De la lumière verte pour accélérer la croissance des poissons : la technologie prometteuse d’une équipe japonaise
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Sur les 4,23 millions de tonnes de poissons et autres fruits de mer produits au Japon en 2020, environ 24 % provenaient de la pisciculture, selon une étude sur la production de la pêche et de l’aquiculture effectuée par le ministère de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche. Il y a de bonnes raisons d’espérer que l’aquiculture, qui permet l’élevage du poisson au sein d’un environnement contrôlé, contribuera à la relance de l’industrie japonaise du poisson et des fruits de mer et renforcera l’autosuffisance alimentaire du pays. Grâce à son effet stabilisant sur les prix du poisson, l’aquiculture a en outre le mérite de permettre aux consommateurs d’acheter le poisson de leur choix à un prix raisonnable. (Voir notre article : Le taux d’autosuffisance alimentaire à son niveau le plus bas, une crise pour le Japon)
La limande à queue jaune, la dorade rose et la sériole couronnée sont les principaux poissons d’élevage au Japon, mais c’est la famille moins répandue des poissons plats, dont font partie le flet japonais, le flet barfin et le flétan tacheté, qui se trouve désormais « sous les projecteurs » — au sens littéral du terme depuis l’invention d’une technique d'« élevage à la lumière » qui utilise la lumière LED verte pour obtenir une augmentation de 60 % de la vitesse de croissance des poissons.
L’effet de la lumière verte sur un poisson
« Tout a commencé alors que nous tentions de résoudre un autre problème — comment prévenir le noircissement du poisson », explique Takahashi Akiyoshi, professeur de biosciences marines à l’Université Kitasato et l’un des inventeurs de la technique d'« élevage à la lumière ». Takahashi, qui a grandi dans une famille de poissonniers de Kamaishi, préfecture d’Iwate, s’est spécialisé dans l’étude des hormones de poisson dès son entrée en fonction à l’École supérieure des sciences de la pêche (aujourd’hui École supérieure de biosciences marines) de l’Université Kitasato.
Lorsque les poissons plats sont élevés en cuve, leur dessous (la face dépourvue d’yeux) à tendance à noircir. Takahashi s’est associé avec Yamanome Takeshi, du Centre de la technologie de la pêche d’Iwate, en vue de tenter de trouver une solution à ce problème. À partir du début des années 2000, les deux hommes ont consacré plusieurs années à l’expérimentation, et observé au bout d’un certain temps que le flet élevé dans une cuve blanche était moins susceptible de présenter un noircissement que le flet élevé dans une cuve noire. Les deux hommes ont également remarqué que la croissance du flet barfin élevé en cuve blanche était plus rapide. Toutefois, quand les cuves blanches devenaient sales, elles cessaient d’avoir cet effet sur la croissance, ce qui a donné à nos deux chercheurs l’idée d’éclairer les cuves avec de la lumière colorée. Après avoir essayé avec les trois couleurs primaires de la lumière que sont le rouge, le bleu et le vert, ils ont constaté que le vert provoquait une nette accélération de la croissance. Takahashi et Yamanome ont publié les résultats de leurs recherches en 2009.
L’équipe a alors remplacé l’éclairage fluorescent et le dispositif de filtrage qu’elle avait utilisés jusque-là par un appareil à LED vertes conçu par Stanley Electric, qui participait à leurs recherches, et elle a constaté que cet appareil incitait les flets à nager plus vite, à manger davantage et à grandir plus rapidement. Mais pourquoi l’activité des poissons plats augmentait-elle sous la lumière verte ? Parmi les trois couleurs primaires constitutives de la lumière du soleil, ils ont établi que le vert est la plus apte à se propager dans les fonds marins qui servent d’habitat au poisson.
« Le poisson plat est un grand expert de la discrimination entre les couleurs, notamment en ce qui concerne la sensibilité à la lumière verte et l’aptitude à la reconnaître », dit Takahashi. Il présume que l’exposition du poisson à une lumière d’une couleur similaire au vert qu’il rencontrerait dans son habitat naturel le rend plus affamé et plus actif.
À la fin des années 2010, l’équipe de Takahashi a conduit une expérimentation similaire dans laquelle de la lumière de diverses couleurs était projetée sur des flétans tachetés et des flétans japonais, et elle s’est aperçue que la lumière verte avait pour effet d’accélérer la croissance de ces deux espèces de poissons. Par contre, la lumière verte n’avait aucun effet sur la truite arc-en-ciel (famille des salmonidés) ou le poisson rouge (cyprinidés). D’autres recherches ont confirmé que la lumière verte n’a aucun effet sur la daurade rose et la limande à queue jaune (percidés).
L’industrie s’empresse d’adopter la nouvelle technologie
On ne sait pas exactement jusqu’où peut aller la croissance des poissons plats sous la lumière verte, mais il est établi que cette lumière augmente de 60 % la vitesse de croissance du flet. Le secteur de l’aquiculture a connu un nouveau départ grâce à ces découvertes, et la commercialisation de cette technique ne s’est pas fait attendre.
À Ôita, où l’élevage du flet constitue un important secteur d’activité, les découvertes ont éveillé l’intérêt de chercheurs du Centre préfectoral d’Ôita pour la recherche sur l’agriculture, la sylviculture et la pêche, avec pour résultat l’introduction de la technologie dans plusieurs exploitations piscicoles de la préfecture. C’est ainsi que des pisciculteurs locaux en sont venus à employer des LED vertes pour l’élevage du flet, tant et si bien que plusieurs pisciculteurs d’Ôita font désormais un usage commercial de la technologie.
Flet nageant dans une cuve éclairée à la lumière verte
Cuve conventionnelle éclairée à la lumière ordinaire
Dans le même temps, à Miyako, préfecture d’Iwate, le partenaire de Takahashi appartenant à la branche locale de l’Agence japonaise de la pêche et de l’éducation, en accord avec les autorités locales, a chargé la coopérative piscicole de Miyako d’effectuer un essai d’élevage côtier du flétan tacheté à partir de 2019. La technologie de l’élevage à la lumière a permis de procéder à la collecte du poisson au bout d’un an, alors que la période habituelle d’attente était de deux ans. Takahashi exprime le contentement que lui inspire la mise en route de la commercialisation de la technologie, et son espoir que les LED vertes vont permettre aux aquiculteurs de produire en grandes quantités des flétans d’excellente qualité.
Le processus reste un mystère
Dans le même temps, sa curiosité scientifique reste insatisfaite. « En termes de technologie, nous avons certes réussi à inventer une méthode d’élevage à la lumière. Mais, scientifiquement parlant, la question de la raison de l’efficacité de la lumière verte n’a toujours pas reçu de réponse pleinement satisfaisante. »
Takahashi s’intéresse depuis longtemps au rôle joué par l’hormone de concentration de la mélanine (HCM) en tant qu’agent de croissance chez les poissons plats. Le HCM a été identifié en 1983 comme facteur de pigmentation, et en 1996 comme stimulant de l’appétit chez les souris. C’est alors qu’il travaillait sur la question, évoquée plus haut, du noircissement des flets que Takahashi a constaté que la sécrétion de HCM par les flets élevés en cuves blanches atteignait des niveaux bien supérieurs à celle de leurs homologues élevés en cuves noires ou jaunes.
« Il m’est venu à l’esprit qu’il était possible que les HCM aient l’effet conjoint de blanchir les poissons et de stimuler leur appétit », déclare-t-il.
Toutefois, Takahashi dit que des avancées récentes l’ont contraint à revoir son projet de recherche, après qu’il s’était aperçu que l’injection de HCM dans le liquide céphalo-rachidien des flétans tachetés provoquait en fait une diminution de leur ingestion de nourriture.
« Cela pourrait signifier que les HCM jouent bel et bien un rôle d’agent de croissance chez les poissons plats, mais que ce rôle n’est pas nécessairement majeur. J’étudie maintenant cette question sous une diversité d’angles. »
La compréhension du processus qui lie l’exposition à la lumière à la stimulation de la croissance fera progresser la science. Dans le même temps, elle nous donnera un éclairage sur les types de poissons pour lesquels l’élevage à la lumière est adéquat, et sur les environnements les mieux adaptés à cette approche. Si la technique continue de se répandre, elle peut contribuer à la résolution de questions telles que le déclin des prises et celui de l’autosuffisance alimentaire.
Investissons dans un laboratoire !
Outre l’élevage à la lumière, un certain nombre d’autres approches visant à stimuler la croissance sont à l’essai sur un large éventail de poissons d’élevage. L’une d’entre elle consiste à modifier la composition de l’alimentation elle-même. Les approches qui utilisent le séquençage du génome (une technique qui cible des paires de base spécifiques de l’ADN d’un organisme) ont également donné lieu à des avancées, telles que l’autorisation de mise sur le marché en 2021 d’une espèce de daurade plus charnue, génétiquement modifiée, et les tentatives en vue de mettre à contribution le séquençage du génome pour stimuler la croissance des poissons-globes.
On voit donc que la stimulation de la croissance est devenue le théâtre d’une sorte de compétition. Qu’en pense Takahashi ?
« La marche à suivre consiste à trouver quelle approche fonctionne le mieux pour chaque type de poisson, pour ensuite concentrer nos efforts sur cette approche. Les éleveurs de daurades et de limandes à queue jaune utilisent d’ores et déjà des aliments qui stimulent la croissance », observe-t-il.
En ce qui concerne la famille des poissons plats, le flet japonais reste un acteur de second plan, puisqu’il ne compte que pour 1 % dans l’ensemble de la production piscicole. Mais le bon côté des choses, selon Takahashi, c’est que le potentiel de croissance est plus élevé. Il dresse une liste des obstacles qui doivent être surmontés pour que l’élevage à la lumière puisse prendre son essor.
« Le coût des appareils à LED vertes est un problème. Contrairement aux appareils à lumière blanche, ils sont exclusivement fabriqués sur commande, et ils doivent être imperméabilisés et protégés contre la corrosion. Sans compter qu’on ne peut guère prétendre que l’énergie utilisée pour l’alimentation des LED soit respectueuse de l’environnement. Nous devons nous convertir à l’usage de formes d’énergie provenant de sources renouvelables. »
Le thon « modernisé » de l’Université Kindai est un exemple bien connu de poisson labellisé mis au point par des chercheurs universitaires. Si l’on parvient à surmonter les obstacles évoqués par Takahashi, il se peut que nous assistions à l’apparition d’un nouveau poisson labellisé issu des recherches effectuées à l’Université Kitasato.
En ce qui concerne la recherche sur les processus à l’œuvre dans le développement de la croissance, Takahashi déclare avoir des objectifs qu’il veut réaliser pour obtenir des avancées en ce domaine.
« Après que le laboratoire Sanriku de l’École supérieure de biosciences marines de l’Université Kitasato, situé à Ôfunato, préfecture d’Iwate, eût été endommagé en 2011 par le Grand tremblement de terre de l’Est du Japon et le tsunami qui l’a suivi, il a été transféré sur le campus Sagamihara de l’université, dans la préfecture de Kanagawa. Pour procéder à des expérimentations sur de gros poissons comme le flet et autres poissons plats, il faut disposer d’une installation de taille raisonnable. À l’heure actuelle, nous utilisons le laboratoire d’un partenaire de recherche, la branche de Miyako de l’Agence japonaise de la pêche et de l’éducation, mais j’espère trouver à l’avenir un sponsor, pour que nos expérimentations puissent avoir lieu sur le campus Sagamihara », dit-il.
Que ce soit en termes de théorie ou de pratique, on continue d’enregistrer des avancées qui ont le potentiel de transformer l’avenir de l’aquiculture.
(Photo de titre : Flet éclairé par des LED vertes. Avec l’aimable autorisation du Centre préfectoral d’Ôita pour la recherche sur l’agriculture, la sylviculture et la pêche)