représentés sur ce kawaraban accomplissent des tours de force. (Avec l’aimable autorisation des Archives d’histoire de Yokohama)

Après l’arrivée de Perry, des douzaines de kawaraban ont été publiés, dont chacun, dit-on, a été tiré à quelque 1 000 exemplaires. Comparé au tirage des journaux d’aujourd’hui, ce chiffre reste modeste, mais le nombre total des kawaraban imprimés en un court laps de temps était sans précédent à l’époque d’Edo (1603-1868), et ils donnaient aux gens une image détaillée des négociations en vue du traité.

Une transformation radicale

Les récits sont devenus de plus en plus précis à mesure que se prolongeait la présence de la flotte des États-Unis. C’est ainsi, par exemple, que la formule employée pour parler des navires a changé, passant de « vaisseaux étrangers » ou « vaisseaux noirs » lors de leur première arrivée à « vaisseaux des États-Unis » par la suite. L’emploi du mot ijin, ou « étranger », est lui aussi devenu moins fréquent, et on a vu apparaître des portraits individuels d’un certain nombre d’Américains.

Dans le même temps, Luo Sen, un interprète chinois travaillant pour la flotte des États-Unis, a raconté dans son journal qu’un garde du shogunat avait déclaré que, pour un Chinois aussi instruit qu’il l’était, c’était une humiliation que de parler la langue d’un pays barbare comme les États-Unis. Cette anecdote rend compte de la surprise du garde en constatant qu’un Chinois pouvait être choisi pour servir d’interprète à des Occidentaux, et suggère que ce constat a peut-être ébranlé le respect qu’il éprouvait pour les Chinois. Il existe aussi un récit dans lequel un habitant d’Edo raconte que des tâches dangereuses comme le nettoyage de la carène des navires étaient confiées aux membres noirs des équipages américains.

L’apparition de la flotte de Perry a constitué pour la société japonaise un signe incontournable de la pénétration des puissances occidentales en Asie. Elle a aussi fait passer le message de la pluralité des nations et des ethnies dans le monde, et de la suprématie des Blancs. Un certain temps allait encore s’écouler avant que le Japon décide de se moderniser en vue de se tenir aux côtés de l’Occident, mais il va sans dire que l’événement a redicalement changé les façons de penser du peuple japonais.

Le Commodore Perry débarquant à Yokohama, peinture attribuée à Wilhelm Heine. (Avec l'aimable autorisation des Archives d'histoire de Yokohama)
Le Commodore Perry débarquant à Yokohama, peinture attribuée à Wilhelm Heine. (Avec l’aimable autorisation des Archives d’histoire de Yokohama)

(Photo de titre : l’USS Powhatan, le navire amiral de la flotte du commodore Perry. Avec l’aimable autorisation des Archives d’histoire de Yokohama)

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