À la découverte des « kimarite », les spectaculaires techniques de sumo

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« Victoire de Terunofuji par yorikiri ! » La voix tonnante de l’arbitre remplit le stade de sumo, soulevant les acclamations des spectateurs aux premières loges. Les kimarite, les « techniques décisives » du sumo, sont une liste de mouvements précis qui sont répertoriés de manière officielle. Ils permettent de comprendre les subtilités du plus célèbre des sports traditionnels japonais.

De nombreuses façons de remporter la victoire au sumo

Les kimarite sont les techniques utilisées par les lutteurs de sumo, les rikishi, pour battre leur adversaire.

À la fin du match, un arbitre assis près du ring annonce le kimarite qui a été utilisé par le gagnant. S’il est difficile de prendre une décision sur le moment, l’arbitre appelle un oyakata (un ancien lutteur, devenu maître) qui observe les matchs depuis une salle séparée, pour s’en remettre à son jugement.

On parle souvent des « 48 techniques gagnantes » au sumo, et beaucoup de personnes pensent qu’il n’y en a pas plus. Mais en réalité, il existe 82 techniques gagnantes officielles qui sont recensées par l’Association japonaise de sumo.

D’où vient donc cette idée de 48 techniques ? Au Japon, ce nombre est utilisé depuis des siècles pour exprimer une grande quantité. Il est également considéré comme de bon augure et semble avoir ainsi développé une connexion avec le sumo : le choix de ce chiffre ne semble donc pas avoir été fait au hasard.

En outre, il existe de nombreux documents de l’époque d’Edo (1603-1868) attribuant 12 techniques à chacun des 4 types de mouvement de base : sori (flexion), hineri (torsion), nage (projection) et kake (crochetage), ce qui donne un total de 48 techniques. En réalité, il y en a bien d’autres : un ouvrage datant des années 1670 décrit 120 kimarite, et en y ajoutant ceux transmis oralement entre les arbitres (gyôji), plus de 300 différentes techniques peuvent être dénombrées.

À partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, des matchs de charité étaient organisés au temple bouddhiste Ekôin à Ryôgoku. Précurseurs des tournois modernes, ils permettaient de financer les travaux de construction et de réparation du temple. Cet ukiyo-e d'Utagawa Kuniyoshi (1798–1861) dépeint une cérémonie d'entrée sur le ring des lutteurs (tiré d’une collection de la Bibliothèque métropolitaine centrale de Tokyo).
À partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, des matchs de charité étaient organisés au temple bouddhique Ekôin, à Ryôgoku (Edo). Précurseurs des tournois modernes, ils permettaient de financer les travaux de construction et de réparation du temple. Cette estampe d’Utagawa Kuniyoshi (1798–1861) dépeint une cérémonie d’entrée sur le ring des lutteurs. (Une collection de la Bibliothèque métropolitaine centrale de Tokyo)

Illustration d’un uchigake (crochetage intérieur de la jambe), un des 48 kimarite, dans un ouvrage de la d'époque d'Edo sur le sumô (avec l'aimable autorisation du journal Ôzumô).
Illustration d’un uchigake (crochetage intérieur de la jambe), un des 48 kimarite, dans un ouvrage datant de l’époque d’Edo sur le sumo. (Avec l’aimable autorisation du journal Ôzumô)

68 kimarite officialisés dans les années 1950

En mai 1955, un groupe dirigé par l’oyakata Hidenoyama (1911-1971, nom du lutteur Kasagiyama ayant atteint le rang de sekiwake) a réorganisé les centaines de kimarite existant en 68 techniques officielles.

Voici de nombreux kimarite ont des noms évocateurs :

Komata-sukui (ramassage de cuisse) : faire chuter son adversaire en saisissant et tirant l'intérieur de la cuisse vers le haut pour le déséquilibrer (avec l'aimable autorisation du journal Ôzumô).
Komata-sukui (ramassage de cuisse) : faire chuter son adversaire en saisissant et tirant l’intérieur de la cuisse vers le haut pour le déséquilibrer (avec l’aimable autorisation du journal Ôzumô).

Zubuneri (tordage de tête) : placer la tête contre la poitrine ou l'épaule de l'adversaire et saisir son bras ou son coude étendu pour le tirer au sol avec un mouvement de pivot de la tête.
Zubuneri (tordage de tête) : placer la tête contre la poitrine ou l’épaule de l’adversaire et saisir son bras ou son coude étendu pour le tirer au sol avec un mouvement de pivot de la tête.

Amiuchi (lancer de filet de pêche) : saisir le bras étendu de l'adversaire avec les deux mains et le tirer pour le projeter en arrière, comme si c’était un filet de pêche.
Amiuchi (lancer de filet de pêche) : saisir le bras étendu de l’adversaire avec les deux mains et le tirer pour le projeter en arrière, comme si c’était un filet de pêche.

Sabaori (maquereau tordu): saisir le mawashi de l'adversaire à deux mains et le forcer à s'agenouiller, le faisant ressembler à un maquereau (saba) avec le cou tordu.
Sabaori (maquereau tordu) : saisir le mawashi de l’adversaire à deux mains et le forcer à s’agenouiller, le faisant ressembler à un maquereau (saba) avec le cou tordu.

Deux kimarite supplémentaires ont été ajoutés en janvier 1960 (portant le total à 70 techniques), lorsque le dashinage, une projection consistant à saisir le mawashi de l’adversaire, a été divisé en uwate-dashinage (tirer par-dessus les bras) et shitate-dashinage (tirer par-dessous les bras), en fonction de si le lutteur a saisi le mawashi de son adversaire par-dessus ou par-dessous son bras pour le tirer vers l’avant et le bas.

Le bord du ring : un élément crucial

Le sumo est une discipline qui a évolué au XXe siècle, les rikishi devenant plus grands, plus forts et rapides, et de plus en plus internationaux. Dès lors, il devient difficile de catégoriser toutes les techniques utilisées parmi les kimarite conventionnels. En réponse à ces changements, à partir du basho (grand tournoi) de janvier 2001, l’Association japonaise de sumo a adopté 12 nouvelles techniques, portant le total à 82 kimarite officiels.

Ôsakate : saisir le mawashi de l'adversaire par-dessus l'épaule et le projeter en le soulevant. Le sekiwake d'origine estonienne Baruto (à droite) remporte son match contre Kakizoe en utilisant ce kimarite inhabituel, le quatorzième jour du basho de janvier 2010 (Jiji Press).
Ôsakate : saisir le mawashi de l’adversaire par-dessus l’épaule et le projeter en le soulevant. Le lutteur de rang sekiwake d’origine estonienne Baruto (à droite) remporte son match contre Kakizoe en utilisant ce kimarite inhabituel, le quatorzième jour du tournoi de janvier 2010. (Jiji Press)

Tokkuri-nage : le rikishi Abi saisissant la tête et le cou de Satanoumi à deux mains pour le forcer à chuter, le sixième jour du basho de novembre 2021. Le nom de ce kimarite vient de l'utilisation du pouce et de l'index pour saisir le cou, à la façon d'une bouteille de saké tokkuri (Jiji Press).
Tokkuri-nage : le rikishi Abi saisissant la tête et le cou de Satanoumi à deux mains pour le forcer à chuter, le sixième jour du tournoi de novembre 2021. Le nom de ce kimarite vient de l’utilisation du pouce et de l’index pour saisir le cou, à la façon d’une bouteille de saké tokkuri. (Jiji Press)

Les règles du sumo précisent qu’un lutteur perd lorsqu’une partie de son corps (à l’exception des pieds) touche le sol en terre du dohyô (ring), ou lorsqu’il touche le sol à l’extérieur du ring. Ce dernier est relativement petit, avec un diamètre de seulement 4,55 m. Bien qu’il y ait aujourd’hui 82 kimarite, dans 60 % des cas, un match se conclut par un adversaire poussé hors du ring en utilisant un yorikiri (pousser l’adversaire en tenant son mawashi), oshidashi (pousser l’adversaire sans tenir son mawashi), yoritaoshi (similaire au yorikiri, en le faisant basculer sur le sol) et oshitaoshi (similaire au oshidashi, en le faisant basculer sur le sol). Dans 15 % du temps, des mouvements comme le hatakikomi (frappe vers le bas en se servant de l’élan de l’adversaire) et le tsukiotoshi (poussée vers le bas grâce à un mouvement de torsion du haut du torse) sont utilisés pour faire chuter l’adversaire.

Par conséquent, il est rare de voir les nombreux autres kimarite existants pendant les matchs. Par exemple, des techniques utilisant une chute arrière comme le kakezori (avec crochetage du pied), ou shumokuzori, tasukizori et soto-tasukizori (techniques consistant à soulever l’adversaire sur son dos en attrapant un bras, une jambe, ou les deux), n’ont jamais été utilisés dans un grand tournoi, bien qu’ils figurent depuis 70 ans dans la liste officielle des kimarite.

Images d’archives : des techniques rares et spectaculaires

Pour le public, il est toujours spectaculaire de voir des mouvements rares ou surprenants. Même si de telles techniques ne sont pas utilisées dans les matchs de haut niveau, les fans de sumo éprouvent toujours un frisson de plaisir en assistant à un kimarite d’exception. Voici quelques exemples.

Mitokoro-zeme (triple attaque)

Cette « attaque de trois points » consiste à enrouler sa jambe autour de l’arrière de la jambe de l’adversaire (que ce soit de l’intérieur ou de l’extérieur) tout en saisissant sa cuisse opposée et en poussant sa poitrine de la tête pour le forcer à reculer.

Dans les années 1950, le rikishi de rang jûryô Nachinoyama a remporté quatre matchs en utilisant cette technique. Pendant près de quarante ans, personne n’a osé la retenter, mais Mainoumi (qui a atteint le rang de komusubi), un lutteur de petit gabarit connu pour son vaste répertoire de techniques surprises, l’a remis sur le devant de la scène dans les années 1990.

Le onzième jour du basho de novembre 1991, Mainoumi combattait pour la première fois Akebono, à ce moment-là le plus fort des yokozuna (le rang ultime du sumo). Le géant d’origine hawaïenne mesurait 33 centimètres de plus et pesait 100 kilos de plus que lui. L’excitation dans l’air était palpable avant même le début du match et Mainoumi a répondu à l’attente du public avec une performance mémorable : après une feinte éclair vers le haut, il plonge dans la poitrine d’Akebono pour le terrasser quelques secondes plus tard grâce à la triple attaque mitokoro-zeme.

Ci-dessous, une autre prouesse du lutteur Mainoumi.

Le lutteur de petit gabarit Mainoumi (172 cm et 96 kg), terrassant le géant Kotofuji (192 cm, 146 kg) avec un mitokoro-zeme au basho de septembre 1992. Aucun lutteur n'avait utilisé un tel kimarite en division makuuchi depuis le basho de mai 1955, le premier tournoi où les kimarite ont commencé à être annoncés (avec l'aimable autorisation du journal Ôzumô).
Le lutteur de petit gabarit Mainoumi (172 cm et 96 kg), terrassant le géant Kotofuji (192 cm, 146 kg) avec un mitokoro-zeme au tournoi de septembre 1992. Aucun lutteur n’avait utilisé un tel kimarite en division makuuchi depuis le tournoi de mai 1955, le premier tournoi où les kimarite ont commencé à être annoncés. (Avec l’aimable autorisation du journal Ôzumô)

Sotomusô

Uchimusô, un kimarite consistant à saisir et soulever l’intérieur de la cuisse, est utilisé dans pratiquement tous les tournois, mais le sotomusô est assez rare. Dans cette variation, l’attaquant agrippe la cuisse opposée et tire le bras de l’adversaire en le tordant vers le bas. Le risque est que l’adversaire s’écrase de tout son poids sur l’attaquant, mais lorsque la technique est brillamment exécutée, l’adversaire est forcé de pivoter et de tomber sur le dos.

Depuis la création de la liste officielle des kimarite, seuls 12 matchs de la division makuuchi ont été remportés avec un sotomusô. Futagodake (ayant atteint le rang komusubi) a remporté cinq matchs grâce à cette technique à la fin des années 1960, et Kyokushûzan (également komusubi) l’a utilisée trois fois à la fin des années 1990. À eux deux, ils ont pratiquement le monopole de ce kimarite.

Le dixième jour du basho de novembre 1968, Futagodake (à gauche) remporte la victoire contre Uminoyama grâce à un sotomusô. Futagodake maîtrisait également la variante uchimusô (avec l'aimable autorisation du journal Ôzumô).
Le dixième jour du tournoi de novembre 1968, Futagodake (à gauche) remporte la victoire contre Uminoyama grâce à un sotomusô. Futagodake maîtrisait également la variante uchimusô. (Avec l’aimable autorisation du journal Ôzumô)

Yaguranage

Il s’agit d’une technique spectaculaire consistant à attraper le mawashi de son adversaire et à placer une jambe à l’intérieur de ses cuisses pour le soulever et le projeter sur le côté.

Au basho de mars 1972, Kotozakura (à droite) exécute un yaguranage, envoyant son adversaire Takanohana dans le public (avec l'aimable autorisation du journal Ôzumô).
Au tournoi de mars 1972, Kotozakura (à droite) exécute un yaguranage, envoyant son adversaire Takanohana dans le public. (Avec l’aimable autorisation du journal Ôzumô)

Le yaguranage nécessite une force phénoménale dans les jambes. Depuis qu’Aobayama l’a utilisé lors du neuvième jour du tournoi de novembre 1975, ce kimarite n’a pas été utilisé pendant des décennies, en partie à cause du manque d’entraînement du bas du corps des lutteurs et aussi parce qu’ils sont beaucoup plus lourds de nos jours. Mais 34 ans plus tard, le yokozuna Asashôryû a ressuscité la technique face au ôzeki Harumafuji lors du treizième jour du tournoi de juillet 2009.

Au basho de juillet 2009, Asashôryû (à gauche), d'origine mongole, soulevant Harumafuji sur sa jambe et exécutant un yaguranage en le projetant à sa gauche. Interviewé après le match, Asashôryû a déclaré que la technique était aussi utilisée dans la lutte mongole et qu'il prévoyait depuis un certain temps de l'utiliser (Jiji Press).
Au tournoi de juillet 2009, Asashôryû (à gauche), d’origine mongole, soulevant Harumafuji sur sa jambe et exécutant un yaguranage en le projetant à sa gauche. Interviewé après le match, Asashôryû a déclaré que la technique était aussi utilisée dans la lutte mongole et qu’il prévoyait depuis un certain temps de l’utiliser. (Jiji Press)

(Photo de titre : Mainoumi face à Akebono, le onzième jour du tournoi de novembre 1991, Jiji Press)

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