Exploration de l’histoire japonaise

La guerre russo-japonaise : origines et conséquences de la première « guerre totale » du XXème siècle

Histoire Politique

Kawai Atsushi [Profil]

Encore en pleine modernisation au début du XXe siècle, le Japon réussit à vaincre l’une des grandes puissances mondiales qu’était la Russie. Comment en était-on arrivé là ? L’historien Kawai Atsushi détaille les origines du conflit, les principaux évènements de la guerre et les retombées de sa conclusion surprenante.

Le vain espoir d’une courte guerre

Encouragée par l’opinion publique, l’armée japonaise avait déjà décidé de se battre en automne 1903. Et après l’échec des négociations en février 1904, le Japon déclara la guerre à la Russie.

Il est dit que l’empereur Meiji s’était positionné contre la guerre jusqu’à quelque temps avant son début, disant que si le Japon perdait, il ne savait comment il pourrait s’excuser auprès de ses ancêtres, ou ce qu’il pourrait faire pour son peuple. L’empereur, le gouvernement et les chefs de guerre comprenaient que le Japon ne pourrait pas remporter une confrontation frontale face à un adversaire tel que la Russie.

Gardant cela bien en tête, l’armée développa une stratégie qui ferait durer la guerre pendant environ un an. Au départ, une embuscade par la flotte combinée servirait à détruire la flotte russe du Pacifique. Au même moment, l’armée japonaise monterait une puissante attaque contre Liaoyang, en Mandchourie, avant que les Russes ne puissent mobiliser leurs forces en Extrême-Orient. Ceci mettrait fin à l’enthousiasme du pouvoir russe tout comme au conflit de manière prompte.

En réalité, le Japon s’était lancé dans cette guerre avec un adversaire puissant sans trop réfléchir à la possibilité d’une victoire ni à son coût.

L’espoir que la guerre serait courte n’était qu’une illusion. Bien que le Japon ait gagné la bataille de Liaoyang, 5 300 soldats japonais y avaient péri avant la retraite des Russes. Le Japon avait de même été incapable de détruire la flotte du Pacifique, qui s’était réfugiée à Lushun.

Des canons lourds assuraient la défense du port de Lushun, et il était impossible de s’y approcher par la mer. La marine japonaise demanda à l’armée de lancer une attaque : cela prit des mois et beaucoup de pertes pour arriver à percer les fortifications et saisir la colonie. Le siège de Lushun fut principalement une guerre de tranchées, avec des obusiers Howitzer de 28 cm, des mitrailleuses, des canons à tir rapide, des grenades, et des canons de campagne. Quelque part, c’était un modèle pour les combats de la Première Guerre mondiale, dix ans plus tard.

Photo d’officiers japonais et russes lors de la rencontre le 5 janvier 1905 entre le général japonais Nogi Maresuke (rangée centrale, deuxième à gauche) et le général russe Anatoly Stessel (rangée centrale, deuxième à droite), après la chute de Lushun. (© Jiji)
Photo d’officiers japonais et russes lors de la rencontre le 5 janvier 1905 entre le général japonais Nogi Maresuke (rangée centrale, deuxième à gauche) et le général russe Anatoly Stessel (rangée centrale, deuxième à droite), après la chute de Lushun. (© Jiji)

L’armée japonaise réussit à cumuler les victoires tout en se dirigeant vers le nord, avant sa victoire décisive à la bataille de Mukden. Cette bataille qui dura dix jours opposa 600 000 soldats. Malgré sa victoire, le Japon perdit 70 000 hommes et n’avait ni les hommes ni les armes nécessaires pour poursuivre l’armée russe en pleine retraite.

Quand un traité de paix attise la colère

Le coût de la guerre russo-japonaise s’était élevé à 1,7 milliard de yens. Sur le total, environ 1,35 milliard était en dette publique, donc les deux-tiers en dette extérieure. Le Japon avait levé les fonds pour la guerre lors d’un voyage au Royaume-Uni de Takahashi Korekiyo, vice-président de la Banque du Japon. Le financement venant du Royaume-Uni, des États-Unis, et d’autres pays étrangers était primordial dans l’effort de guerre du Japon.

Les financements à part, le Royaume-Uni avait également apporté son soutien au Japon de manière à renforcer ses capacités militaires. Entre autres, il lui avait transmis des informations précieuses, et avait ralenti l’avancement de la flotte baltique en route vers le Pacifique en lui refusant l’utilisation du Canal de Suez et la possibilité de se ravitailler dans les colonies britanniques. Cela avait beaucoup joué dans la victoire navale du Japon lors de la bataille de Tsushima.

Le peuple japonais s’était aussi entièrement impliqué dans le conflit. Plus d’un million de soldats avaient été déployés, et les impôts avaient été augmentés à plusieurs reprises. Des collectes de fonds avaient aussi été mises en place.

D’autre part, le tsar Nicolas II restait déterminé à se battre, même après la bataille de Mukden. Mais c’est suite à l’anéantissement de la flotte russe durant la bataille de Tsushima en mai 1905 qu’il prit enfin la décision de négocier la paix. À Saint Petersbourg, des soldats de l’armée impériale avaient attaqué des manifestants non-armés lors du « Dimanche Rouge », ce qui avait provoqué des grèves et des révoltes partout dans le pays dans le cadre de la révolution de 1905. Cela avait mené le gouvernement russe à accepter de participer à des négociations de paix.

Sous le commandement de l’amiral Tôgô Heihachirô, les 96 navires de la flotte combinée japonaise, dont quatre cuirassés et huit croiseurs, guettaient dans le détroit de Tsushima l’arrivée de la flotte baltique russe de 38 navires, dont huit cuirassés et six croiseurs. La bataille débuta le 27 mai 1905 et fit rage pendant deux jours. La flotte japonaise réussit à couler 19 navires et en capturer sept autres. Le tableau représente le moment où une torpille japonaise avait coulé le cuirassier russe, Navarin (Avec l’aimable permission de Mary Evans Picture Library/Images Kyôdô)
Sous le commandement de l’amiral Tôgô Heihachirô, les 96 navires de la flotte combinée japonaise, dont quatre cuirassés et huit croiseurs, guettaient dans le détroit de Tsushima l’arrivée de la flotte baltique russe de 38 navires, dont huit cuirassés et six croiseurs. La bataille débuta le 27 mai 1905 et fit rage pendant deux jours. La flotte japonaise réussit à couler 19 navires et en capturer sept autres. Le tableau représente le moment où une torpille japonaise avait coulé le cuirassier russe, Navarin (Avec l’aimable permission de Mary Evans Picture Library/Images Kyôdô)

Le cuirassier Mikasa était le navire amiral de la flotte japonaise lors de la bataille de Tsushima. Il a été restauré après avoir été déclassé et est devenu navire musée au parc Mikasa, à Yokosuka, dans la préfecture de Kanagawa. (© Jiji)
Le cuirassier Mikasa était le navire amiral de la flotte japonaise lors de la bataille de Tsushima. Il a été restauré après avoir été déclassé et est devenu navire musée au parc Mikasa, à Yokosuka, dans la préfecture de Kanagawa. (Jiji)

En septembre 1905, c’est le président américain Theodore Roosevelt qui fut le médiateur du Traité de Portsmouth, marquant la fin de la guerre russo-japonaise. La Russie reconnut le contrôle japonais sur la Corée et renonça aux concessions de Lushun et Dalian, ainsi que de la partie sud de Sakhaline (Karafuto), mais ne paya rien en compensation financière. Quelque part, on pouvait le comprendre, vu que le Japon n’avait plus ni le financement, ni les armes, ni les soldats pour se battre, ce qui n’était pas le cas pour la Russie.

Toutefois, l’opinion publique japonaise n’était pas d’accord. Le peuple avait supporté dix années de hausses d’impôts et d’énormes sacrifices autour du slogan gashin shôtan (souffrir aujourd’hui pour se venger demain). Le jour de la signature du traité de paix, le 5 septembre, un rassemblement au parc de Hibiya, près du palais impérial, a tourné en émeute quand des citoyens furieux attaquèrent la résidence du ministre de l’intérieur, des postes de police, et un quotidien pro-gouvernemental. Les troubles gagnèrent le reste du pays et entraina la chute du gouvernement du Premier ministre Katsura Tarô.

Suite > Le début de l’éveil des pays asiatiques à l’ère moderne

Tags

Russie histoire guerre Meiji

Kawai AtsushiArticles de l'auteur

Né à Tokyo en 1965. Professeur invité à l’Université Tama. Achève son cursus doctoral en histoire à l’Université Waseda, puis mène ses travaux de recherche et d’écriture sur l’histoire tout en enseignant l’histoire japonaise dans le secondaire. Auteur de plus de 200 textes, dont les ouvrages récents Nihonshi wa gyaku kara manabe (Étudier l’histoire japonaise à rebours) et Isetsu de yomitoku Meiji ishin (Comprendre la restauration de Meiji via les théories dissidentes).

Autres articles de ce dossier