Le grand retour : l’ibis à crête du Japon survole une nouvelle fois l’île de Sado grâce à un programme de conservation
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Réparer les dégâts
L’île de Sado, bercée dans les eaux de la mer du Japon, est le seul endroit au Japon où les ibis à crête se trouvent à l’état sauvage. Appelé toki en japonais, cet oiseau qui est désigné « monument naturel spécial », avait complètement disparu en 2003. Mais c’est grâce à un véritable engagement au niveau de sa conservation que l’ibis est aujourd’hui de retour dans les forêts et les champs de l’île.
Il y eut un temps où l’ibis à crête proliférait dans toute l’Asie de l’Est. Cependant, l’engouement pour ses plumes comme objets décoratifs au XIXe siècle a mené à la chasse abusive qui, en même temps que la perte de son habitat, a décimé la population. Au début du XXe siècle, le toki était au bord de l’extinction.
Le dernier ibis à crête né au Japon est mort en 2003. Durant les 14 années qui ont suivi, des ornithologues et autres experts ont travaillé sans relâche à la réintroduction de l’espèce à Sado grâce à des reproducteurs venus de Chine. À ce jour, quelques 480 toki vivent à l’état sauvage à Sado. L’élément principal de ce programme a été la restauration de son habitat qui a été fondée sur une coopération avec les agriculteurs. Ceux qui autrefois avaient été un véritable fléau pour l’ibis à crête ont adopté un programme de conservation, comme la réduction du taux de pesticides et la mise en place de lieux spécifiques pour nourrir les oiseaux. Des experts étudient l’utilisation potentielle de cette approche, qu’on appelle le « modèle de Sado », ailleurs au Japon, dans l’espoir de réintroduire l’ibis à crête sur le reste du territoire.
Le processus de libération des toki
En septembre 2021, un groupe de bénévoles s’est réuni à Noura, dans la partie est des montagnes de Kosado, sur l’île de Sado, pour la remise en liberté de cinq ibis à crête. Des boites en bois contenant les oiseaux — trois mâles et deux femelles âgés d’un à deux ans — ont été posées sur des talus entre les rizières en terrasse de cette région montagneuse qui se trouve à environ 350 mètres d’altitude. Au signal, les boites ont été ouvertes et les ibis à crête se sont envolés. Ils ont d’abord survolé les alentours avant de se réfugier dans les bois avoisinants.
Cette activité faisait partie d’un projet soutenu par le gouvernement sous les hospices de la Loi sur la conservation des espèces de la faune et de la flore sauvages menacées d’extinction. Cette loi de 1993 qui a pour but de garantir la diversité biologique et maintenir un environnement naturel sain déclare que la faune et la flore menacées constituent « non seulement une partie importante de notre écosystème, mais restent essentiels pour enrichir la vie des êtres humains ». Elles aident à « maintenir un environnement de qualité pour les générations présentes et futures ».
C’est avec la coopération des municipalités locales (pour l’île en entier), des organismes de conservation, et de l’université de Niigata que le ministère de l’Environnement du Japon a mis en place le programme d’élevage de l’ibis à crête. Les oiseaux sont élevés de manière artificielle au centre de conversation de l’ibis à crête de Sado, ainsi que dans deux autres établissements affiliés sur l’île, en plus des centres d’élevage de Nagaoka (préf. Niigata), du parc zoologique de Tama (préf. Tokyo), du zoo d’Ishikawa (préf. Ishikawa), et du centre d’élevage de l’ibis à crête d’Izumo (préf. Shimane).
Les juvéniles prêts à être libérés sont d’abord transférés vers le centre de conservation de Sado où ils sont lâchés dans des enclos conçus pour les acclimater à leur nouvel environnement. Les volières reproduisent des environnements naturels tels que des régions boisées et des champs cultivés. Elles mesurent 80 mètres de long, 50 mètres de large, et 15 mètres de haut. C’est la première fois que les oisillons peuvent voler sur de plus longues distances. Une fois que les ibis juvéniles sont capables de se nourrir tout seuls et volent assez bien pour échapper aux prédateurs, ce qui prend environ trois mois, ils sont libérés.
La libération des oiseaux dans la nature peut prendre deux formes différentes. Ça peut être une libération progressive, où les portes de la volière sont ouvertes, ou une remise en liberté directe où les oiseaux sont transportés en cage vers d’autres sites et ensuite libérés. Avant la libération, les oiseaux sont bagués, et des marques de couleurs différentes sont apposées sur leurs aile, pour les rendre plus faciles à identifier. Une fois lâchés dans la nature, ils sont suivis avec l’aide de bénévoles.
Le bureau de Sado des gardes forestiers du ministère de l’Environnement surveille la libération et le suivi des oiseaux. Le gouvernement japonais soutient l’initiative à raison de plus de 100 millions de yens (680 000 euros) par an. Deux gardes y travaillent, avec l’aide d’experts venus de Niigata. Entre 2008 et 2022, le bureau des gardes forestiers a libéré des oiseaux à 26 reprises, à une moyenne de deux fois par an, et c’est au total 446 ibis à crête d’élevage qui ont pris leur envol depuis le début. Des signes encourageants indiquent que les oiseaux arrivent à se reproduire dans la nature, et on pense qu’il y a maintenant davantage d’ibis à crête nés à l’état sauvage, que d’ibis libérés.
La Chine offre deux oiseaux
Sado est impliqué depuis longtemps dans des mouvements populaires de conservation, ce qui explique que l’île a été choisie pour le projet relatif au toki. À l’époque où le gouvernement l’a déclaré « monument naturel spécial », en 1934, les agriculteurs ont commencé à travailler ensemble, surveillant les sites de nidification et mettant à disposition des proies comme des loches et des escargots d’eau douce dans les rizières pour alimenter les oiseaux. La région de Noura est ainsi devenue le centre du mouvement de préservation. Les résidents y ont mis en place des biotopes et les agriculteurs ont réduit le taux de pesticides de moitié, ou même plus, pour en minimiser leurs effets sur les oiseaux. Aujourd’hui encore, un sanctuaire shintô local prie pour une coexistence pacifique entre l’ibis à crête et l’humain.
S’appuyant sur les initiatives des résidents, le gouvernement de la préfecture de Niigata a établi le Centre de conservation de l’ibis à crête sur l’île de Sado en 1967. Mais les programmes d’élevage et conservation n’ont toutefois pas réussi à endigué le déclin de la population native, qui a fini par s’éteindre…
Le fait que le toki n’ait pas disparu du Japon de façon définitive est dû à une étroite coopération entre la Chine et le Japon. En 1999, la Chine a offert au Japon un couple d’oiseaux reproducteurs. Leur premier oisillon est né la même année après une incubation artificielle au centre. Par la suite, la Chine a envoyé trois oiseaux supplémentaires, et les ibis à crête de Sado sont tous les descendants de ces cinq oiseaux. La Chine a continué à soutenir le programme d’élevage de Sado, et deux oiseaux de plus sont arrivés en 2018.
Les rizières à la rescousse
Un élément essentiel du rétablissement de l’ibis à crête à Sado a été la mise en œuvre de pratiques agricoles qui encouragent la biodiversité. Lorsqu’ils sont lâchés, les oiseaux doivent faire face aux mêmes pressions environnementales que leurs prédécesseurs disparus, tout particulièrement la perte d’habitat due à l’activité humaine. Les pratiques de culture modernes qui encouragent l’utilisation de pesticides, et les gros travaux pour consolider les terres agricoles, sont les plus gros fautifs. Il est essentiel de continuer les efforts de conservation pour que la population d’oiseaux continue à prospérer.
En 2004, le gouvernement municipal de Sado a bénéficié d’une chance inespérée de réparer une partie des dégâts infligés par l’agriculture moderne. Cette année là, un typhon a ravagé les rizières de l’île. Au moment de relancer la production de riz à Sado, la municipalité et le bureau régional des coopératives agricoles du Japon ont pris la décision d’abandonner les pratiques agricoles conventionnelles au profit de techniques plus respectueuses de l’environnement.
Les agriculteurs ont eu la possibilité de tenter des pratiques spécifiques pour enrichir la biodiversité de leurs rizières. Ils pouvaient réduire l’utilisation de pesticides et d’engrais chimiques au moins de moitié, ne plus utiliser d’herbicides sur les talus séparant les rizières, faire des études sur la biodiversité de leurs rizières deux fois par an, et construire des canaux d’irrigation. Chaque producteur qui mettait en place au moins une de ces initiatives était labellisé « ami de l’ibis à crête ». La grande chaine de supermarchés Itô Yôkado a mis en vente le riz labellisé dans ses magasins de la métropole de Tokyo, donnant un coup de pouce à la marque. Environ 280 autres distributeurs ont suivi cet exemple. Les écoles primaires publiques de Tokyo ont commencé à servir ce riz aux repas, en invitant des agriculteurs de Sado a présenter en ligne l’approche écologique utilisée dans sa production.
Le projet de préservation de Sado reconnu par l’ONU
Les efforts de conservation de l’île ont aussi été stimulées en 2011 quand l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture a désigné Sado ainsi que la péninsule de Noto (préf. Ishikawa) comme étant des systèmes ingénieux du patrimoine agricole mondial (SIPAM). L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture a reconnu que les paysages du satoyama (l’espace à mi-chemin entre la nature primaire et la ville) de Sado créaient un habitat vital pour l’ibis à crête. C’était alors la première fois qu’un pays industrialisé recevait cette mention.
J’ai pu voir les résultats de l’adoption de pratiques écologiques à Sado de mes propres yeux quand je m’y suis promené en voiture. Je me suis soudain trouvé plusieurs fois entouré d’une telle quantité de libellules que j’ai été obligé de freiner, de peur d’en tuer.
Trois ans après la mise en place de l’appellation, 20 % des rizières de Sado étaient cultivées selon des pratiques écologiques. Comme le reste du Japon rural, Sado souffre au niveau démographique et la population diminue d’environ mille personnes par an. Bien que beaucoup soient maintenant âgés, les agriculteurs sont prêts à continuer leurs efforts de conservation malgré le travail supplémentaire. Ils sont convaincus que pour la survie de l’ibis à crête, il n’est plus possible d’utiliser les anciennes méthodes.
Le maire de Sado, Watanabe Ryûgo, constate que le système d’appellation a encouragé l’utilisation de pratiques plus soutenables par les agriculteurs de l’île. Il note aussi que le succès de cette initiative dans la réduction de l’utilisation de produits chimiques et l’adoption de pratiques destinées à réduire les émissions de CO2 ont encouragé l’île à mettre en place un nouveau projet pour promouvoir l’agriculture biologique.
Diffuser le modèle de Sado
Le ministère de l’Environnement envisage de se servir de l’approche utilisée à Sado pour réintroduire l’ibis à crête ailleurs au Japon. Le dépôt des candidatures pour des projets de construction d’habitats a démarré en mai 2022, et des sites dans les préfectures d’Ishikawa et Shimane ont été désignés en août. Les critères de sélection comprenaient un habitat d’au moins 15 000 hectares adapté à la présence de l’ibis à crête, avec des rizières, des plans d’eau, et des forêts, ainsi que le soutien de communautés locales prêtes à améliorer l’environnement dans le cadre de l’agriculture.
L’exigence de soutien local témoigne de l’effet positif des initiatives locales dans le succès du programme de conservation de Sado. Il existe une vingtaine d’associations de soutien de l’ibis à crête à Sado. Celles-ci ont travaillé avec le ministère de l’Environnement, le ministère de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche, la préfecture de Niigata, le gouvernement municipal de Sado, l’université de Niigata, ainsi que des organismes tels la JA (Japan Agricultural Cooperatives) afin de créer un conseil pour la conservation où les acteurs peuvent échanger des informations et coordonner leurs activités.
Même les plus jeunes sont impliqués dans les efforts de conservation. Les élèves du primaire à Sado apprennent comment vivre en harmonie avec l’ibis à crête, et ont l’occasion de découvrir en personne le dur labeur du travail pour produire le riz labellisé dans les rizières de leurs écoles.
Des directives gouvernementales en elles seules ne peuvent pas assurer le succès de la méthode de Sado ailleurs au Japon. Il faut que les communautés soient prêtes à s’impliquer en toute connaissance du travail requis pour la préservation de l’ibis à crête, et à travailler aussi avec des organisations non-gouvernementales, le gouvernement et les municipalités. Chacun a son rôle à jouer pour assurer l’avenir de l’ibis à crête.
(Photo de titre : des habitants de Noura, sur l’île de Sado, réunis au bord d’une rizière pour la libération d’ibis à crête en septembre 2021. Avec l’aimable autorisation de l’auteur de l’article)