Le manga et l'anime deviennent des marques
« La Rose de Versailles » : hymne aux femmes indépendantes et à l’amour éternel
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Le pari de l’Histoire dans les mangas pour filles
La Rose de Versailles, d’Ikeda Riyoko, fut publiée pour la première fois en série dans l’hebdomadaire Margaret des éditions Shûeisha en 1972. C’est un chef-d'œuvre qui se déroule pendant l’époque mouvementée de la Révolution française et s’est imposé comme une œuvre majeure de l’histoire du manga.
Les personnages centraux du récit sont la reine Marie-Antoinette et son amant secret, le prince suédois Fersen. Et puis Oscar, une femme travestie en homme, élevée comme l’héritier d’une famille de l’aristocratie militaire, et André, un roturier qui suit ses traces.
Des personnages sont les jouets de l’histoire, d’autres désespèrent de l’histoire, d’autres encore se battent pour l’avènement d’une nouvelle ère, d’autres donnent leur vie pour leurs proches… La romance historique qui se dessine à travers la vie de ces femmes et de ces hommes souleva l’enthousiasme des fans et fit de ce titre une référence majeure dans les mangas des générations suivantes.
Et pourtant, l’équipe éditoriale qui a étudié le premier projet avait émis un avis défavorable à la sérialisation. L’argument était : « Un récit historique ? Un sujet d’un tel rafinement ne sera jamais compris par le lectorat du manga shôjo (destiné à un public féminin)… » Cela donne une idée de l’image du manga dans la société japonaise à l’époque. Le manga n’était même pas considéré comme de la culture. Le manga shôjo occupait la marche la plus basse des différents segments du genre, et les artistes féminines étaient payées moitié moins que leurs homologues masculins.
Ikeda Riyoko, l’auteure, est née en 1947 à Osaka, et a grandi à Kashiwa, préfecture de Chiba. À l’époque où les valeurs de la société ne considéraient pas les études supérieures comme essentielles pour les femmes, Ikeda Riyoko surmonta l’opposition de son père et s’inscrivit au département de philosophie de l’université d’Éducation de Tokyo (aujourd’hui l’Université de Tsukuba). Elle prit une part active dans les mouvements étudiants de l’époque.
« Il n’était pas question pour moi de critiquer la société et les adultes tout en restant à la charge de mes parents. » Ikeda quitta donc sa famille pour devenir indépendante. Elle exerça divers métiers, serveuse, ouvrière en usine, vendeuse au porte-à-porte, pour vivre et financer ses études.
En 1968, toujours étudiante, elle fait ses débuts en tant que mangaka dans le magazine hebdomadaire Margaret. À l’époque, dessiner des mangas n’est qu’un moyen de payer son loyer. Mais ses premiers récits connaissent un bon succès et, à 24 ans, elle commence la publication de La Rose de Versailles.
Toutefois, comme nous l’avons dit, la rédaction composée uniquement d’hommes à cette époque s’opposa à la publication d’un sujet qui, pour eux, ne pourrait jamais être compris par les lectrices. Ikeda déclara alors : « Ça va marcher, j’en suis sûre. Si ça ne marche pas, je stoppe immédiatement ». C’est ainsi que la série fut lancée.
La recherche de l’idéal
Si Marie-Antoinette d’Autriche, reine de France, et le prince Fersen sont des personnages historiques, Oscar, personnage travesti, est un personnage fictif. Même s’il est avéré que le 14 juillet 1789, un capitaine de la Garde se rangea du côté des citoyens lors de la prise de la Bastille.
Ikeda, 24 ans à l’époque, ne se sentait pas à l’aise pour peindre le microcosme typiquement masculin des soldats. En faisant d’Oscar une femme qui cache son identité, la difficulté trouvait au contraire un sens constructif. Et le personnage est devenu dans le même temps le porte-parole de l’auteure pour exprimer ses sentiments à l’égard d’une société qui ne reconnaissait toujours pas la personnalité ou les capacités des femmes comme celles d’êtres humains à part entière (entretien dans Fujin Kôron, 23 septembre 2013).
De fait, Oscar fait preuve en permanence d’élégance, même s’il fait de son mieux pour « dans une société d’hommes, ne jamais perdre face à un homme ».
Comme le dit Yoshinaga Fumi, mangaka de la génération suivante qui a elle-même dépeint la Révolution française dans ses œuvres :
« Dans les mangas d’Ikeda, vivre libre et affirmer son indépendance est cohérent avec la vision de contribuer à une société idéale. Le génie absolu d’Ikeda a été de combiner ces aspects idéologiques avec une qualité unique de divertissement. (Ikeda Riyoko no sekai, « L’univers d’Ikeda Riyoko », Asahi Shimbun Publications).
Le personnage d’Oscar possède de ce point de vue des qualités essentielles du point de vue du divertissement. C’est une femme belle, forte et intelligente. C’est une fleur aristocratique, qui gagne autant d’admirateurs que d’admiratrices de par sa beauté, qui a également l’intelligence d’avoir une vision objective de son époque et la bonté de sympathiser avec ceux qui vivent dans des circonstances moins privilégiées qu’elle. En tant que militaire, elle est également en position de diriger les choses à sa façon, en conservant son quant-à-soi.
Si elle éprouve tout d’abord des sentiments pour Fersen, elle finit par reconnaître et accepter ses sentiments plus authentiques envers André, de condition sociale inférieure à la sienne puis qu’il appartient à une famille de domestiques de son propre famille, mais qui a toujours été à ses côtés.
Or, l’époque dans laquelle il vit, c’est la Révolution française. En tant qu’individu, Oscar a trouvé le bonheur et n’a jamais songé à fuir sa patrie en proie aux turbulences. De même, André n’a jamais songé à s’éloigner d’Oscar. Les différences de statut social se dressent comme des barrières entre les individus, et ceux-ci s’efforcent de les abattre. Telle est la dynamique de l’époque. La beauté apparaît quand on met sa vie en adéquation avec le sens positif de l’histoire.
Le secret de la popularité ?
Le succès de La Rose de Versailles fut phénoménal. Dès le premier épisode, la série remporta la première place dans les sondages de lecteurs, puis se vendit à plus de 15 millions d’exemplaires au total. L’amour d’Oscar et d’André est sans doute l’axe qui a gagné le cœur des gens, au point que la scène de la mort d’Oscar a plongé de nombreux fans dans une profonde tristesse.
En 1974, la compagnie théâtrale Takarazuka adapte le manga en comédie musicale. Des fans ont menacé le théâtre si on touchait au manga, ce qui n’empêcha pas la comédie musicale de devenir elle-même un fabuleux succès. En 1979 sortit une version anime. Aussi bien cette version anime que la comédie musicale sont toujours appréciées aujourd’hui, et depuis un demi-siècle, leur éclat n’a pas diminué.
Le secret de la popularité de La Rose de Versailles ? Des personnages qui possèdent la vraie noblesse intérieure et vivent avec pour seul objectif de faire leurs la liberté et l’amour éternel, au-delà des différences de naissance et de genre, suscitent toujours la sympathie et l’admiration du public.
(Photo de titre : quelques tomes en japonais de La Rose de Versailles. Photo de Nippon.com)