Entre le tsunami et la pandémie : à Minami-Sanriku, 11 ans de combat du père de la mascotte Octopus-kun

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Fushimi Manabu [Profil]

Nous voici 11 ans depuis le séisme et le tsunami meurtriers qui ont provoqué la catastrophe nucléaire de Fukushima, au nord-est du Japon. La ville de Minami-Sanriku a été l’un des ces lieux sévèrement frappés par la tragédie. Un ancien fonctionnaire communal a participé à des projets de reconstruction, notamment en créant des produits dérivés et la mascotte Octopus-kun pour la municipalité, et en gérant des installations d’hébergement et de formation. Ces activités connaissaient un certain succès, quand elles ont été mises à mal par la crise sanitaire. Aujourd’hui, il poursuit la lutte pour maintenir les lieux de vie et de travail des résidents.

La pieuvre du succès

À cinq kilomètres au nord-ouest du centre de Minami-Sanriku, dans la préfecture de Miyagi, on entre dans la région d’Iriya, qui est entourée de montagnes, et dont le symbole est le sanctuaire Iriya Hachiman. Après avoir monté les longues marches en pierre, à côté du pavillon principal, se dresse une statue en bronze d’une pieuvre rouge vif qui dépareille avec le paysage.

Il s’agit d’Octopus-kun, la mascotte de la ville de Minami-Sanriku, créée par Abe Tadayoshi, 63 ans, originaire de la région d’Iriya et directeur du centre de formation Minami-Sanriku. Octopus-kun est rapidement devenu un personnage représentatif de Minami-Sanriku, que l’on peut voir partout dans la ville.

Statue en bronze d’Octopus-kun au sanctuaire Iriya Hachiman
Statue en bronze d’Octopus-kun au sanctuaire Iriya Hachiman

La création d’Octopus-kun date de 2009. Abe Tadayoshi, qui s’occupait à l’époque de projets touristiques en tant que fonctionnaire communal, s’est rendu compte que la ville possédait des spécialités alimentaires mais quasiment aucun souvenir artisanal. Il a donc créé un presse-papiers avec un motif de poulpe, une spécialité locale. Pour accompagner sa commercialisation, il l’a associé à un objet votif pour la réussite dans les études, avec un slogan basé sur un jeu de mot : Octopus est devenu oku to pasu, c’est-à-dire : « posez-le [sur votre bureau] et vous réussirez [vos examens] ». Le succès a été instantané comme objet souvenir !

Abe a transformé l’usine de son père en atelier et s’est mis à travailler pendant ses jours de congé à ses presse-papiers en forme de poulpe. Quand le tsunami provoqué par le grand séisme du Tôhoku (le nord-est du Japon) a tout emporté, jusqu’aux fondations du bâtiment...

Octopus-kun donne du courage

Pour remonter la pente, c’est Octopus-kun qui a donné du courage à toute la ville. La gamme des produits dérivés s’est enrichie, et ceux-ci sont toujours fabriqués dans l’atelier qui a été rouvert dans la région d’Iriya.

« Nous nous sommes dit que les entreprises locales seraient prêtes à redémarrer au bout de quelques temps, il fallait simplement imaginer quelque chose pour faire la jointure. C’est pour cela que j’ai créé cet atelier, pour que la population locale continue à travailler sur place en attendant. À l’origine, nous ne pensions pas poursuivre plus de deux ans, mais Octopus-kun s’est si bien vendu, en partie grâce au soutien des autres régions touchées, aussi. Bref, il n’était plus possible de s’arrêter. »

Outre l’atelier, Abe gère également une structure d’hébergement et de formation, ainsi qu’un programme de formation agricole par l’expérience.

« L’atelier et le gîte emploient du monde. L’activité des entreprises est nécessaire pour maintenir l’emploi et faire vivre la ville », déclare-t-il.

Depuis 11 ans, c’est-à-dire depuis le tsunami, Abe n’a pas cessé de courir en tout sens autour de Minami-Sanriku. Essayons de retracer son parcours.

Octopus-kun est également représenté sur les panneaux de la galerie marchande SanSan.
Octopus-kun est également représenté sur les panneaux de la galerie marchande SanSan.

L’épanouissement personnel, oui, mais celui des autres d’abord

Cet après-midi-là, le 11 mars 2011, vers 15 h 25, 40 minutes après le séisme, le tsunami a frappé la zone urbaine de Minami-Sanriku. Immédiatement après le tremblement de terre, Abe a évacué vers une zone boisée située sur un terrain en hauteur, avec quelque 200 autres résidents. Mais inquiet de l’état de la mairie, il est retourné en ville. Cependant, alors qu’ils étaient sur le point de traverser la rivière, ils ont soudainement pris peur et ont fait demi-tour. Peu après leur retour en sécurité, la mairie, où se trouvait encore une grande partie du personnel, a été engloutie par le tsunami.

Le terrain en hauteur où ils avaient trouvé refuge n’était pas à l’abri du danger. Les résidents ont été conduits à travers la montagne pour trouver refuge dans l’école primaire de Shizugawa, construite beaucoup plus en hauteur, où ils ont passé plusieurs jours. La nuit, près de 1 000 personnes, des hommes et des femmes de tous âges passaient la nuit dans le gymnase, et pourtant, il n’y avait pas un bruit. Ce silence a été pour Abe une expérience inouïe.

« C’était comme si chaque individu était une cellule, et que nous nous agglutinions pour former un seul corps vivant. »

Dans les abris, tout le monde vit ensemble et s’entraide. Même les petits enfants enduraient patiemment sans se plaindre. Abe n’oubliera jamais cette période de solidarité où chacun ne faisait qu’un avec tous les autres.

Cependant, à mesure que la reconstruction a progressé, les « formes de vie » commensales se sont effondrées, chacun quittant l’abri pour occuper les logements d’urgence qui étaient mises à la disposition des réfugiés, ou reconstruisant sa propre maison. Le retour du « moi d’abord ». Évidemment, c’était inévitable, mais d’où venait ce soudain sentiment de solitude ?

L’épanouissement personnel, oui, bien sûr, mais Abe s’est promis de créer un lieu où tout le monde pourrait vivre et travailler ensemble.

Après le tremblement de terre, l’ancienne agglomération a été surélevée d'environ 10 mètres et le pont sur la rivière a été remplacé. Le site de construction du mémorial Minami-Sanriku 311, une installation conçue par l'architecte Kuma Kengo pour transmettre la mémoire de la catastrophe, est visible au fond à droite.
Après le tremblement de terre, l’ancienne agglomération a été surélevée d’environ 10 mètres et le pont sur la rivière a été remplacé. Le site de construction du mémorial Minami-Sanriku 311, une installation conçue par l’architecte Kuma Kengo pour transmettre la mémoire de la catastrophe, est visible au fond à droite.

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Fushimi ManabuArticles de l'auteur

Écrivain indépendant. Né en 1979 dans la préfecture de Kanagawa. Spécialisé dans le développement régional et les modes de vie et de travail. Diplômé du département des études sur l’Environnement et l’Information de l’Université Keiô, il a suivi l’école supérieure Médias et Gouvernance de la même université. Après avoir travaillé pour le site d’information ITmedia, il a participé au lancement du média de résolution des problèmes sociaux « Renews ».

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