Derrière le mystère des momies « ningyo », les sirènes japonaises

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Des documents historiques au Japon et des récits ont recensé durant plusieurs siècles des apparitions de ningyo, des créatures marines mythologiques mi-humain, mi-poisson, qui ont inspirés de nombreux artistes. Penchons-nous sur les vérités et mythes autour de ces « sirènes japonaises », dont des momies existent encore aujourd’hui dans certains sanctuaires et temples. L’une d’entre elles est actuellement soumise à une analyse pointue.

Yao Bikuni et la princesse du sanctuaire

La légende japonaise la plus célèbre concernant les ningyo est l’histoire de Yao Bikuni (« la religieuse de 800 ans »). De nombreuses variations de ce conte existent, centrées sur la province de Wakasa (aujourd’hui préfecture de Fukui). Pour résumer simplement, le père de Bikuni avait acquis de la viande de ningyo, que sa fille s’est empressée de déguster. Grâce aux mérites de cette nourriture, elle est restée jeune pendant 800 ans, et est devenue religieuse bouddhiste. Selon certaines versions, elle aurait même vécu près de 1 000 ans, comme dans la variation donnée par la préfecture d’Okayama.

« Il n’y a pas d’enregistrements d’observations de ningyo à Okayama, mais il y a de nombreuses traditions concernant Bikuni dans la préfecture », déclare Kinoshita Hiroshi, qui dirige la Société de préservation du folklore d’Okayama. « Par exemple, il y a cette histoire disant que quand elle s’est décidée à voyager de province en province, elle a planté son bâton de marche dans le sol, avant de déclarer : “Quand je reviendrai ici, ma canne sera encore enracinée sur cette terre.” Et le bâton aurait alors pris racine, pour finalement devenir un grand arbre. » Une légende raconte également qu’une jeune personne aurait ensuite voyagé depuis Okayama jusqu’à la province de Wakasa afin de rencontrer Yao Bikuni. La religieuse s’est alors remémorée sa ville natale et s’est sentie nostalgique d’évènements survenus près d’un millénaire auparavant.

« La signification et le rôle assigné aux ningyo a changé à travers les différentes époques et situations », déclare Kinoshita. « Ils étaient souvent considérés comme nuisibles pendant la période médiévale, mais ils pouvaient parfois être de bon augure. Pendant l’époque d’Edo, des maladies telles que la variole et la rougeole étaient très répandues, et la jinja hime (« princesse du sanctuaire ») a pris le rôle prophétique et avertisseur qui serait plus tard associé à Amabiko et Amabie. »

La jinja hime, ou « princesse du sanctuaire » (avec l'aimable autorisation du musée Miyoshi Mononoke).
La jinja hime, ou « princesse du sanctuaire » (Avec l’aimable autorisation du musée Miyoshi Mononoke)

Cette « princesse du sanctuaire » était une servante du Palais du roi-dragon sous-marin, qui serait apparu en 1819 au large de la côte de la Province de Hizen (faisant aujourd’hui partie des préfectures de Saga et de Nagasaki). Elle a prédit sept ans de bonnes récoltes, mais a également prophétisé l’apparition d’une maladie appelée korori (associée au choléra), en conseillant de dessiner ou de regarder son image pour se protéger des infections. La jinja hime était doté du visage d’une femme et du corps d’un dragon, avec deux cornes sur la tête et trois pointes sur la queue. Plus tard, cette figure mythologique a été classifiée en tant que variété de ningyo.

Où trouver les ningyo aujourd’hui ?

Les ningyo momifiées ont été exhibées lors des spectacles de curiosités de l’époque d’Edo. Leur popularité a été alimentée par des rumeurs selon lesquelles le fait de les voir, ou d’observer leurs représentations, protégeait des maladies et assurait une espérance de vie prolongée. Certaines ont été finalement présentées aux sanctuaires et aux temples.

Kinoshita déclare que ces momies ont probablement été fabriquées depuis l’époque d’Edo jusqu’au début de l’ère Meiji. « Ils apparaissaient lors des spectacles, et certains d’entre eux voyageaient même jusqu’en Europe. Il y avait une énorme demande autour de ces créatures. On suppose que plusieurs artisans de très haut niveau fabriquaient alors les momies. »

Un spécimen aujourd’hui présenté au Musée d’ethnologie de Leyde, aux Pays-Bas, avait été transporté par un Hollandais travaillant au comptoir commercial de Dejima, dans la ville de Nagasaki, au début du XIXe siècle. La momie de l’imprésario américain P.T. Barnum, appelée « sirène Fiji », a connu une période de grande popularité en 1842. Elle aurait également été fabriquée au Japon, de la même manière que de nombreuses autres, en assemblant adroitement des moitiés hautes de singes avec des bas du corps de saumons ou d’autres poissons. Dans son « Récit de l’expédition d’un escadron américain aux mers de Chine et au Japon », le commodore américain Matthew Perry mentionne la création d’une sirène par un pêcheur japonais, la citant comme un des exemples caractéristiques du pays sous la rubrique des « connaissances scientifiques et de leurs applications ».

Aujourd’hui, les momies ningyo sont toujours présentes dans les temples et les sanctuaires autour du Japon, et on continue de leur attribuer des pouvoirs variés, tels que d’aider à rallonger l’espérance de vie, à la bonne santé, aux accouchements sans risques, et à éloigner la mauvaise fortune. Souvent, ces dernières ne sont pas dévoilés aux yeux du public. Il est par conséquent assez difficile de savoir leur nombre exact dans le pays.

Un ningyo célèbre peut-être trouvé à Kamuro Karukaya-dô, un temple bouddhique au pied du mont Kôya, dans la ville de Hashimoto. Il est considéré par la préfecture de Wakayama comme un bien important de la culture traditionnelle de la région. Il mesure près de 60 centimètres de long, avec une expression et une pose qui peut rappeler celle du célèbre Cri d’Edvard Munch, et est associé avec la créature mentionnée dans « Chroniques du Japon ». Le temple de Ganjô-ji à Higashi-Ômi, dans la préfecture de Shiga, dispose également d’une momie ningyo de « style Munch », connectée à cette même source historique.

Les autres créatures représentées dans des poses similaires sont conservées au temple Myôchi-ji à Kashiwazaki (préfecture de Niigata), et au Tenshôkyôsha de Fujinomiya (préfecture de Shizuoka). Haut de 170 centimètres, ce dernier spécimen est le plus imposant de tous. Le temple Zuiryû-ji d’Osaka comporte pour sa part un ningyo avec de longs cheveux et des bras tendus, et le Kotohiragû (préfecture de Kagawa) présente une momie étendue sur son ventre avec la tête relevée.

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