
Le manga et l'anime deviennent des marques
Mizuno Hideko, pionnière du manga pour filles : une « hérétique » se confie
Personnages Culture Manga/BD- English
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Le choc de « l’Université du manga » de Tezuka Osamu
Mizuno Hideko est née à Shimonoseki, port de pêche et de commerce du sud-ouest du Japon. Son père, qui se trouvait en Mandchourie pendant la guerre, disparut dans le chaos de l’après-guerre et Mizuno grandit avec sa famille maternelle. Sa mère mourut d’ailleurs très jeune, et sa grand-mère et son oncle furent sa vraie famille. Une librairie de prêt se trouvait à proximité de la maison et dès son plus jeune âge, elle dévora la collection de littérature mondiale pour les garçons et les filles. « Mon oncle était un fan de cinéma et m’emmenait voir des westerns et des films de Tarzan », raconte-t-elle aussi.
À l’époque, le marché du manga était dominé par les nouveautés publiées sous forme de livres à emprunter, et les magazines de manga shônen connaissaient leur apogée. Par exemple, c’est l’époque de Shônen Kenya (« Le jeune Kenya ») et de Sabaku no Maô (« Le Roi des Démons du désert »), des récits de marine de guerre et des westerns. Hideko a 11 ans quand elle découvre Manga Daigaku (« L’Université du manga ») de Tezuka Osamu (considéré comme le père du manga, et auteur d’Astro Boy ou de Black Jack). Cette lecture s’avérera décisive. Le livre, publié pour la première fois en 1950 (et qui connut plusieurs révisions jusque dans les années 1970), était une sorte de manuel pour dessiner des mangas, et contenait plusieurs histoires courtes.
« J’ai été frappée par la profondeur du message et la pertinence humaniste, très éloignée du manichéisme du Bien et du mal. Il trouve son inspiration dans tous les gens, westerns, romans policiers, contes de fées ou science-fiction, celle-ci se terminant systématiquement par un message pour l’avenir. À l’époque, personne n’avait osé décrire de tels principes dans un ouvrage pour la jeunesse. »
Dès son enfance, Mizuno adorait dessiner et inventer des histoires. C’est donc sans hésitation qu’elle décida de devenir mangaka.
« Je me suis exercée au dessin au crayon pendant mes deux dernières années d’école primaire. Puis, dès que je suis entrée au collège, j’ai commencé à soumettre mes dessins à Manga Shônen, le seul magazine à l’époque qui acceptait les soumissions d’amateurs. Le maître Tezuka en personne jugeait les envois. Plusieurs de mes dessins ont été publiés, mais je n’obtenais que des mentions honorables. »
Son entrée dans la légendaire villa Tokiwa à 18 ans
Ses débuts professionnels furent le fruit d’une heureuse coïncidence. Maruyama Akira, éditeur en charge de l’histoire Prince Saphir de Tezuka, qui était publié en ce temps-là en épisode dans le mensuel Shôjo Club, était tombé par hasard sur un manuscrit de Mizuno en allant chercher un nouvel épisode chez Tezuka.
« J’ignore comment mon manuscrit avait abouti sur le bureau de Tezuka. Mais il paraît que Tezuka a dit à l’éditeur qu’il trouvait ça bien et lui a recommandé de me former au métier. »
Dès qu’elle a terminé le collège, Maruyama lui écrivit pour lui demander de dessiner une histoire courte, et lui mit rapidement le pied à l’étrier de premières commandes professionnelles. Pendant un certain temps, Mizuno mena de front une carrière de mangaka débutante et un travail de salariée dans une entreprise locale de filets de pêche. Sa première série longue durée était un « western » qui racontait l’amitié entre deux filles et un cheval.
À l’âge de 18 ans, en mars 1958, Mizuno monte à Tokyo et s’installe à la villa Tokiwa, la célèbre résidence locative où la plupart des grands maîtres historiques du manga autour de Tezuka ont vécu et travaillé ensemble. Elle y restera sept mois. (Voir notre article : Immersion dans la villa Tokiwa, la mythique demeure des grands noms du manga)
L’œuvre principale qu’elle réalisera pendant cette période est une collaboration expérimentale avec Ishinomori Shôtarô et Akatsuka Fujio, sous le pseudonyme commun de U.MIA (prononcer « umaï-ya »), MIA étant les initiales de Mizuno-Ishinomori-Akatsuka. Ishinomori élaborait le scénario, Mizuno créait et mettait en scène les personnages féminin et masculins, et Akatsuka assurait la cohérence de l’ensemble.
« Mon troisième jour à Tokyo, Ishinomori nous a invité à Ginza pour voir le film Les Dix Commandements. C’est devenu une habitude : dès que nous avions un peu de temps, nous allions tous les trois au cinéma. »
La chambre de Mizuno Hideko reconstituée à la villa Tokiwa (photo de Nippon.com).
« Ishinomori était un mélomane. Il collectionnait des disques de tous les genres : classique, pop, jazz, musiques de films. Moi aussi, j’aimais la musique classique, grâce aux émissions de radio de la NHK, et sa collection m’intéressait beaucoup. Nous dessinions tous les trois, dans la chambre d’Ishinomori, entourés de montagnes de livres et de disques. »
Le manga de type shôjo est né à la villa Tokiwa.
« À l’époque, la presse pour les garçons était encore pour l’essentiel constituée de textes illustrés, il n’existait pas encore de vrai magazine de manga shônen. Quant aux magazines shôjo, c’était encore un concept en cours de développement, on manquait de dessinatrices. C’est pourquoi Ishinomori, Akatsuka et les autres jeunes dessinateurs de la villa Tokiwa dessinaient aussi du shôjo manga. Nous étions tous adoubés par Tezuka, nous avons acquis de l’expérience sous une forme ou sous une autre. Par la suite, c’est cette expérience dans le shôjo manga qui a fait évolué le shônen du simple récit d’aventures vers des publications au contenu plus complexe. »
La première romance et la première épopée historique shôjo
En 1960, elle brise le tabou des magazines pour filles en racontant une histoire d’amour très audacieuse avec Hoshi no tategoto, une histoire librement inspirée du mythe des Walkyries de l’opéra de Wagner.
Hoshi no tategoto (gauche) et Shiroi Troika
« Les écoles étaient mixtes, et pourtant les garçons et les filles ne jouaient pas ensemble, alors même que nous nous intéressions surtout à ce que faisait l’autre groupe. Et les mariages étaient arrangés, pas des mariages d’amour. Et puisque les grandes œuvres de la littérature mondiale ou du cinéma décrivaient de magnifiques romances, je me suis dit qu’il devait être possible de traiter ce thème également en bande dessinée. »
Ensuite, Shiroi Troika (« La Troïka blanche »), publiée en épisodes dans le magazine Weekly Margaret en 1964-65, fut la première romance historique shôjo sur la toile de fond de la révolution russe.
« J’ai toujours aimé la mythologie et le folklore, au moins depuis le collège, et j’étais fascinée par l’histoire épique et la musique de l’Anneau des Nibelungen, l’opéra de Wagner. J’avais aussi une fascination pour la Russie. J’avais lu les grands romans de la littérature russe que possédait mon frère, et je voyais des films russes. Même à part cela, je voulais surtout dessiner des œuvres comme celles de Tezuka, dans des genres très différents de l’un à l’autre et des histoires qui n’avaient pas peur de voir grand. »
Les sources créatives de Mizuno sont là : les œuvres de Tezuka, la littérature, la musique, le cinéma.
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