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Le mont Ajisai, une colline aux hortensias cultivées par un seul homme depuis 50 ans
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Faire resplendir le chemin menant aux tombeaux de ses parents
Pour se rendre au mont Minamizawa Ajisai depuis le centre de Tokyo, on prend le train pendant 1 h 15 environ, tout d’abord la ligne Chûô des chemins de fer japonais à partir de la gare de Shinjuku, puis la ligne Ôme et enfin la ligne Itsukaichi jusqu’à son terminus, la gare de Musashi Itsukaichi, après quoi on marche pendant 40 minutes.
Le chemin qui gravit la montagne déroule ses lacets au milieu du paysage d’une beauté à couper le souffle, que déploient les fleurs d’hortensias qui le bordent et constellent les pentes escarpées, plongeant jusqu’au cours d’eau qui coule tout en bas. Entre la mi-juin et le début du mois de juillet, au point culminant de la saison des hortensias, plus de 10 000 touristes viennent contempler ce splendide panorama.
Le mont Minamizawa Ajisai appartient à Minamizawa Chûichi, affectueusement surnommé « Chûitchan », un homme remarquable de 92 ans (en 2022 lors de notre reportage, mais il est décédé l’année suivante, en juillet 2023) qui s’occupe de ce projet de toute une vie en tant que chef à la dix-septième génération de la famille locale des Minamizawa. Tout au long des cinquante dernières années, il a travaillé seul pour transformer ce qui était jadis une forêt de cèdres en un tapis luxuriant de massifs d’hortensias. Même un voyage de mille kilomètres doit commencer par un premier pas. Qu’est-ce qui a incité Chûichi à faire ce premier pas ?
« Mes ancêtres sont enterrés au sommet de la montagne. Je me suis tout simplement dit que ce serait bien de pouvoir marcher sur un chemin bordé de fleurs pour nos visites au cimetière familial. »
Né en 1930, Chûichi est le second fils d’une famille de neuf enfants, dont six garçons et trois filles. Son père dirigeait une scierie. Au cours de la période de reconstruction consécutive à la guerre, Chûichi a fondé, à l’âge de 27 ans, sa propre entreprise, la scierie Minamizawa.
« Dans cette région, le festival Obon, au cours duquel les esprits des défunts sont censés rendre visite aux vivants, est célébré au mois de juillet. C’est à ce moment que les hortensias fleurissent, et j’ai donc prélevé quelques jeunes pousses dans deux buissons d’hortensias de mon jardin pour les replanter le long du chemin de montagne. »
Les hortensias replantés ont bien poussé. C’était en juin 1970, quand Chûichi avait 40 ans.
Les leçons de l’hortensia
C’est dans le potager familial que Chûichi s’est initié à la culture des pousses d’hortensias.
« Personne ne m’a dit comment faire. J’ai tout appris directement des fleurs. »
Au bout de dix années de tâtonnements, Chûichi avait acquis les compétences nécessaires pour prolonger son chemin bordé d’hortensias jusqu’au cimetière familial.
Entre-temps, sa splendide création était devenue célèbre, et les promeneurs affluaient pour parcourir le sentier montagneux et admirer les fleurs.
« Quand les gens vous disent que vos fleurs sont si belles, voyez-vous, vous souhaitez tout simplement en planter davantage. »
Le sentier des hortensias a continué de s’allonger, jusqu’à atteindre le sommet de la montagne et à s’étendre au-delà pour intégrer les chemins menant au mont Konpira et aux sources chaudes de Seoto, courant entre des pentes où se déployait le tapis floral.
Pour être sûr que ses hortensias auraient assez de lumière, Chûichi a dû éclaircir la forêt et grimper aux arbres pour en élaguer les branches. Il s’est chargé lui-même de toutes ces tâches, tout en continuant de faire tourner sa scierie, sans même demander de l’aide à son épouse Miki, qui est décédée il y a six ans.
« Vous ne pouvez pas demander à quelqu’un de faire quelque chose qui ne rapportera pas un sou. Je me levais tous les matins à quatre heures pour travailler dans la montagne avant d’aller à mon bureau. À l’époque, l’entreprise ne fermait que les premiers et troisièmes dimanches du mois. Ces jours-là, je m’activais toute la journée dans la montagne, et me salissais tant que je devais changer complètement de vêtements à trois ou quatre reprises. Je donnais mon linge sale à ma femme pour qu’elle le lave. Cela l’exaspérait, mais on m’a dit qu’en mon absence elle parlait avec fierté de notre mont Ajisai. »
Les lutins ZiZi montrent le chemin
Pendant les trente premières années, Chûichi s’est occupé tout seul du mont Ajisai. Mais il y a une dizaine d’années, à l’époque où il a eu quatre-vingts ans, son frère Tsunekatsu, de huit ans son cadet et à la retraite, a commencé à lui donner un coup de main.
Miyazaki Shôsaku, un professeur à la retraite ayant enseigné dans une école primaire du centre de Tokyo, s’est aussi rapproché de lui après avoir emménagé dans une maison achetée par son père dans la région. Miyazaki, qui a fait appel à la population locale et à ses anciens élèves pour former un groupe de supporters appelé Hana no Kai (Association des fleurs), fait office de lien avec l’administration locale.
Parmi les personnes contaminées par la passion de Chûichi il faut encore citer Tomonaga Akimitsu, l’homme qui a sculpté les lutins en bois, les créatures féériques appelées « ZiZi de la forêt » qui servent de poteaux indicateurs sur la route qui mène au mont Minamizawa Ajisai à partir de la gare de Musashi Itsukaichi.
Sculpteur célèbre, Tomonaga a créé ces marionnettes pour une série télévisée diffusée par NHK de 1979 à 1982. Il y a environ 35 ans, il est venu s’installer dans la région et a construit un atelier et une maison à proximité du mont Ajisai. Entre-temps, il a transformé une ferme construite il y a 150 ans pour en faire un musée, qui a ouvert en 2002.
Perpétuer le rêve
Malgré l’afflux de soutiens, le projet du mont Ajisai continue de reposer sur les épaules de Chûichi.
Toutefois, à l’approche de son 90e anniversaire, il a commencé à se dire : « Je dois trouver quelqu’un pour prendre la relève pendant que je suis encore valide. »
C’est alors que deux jeunes entrepreneurs d’Akiruno ont déclaré qu’ils aimeraient bien marcher sur ses traces.
Takamizu Ken et Minamishima Yûki, tous deux nés en 1990, avaient joué ensemble dans l’équipe de base-ball de leur université. En 2016, ils se sont associés pour fonder une société de production et de vente de produits locaux d’Itsukaichi, dans le cadre d’un projet de rénovation de la ville. Au nombre de leurs spécialités figurait l’Amacha.
« L’Amacha est une variété issue d’hortensias de montagne, et nous pensions qu’il pousserait bien sur le mont Ajisai. Nous avons demandé à Chûichi si nous pouvions le cultiver au sommet de la montagne », dit Takamizu.
Les deux hommes ont été profondément touchés par leur rencontre avec Chûichi et par l’histoire de sa vie.
« Le mont Ajisai est un trésor local et une ressource touristique essentielle pour la ville d’Akiruno. Nous ne savions absolument rien des hortensias, mais nous lui avons demandé si nous pouvions nous impliquer d’une façon ou d’une autre. Nous avions besoin de ses conseils. »
C’est ainsi que Takamizu et Minamishima sont devenus les apprentis de Chûichi.
Pendant 30 ans, l’accès à la montagne a été gratuit pour le public. Lorsque Chûichi a eu 70 ans, il a placé une boîte à l’entrée de la montagne et demandé une participation volontaire de 300 yens par personne. Mais pour l’essentiel, il a financé lui-même l’intégralité du projet. Takamizu et ses amis sont intervenus et ont installé un comptoir de réception ouvert à la saison des hortensias, où 500 yens étaient perçus pour l’entrée et 500 pour le stationnement. Après quoi, ils ont lancé une campagne de collecte de fonds.
Hanasaka Jii, le vieil homme qui fait s’ouvrir les fleurs
S’occuper du mont Ajisai en tant que successeur de Chûichi n’est pas une sinécure.
« La taille est le travail le plus éreintant. Il est vraiment difficile de décider quelles branches couper et quelles autres laisser telles quelles », dit Minamishima, qui a un emploi du temps d’autant plus chargé qu’il doit aussi s’occuper de son café à l’extérieur de la gare de Musashi Itsukaichi et de son terrain de camping.
Chûichi est un peu gêné de voir les efforts acharnés que déploie son successeur.
« Comment est-ce possible qu’il faille autant de temps pour apprendre quelles branches couper et quelles autres laisser telles quelles ? Sur la montagne, il y a toujours quelque chose à faire. Les plantes poussent vite. Les fleurs et la météo ne vont pas vous attendre ! »
Les deux jeunes hommes écoutent en silence les doléances de Chûichi.
« S’il s’agissait juste de s’occuper des hortensias, je suis sûr qu’un jardinier professionnel ferait beaucoup mieux. Mais cela ne suffit pas pour perpétuer l’esprit qui animait Chûichi lorsqu’il a démarré son projet. Nous ne savons rien des hortensias, mais j’ai la certitude que nous sommes plus déterminés que quiconque lorsqu’il s’agit d’interpréter ses sentiments et de veiller à ce que cet endroit soit transmis intact aux générations à venir », dit Minamishima.
À côté de lui, Chûichi sourit comme un grand-père en charge de ses petits-enfants.
« Tant que mon corps me le permettra, je continuerai de grimper en haut de la montagne pour leur transmettre mon savoir. Mais seul Bouddha sait jusqu’à quand je peux le faire. Bon, je laisse la relève à ces deux-là. Ils vont devoir se débrouiller tout seuls. »
(Note : Chûitchan est mort en juillet 2023 à l’âge de 93 ans. Photo de titre : Minamizawa Chûichi, le créateur du mont Ajisai, au centre, et ses successeurs, Takamizu Ken [à gauche] et Minamishima Yûki. Avec l’aimable autorisation du mont Minamizawa Ajisai. Autres photos : Amano Hisaki, de Nippon.com, sauf mention contraire.)