Le manga et l'anime deviennent des marques

Une femme dans le monde du baseball : Mizushima Shinji, le mangaka qui a défié la barrière du genre

Culture Manga/BD

Hotta Junji [Profil]

Le mangaka Mizushima Shinji est décédé le 10 janvier 2022. L’une de ses œuvres les plus connues, Yakyû-kyô no Uta (« Le poème des fous de baseball »), est un manga qui se déroule autour d’une équipe de baseball professionnelle fictive et met en scène des équipes et des joueurs réels ainsi que des « fous de baseball » gratinés et fort sympathiques. Dans cette œuvre de 1972, Mizushima crée le personnage de « la première joueuse professionnelle du baseball japonais ». Quel a été le contexte de ce manga non conventionnel à une époque où les problématiques de genre étaient peu prises en compte ? Quels genres de contributions l’auteur a-t-il apporté à la société japonaise ?

« Sur le terrain, je serai traitée comme n’importe quel joueur masculin »

Aujourd’hui en 2022, il n’y a toujours pas de joueuse dans aucune des deux ligues professionnelles de baseball au Japon.

Mais dans le monde de la fiction, la première joueuse émargeait déjà sur la feuille de match dans les années 1970. Il s’agit de Mizuhara Yûki, l’un des personnages centraux du manga de Mizushima Shinji, Yakyû-kyô no Uta (« Le poème des fous de baseball »). D’abord membre de l’équipe de baseball du lycée Musashino, elle rêve surtout d’aller en Afrique pour devenir zoologiste et n’a aucune intention de devenir joueuse de baseball professionnelle.

Ce qui à vrai dire n’a rien de surprenant. Car l’article 83 de la Convention du baseball japonais professionnel interdit à tout joueur non médicalement considéré comme de sexe masculin de devenir affilié. De toute façon, à l’époque, personne n’y songeait, tellement il passait comme allant de soi qu’une femme ne pouvait pas être capable de devenir joueuse professionnelle avec l’ambition de servir efficacement une équipe. Bref, l’héroïne de Mizushima se heurte à deux obstacles majeurs : le système de discrimination par le genre, et les préjugés de genre.

Or, les Mets la sélectionnent en premier choix, provoquant bien évidemment un séisme dans le monde du baseball aussi bien que dans la société japonaise. Au début très réticente, Yûki finit par décider de rejoindre l’équipe professionnelle, mais à une condition. Elle exige de faire figurer dans son contrat : « Sur le terrain, je serai traitée comme n’importe quel joueur masculin. »

Yûki est promue en équipe première dès sa première année. Ses atouts sont une intelligence supérieure du jeu, son audace au monticule, et son lancer unique, la « dream ball », une méthode qu’elle a développée après une longue recherche. Dans le manga, ses adversaires sont de vrais joueurs de l’époque. Et rien ne pouvait faire plus sensation auprès des lecteurs et lectrices de tous âges que de voir une jolie fille se mesurant aux meilleurs joueurs du pays.

Nouvelle édition de Yakyû-kyô no Uta (Kôdansha Manga Bunko)
Nouvelle édition de Yakyû-kyô no Uta (Kôdansha Manga Bunko)

D’entrée de jeu, un graphisme et un scénario de haut niveau

Mizushima Shinji s’est efforcé de ne jamais sortir du strict réalisme et de ce qui est objectivement possible dans les exploits de Mizuhara Yûki, première joueuse professionnelle de baseball.

Le mangaka est né à Niigata en 1939. Dès sa troisième année d’école primaire il avait un petit job, et, au collège, il a commencé à donner un coup de main à la poissonnerie familiale. Après le collège, il se levait à cinq heures du matin pour effectuer un travail particulièrement écrasant : courtier sur le marché à la criée. Dès qu’il avait une minute entre deux commandes, il lisait toutes les bandes dessinées de la librairie de prêt. Mizushima, qui a toujours été doué pour le dessin, postule pour le prix du jeune espoir de l’éditeur Hinomaru Bunko, un éditeur de mangas de location basé à Osaka, et obtient le deuxième prix.

À l’époque, de nombreux postulants mangakas présentaient des projets d’esprit avant-gardiste et intello, qui avaient également l’attention des jurys. Mizushima, lui, avait une conscience innée du divertissement, et, sans aucune formation, ses mangas possédaient déjà un niveau de maturité exceptionnel.

Mizushima Shinji (au centre) invité à la Garden Party d'automne de l'empereur Akihito (aujourd'hui retiré) en 2015 ; il est décoré de la Médaille d'honneur au ruban pourpre en 2005 et de l'Ordre du Soleil levant en 2002. Photo prise au parc Akasaka Gyôen, à Tokyo, le 12 novembre 2015. (Jiji)
Mizushima Shinji (au centre) invité à la Garden Party d’automne de l’empereur Akihito (aujourd’hui retiré) en 2015 ; il est décoré de la Médaille d’honneur au ruban pourpre en 2005 et de l’Ordre du Soleil levant en 2002. Photo prise au parc Akasaka Gyôen, à Tokyo, le 12 novembre 2015. (Jiji)

Suite à ce prix, Mizushima déménage à Osaka et devient mangaka. Au début, il touche à tous les genres, même les histoires de samouraïs. Sauf le manga pour filles. Mais son destin se scelle avec Nageru, utsu, mamoru (« Lancer, frapper, défendre »), manga qu’il réalise une fois acquise une technique propre à représenter les scènes de baseball de façon convaincante. De ce jour, il décide de se consacrer exclusivement au manga de baseball, qu’il adore depuis qu’il est tout petit.

Sa première série baseball sérialisée, Otoko Doahô Kôshien est publiée par Shônen Sunday. Le succès est au rendez-vous et Mizushima produit alors ses séries qui deviendront des classiques du manga de baseball : Dokaben et Abu-san.

« Je veux raconter aux enfants tout ce que j’adore dans et autour du baseball », « Je veux parler du baseball sans rien inventer ». Mizushima suivait les équipes et les matches de très près depuis des années. Il était le genre de fan à fréquenter les stades en dehors de matches pour ramasser les balles d’entraînement.

Suite > La « balle magique » pour battre les hommes sur le terrain

Tags

pop culture dessin animé manga genre Baseball

Hotta JunjiArticles de l'auteur

Écrivain et auteur de manga. Diplômé de la faculté des lettres de l’université de Sophia. Parmi ses principales œuvres figurent le roman « Tsundere, Heidegger et moi » (Boku to Tsundere to Heidegger, éditions Kôdansha) et « Manga pour comprendre comment fonctionne une épouse » (Manga de wakaru tsuma no Torisetsu, éditions Kôdansha). Membre de la Société japonaise des auteurs de manga.

Autres articles de ce dossier