La bibliothèque Murakami Haruki : un lieu d’exploration de ses propres histoires

Livre

Murakami Haruki, l’auteur japonais le plus lu actuellement dans le monde, possède une bibliothèque en son nom, ouverte en octobre 2021 au sein du campus de l’Université Waseda, à Tokyo, où il y avait fait ses études. L’espace, conçu par l’architecte Kuma Kengo, comprend non seulement les archives littéraires de l’écrivain (environ 3 000), dont ses ouvrages traduits en plus de 50 langues, essais et interviews le concernant, mais également sa collection de disques. C’est Robert Campbell, éminent spécialiste de littérature japonaise, qui a été nommé conseiller bibliothécaire de l’établissement. Il nous a parlé de l’attrait international de Murakami et du potentiel indéniable de la lecture.

Robert Campbell Robert CAMPBELL

Professeur de l’Université de Tokyo. Né en 1957 à New York aux Etats-Unis. Diplômé du Collège de Berkeley de l’Université de Californie, suit les cours de doctorat du Département des Langues et Cultures de l’Asie Orientale de l’Université de Harvard. Docteur en littérature (spécialisation en littérature japonaise). Chargé de cours à l’Université de Kyûshû, puis professeur adjoint à l’Institut National de Littérature Japonaise avant d’être nommé à son poste actuel. Apparaît dans de nombreuses émissions télévisées. Parmi ses ouvrages : “Recueil de romans en chinois de l’ère Meiji” (écrit en collaboration, Editions Iwanami Shoten, 2005) ; “Les voix d’Edo – L’univers musical et théâtral vu par la collection Kuroki Bunko” (Compilation, Musée de Komaba, 2006) ; “Littérature J – Rencontre en anglais, 50 oeuvres célèbres à apprécier en japonais” (Presses de l’Université de Tokyo, 2010).

L’attrait de Murakami à l’international

La bibliothèque comprend des œuvres de Murakami traduites en plus de 50 langues. Que pense Robert Campbell des écrits de l’écrivain ?

Un salon expose les ouvrages de Murakami en japonais et dans une multitude d’autres langues.
Un salon expose les ouvrages de Murakami en japonais et dans une multitude d’autres langues.

« Les œuvres de Kawabata Yasunari et Tanizaki Jun’ichirô, entre autres, ont été découvertes à l’étranger par le biais de l’orientalisme. Par exemple, La Danseuse d’Izu, Pays de Neige et Le Grondement de la Montagne, de Kawabata, tournent autour des observations japonaises sur la vie et la mort, et le monde naturel. Il me semble que Murakami Haruki est passé outre tout ces thèmes pour écrire à partir d’une perspective différente. »

La première rencontre de Robert Campbell avec Murakami Haruki est survenue vers la fin des années 80, lorsqu’il a lu la version originale en japonais de La Ballade de l’Impossible.

« Feuilleter le livre revenait à ressusciter plein d’images du Japon de l’ère Shôwa (1926-1989), mais ce n’était pas le thème central de l'œuvre. Chaque lecteur, au Japon ou ailleurs, pouvait en faire son propre récit et le lire en partant de sa propre perspective. »

« Il y a aussi le contexte historique. À l’époque où la notoriété de Murakami devenait internationale, des mouvements pour la démocratie survenaient partout dans le monde. En Corée par exemple, beaucoup ont perdu la vie pendant les grandes révoltes d’étudiants. Toute une génération secouée par des déchirures dans une époque troublée cherchait à bâtir une société civile ancrée dans des valeurs nouvelles, et c’est pendant cette période que les œuvres de Murakami ont connu un énorme succès parmi les jeunes. Et même en Chine qui commençait à s’ouvrir vers la fin des années 80, et en Europe de l’Est, pendant les révolutions qui ont mené à la démocratie suite à la chute de l’URSS, les jeunes étaient frappés par les fictions de Murakami.

« Sa fiction n’est pas particulièrement politique, et elle ne tourne pas autour de la violence, des conflits, ou des disparités. Je pense néanmoins que les lecteurs ont apprécié sa façon de mettre en évidence les contradictions et la duplicité de la société créées par les générations précédentes, et sa représentation du ressentiment d’impuissance des jeunes.

Depuis les années 90, on trouve les œuvres de Murakami dans les librairies des aéroports partout dans le monde, mais ceux-ci ne sont pas classées en tant que littérature japonaise. Murakami est le premier auteur japonais à aller au delà d’une simple qualité nationale. Ceci le rend exceptionnel dans le cercle de la littérature mondiale. »

Et nous voici actuellement de plus en plus piégés par la pandémie de Covid-19 et la segmentation de la société. Comment la littérature pourra-t-elle nous apporter un rayon de soleil ? Tout indique que Murakami Haruki voudra prendre part à cette quête en jouant un rôle concret dans cette bibliothèque à son nom.

Un espace agencé comme un café littéraire

La bibliothèque se situe dans un bâtiment de l’Université Waseda abritant autrefois des amphithéâtres et dont la reconversion a été confiée à l’architecte japonais de renommée mondiale Kuma Kengo, à l’origine du bâtiment du Musée d’art Suntory à Tokyo, du Fonds régional d’art contemporain (FRAC) de Marseille ou plus récemment du Stade olympique des Jeux de Tokyo-2020.

En plus de la pléiade d’ouvrages de l’auteur disponibles en plus de 50 langues, la bibliothèque contient notamment une réplique du bureau de l’écrivain et un studio de radio. Un café tenu de A à Z par quelques étudiants de l’université propose, entre autres boissons, des petits plats comme le « curry Murakami ».

Maison internationale de la littérature de l’Université Waseda

Quelques-uns de nos articles sur Murakami Haruki :

(Reportage et texte d’Itakura Kimie, de Nippon.com. Toutes les photos sont de Hanai Tomoko. Photo de titre : Robert Campbell assis sur les marches entre le sous-sol et le rez-de-chaussée de la maison internationale de la littérature de l’Université Waseda, ou « Bibliothèque Murakami Haruki ». Cette architecture en forme de tunnel a été imaginée par l’architecte Kuma Kengo comme une sorte de passage entre le monde réel et un autre univers.)

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