
La bibliothèque Murakami Haruki : un lieu d’exploration de ses propres histoires
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« Explorez vos propres histoires, parlez avec le fond de votre cœur », telle est sa devise
La Bibliothèque Murakami Haruki, officiellement dénommée « Maison internationale de la littérature de l’Université Waseda », a ouvert ses portes le 1er octobre 2021. Bien qu’étant plutôt expert dans la littérature de l’époque d’Edo (1603-1868) et de l’ère Meiji (1868-1912), c’est le professeur Robert Campbell, également figure bien connue de la télévision japonaise, qui a été nommé conseiller bibliothécaire.
« Je ne suis pas expert sur l’œuvre de Murakami », nous dit-il d’emblée. Mais c’est justement ce qui lui a donné une certaine liberté pour réfléchir au développement de cette bibliothèque qui suscite l’intérêt de la presse. « Mon approche est assez ludique et expérimentale. »
Au départ toutefois, il appréhendait beaucoup : « Le Japon est rempli de bibliothèques nommées d’après des auteurs décédés. Mais Murakami Haruki est bel et bien en vie, et continue même à écrire. Je ne savais trop, au début, à quel point il voudrait s’impliquer dans la création d’un tel édifice. »
La devise de Murakami, inscrite sur un mur à l’entrée de la bilbiothèque s’exprime par la phrase « Explorez vos propres histoires, parlez avec le fond de votre cœur » (Explore Your Stories, Speak Your Heart). Il ne voulait pas que le lieu se limite a l’éloge des ses propres œuvres, mais qu’il devienne un espace pour élaborer des récits personnels.
« Murakami a offert et prêté à la bibliothèque une collection précieuse de plus de 10 000 disques 33 tours, ainsi que des manuscrits, des photos, et des coupures qui illustrent la façon dont il a construit sa vie d’écrivain sur 40 ans. Mais ceci n’était qu’un début. En plus des chercheurs et étudiants, il voudrait que toutes sortes de personnes venant du Japon et du monde entier, y compris des compositeurs, des lecteurs et des musiciens, puissent s’y rencontrer et créer des synergies à partir de leurs échanges. C’est très important de construire un lieu où les gens peuvent communiquer et faire écho plutôt que simplement faire de la diffusion d’informations en sens unique. »
L'œuvre de Murakami est comme « un fruit bien mûr »
Le professeur Campbell utilise une métaphore originale pour décrire Murakami.
« Pour moi, cet auteur est comme un fruit tombé de la vigne sur le sol fertile de la littérature et de la culture linguistique japonaise. Toutes sortes de micro-organismes se sont accrochés à sa peau pour créer de nouvelles bactéries indigènes. Ses œuvres ont été lues à travers les générations, et traduites en plus de 50 langues. Elles sont interprétées d’une multitude de façons à des moments différents, dans des endroits et pays différents. En fait, c’est un fruit bien mûr, âgé de 40 ans, qui a fermenté et créé de nouveaux éléments, et qui, dans un monde idéal, pourrait déclencher quelque chose de neuf. »
Pour l’inauguration de la bibliothèque, Robert Campbell a mis en place une série d’évènements intitulée « Les Auteurs vivants ! ». Dans l’une de ces rencontres, Murakami a lu l’une de ses œuvres, accompagné par la guitariste classique Muraji Kaori. Une autre fois, l’auteure Kawakami Hiromi et Robert Campbell ont récité le même texte, en japonais et en anglais, et puis discuté de fiction et traduction. Un atelier animé par le poète Itô Hiromi a proposé aux participants de compléter des citations de l’œuvre de Murakami pour créer des poèmes en vers liés. Murakami en personne a participé à des évènements cherchant à promouvoir des découvertes littéraires et artistiques. Des lectures de Murata Sayaka et Asai Ryô ont aussi eu lieu fin 2021.
« Je voudrais me baser sur ces expériences à petite échelle pour créer une nouvelle voie vers la connaissance. Nous publions des extraits qui sont diffusés sur Tokyo FM, l’un de nos collaborateurs, et qui sont aussi disponibles en streaming. Plutôt que de disparaître dans des archives, je voudrais qu’ils servent d’étincelles pour déclencher quelques petites explosions. »
Rapprocher les gens grâce à la lecture
Justement, dans sa quête de nouvelles étincelles, le professeur Campbell pourrait puiser dans son propre vécu. Après le Grand tremblement de terre de l’Est du Japon du 11 mars 2011, il a organisé des groupes de lecture aux sources thermales de Naruko, dans la préfecture de Miyagi, où beaucoup de personnes déplacées s’étaient réfugiées. Leurs réactions l’ont profondément marqué.
« Dans des situations d’urgence, les priorités absolues sont de se nourrir et de rester au chaud. Mais pour ceux qui avaient l’habitude de lire depuis toujours, c’était difficile d’en être privé. Les participants lisaient les mêmes nouvelles, en discutaient, et puis les relisaient à haute voix à tour de rôle. J’ai remarqué que certains textes aidaient des étrangers à se connaître et à se sentir à l’aise. »
La lecture ne se limite pas à n’être qu’une activité individuelle.
« Je voudrais qu’au sein de cette bibliothèque également, la lecture devienne un moyen d’interaction entre les gens, et provoque des transformations personnelles. »
Robert Campbell dit que ses romans préférés de Murakami sont Kafka sur le rivage et Le meurtre du commandeur.
Directeur général de l’Institut national de littérature japonaise (INLJ) pendant quatre ans, Robert Campbell a travaillé à y dynamiser les ressources plutôt que de les archiver, les partageant avec de nombreux lecteurs. Aujourd’hui, il voudrait aussi s’appuyer sur cette expérience.
« Durant la pandémie l’année dernière, je me suis demandé si la perspective du Japon au regard d’une maladie infectieuse serait influencée par son vécu historique. Depuis toujours, la maladie a servi de base à l’art et la littérature, et a même stimulé la créativité. Par exemple, la perte d’un proche est en arrière-plan du journal d’Izumi Shikibu et du Journal de Sarashina, datant de l’époque de Heian (794-1185). J’ai utilisé des ressources importantes de l’INLJ pour concevoir la vidéo Japanese Classics in a Time of Contagion (« Les classiques japonais en période d’épidémie ») en japonais et en anglais. Cela a provoqué une forte réaction, surtout à l’étranger, et certains enseignants ont voulu s’en servir pour leurs cours. Par la suite, j’ai édité un livre sur ce sujet dans lequel plusieurs chercheurs ont mis en évidence de nouvelles facettes de l’histoire littéraire en écrivant sur le thème de la maladie, allant de l’ancien recueil de poèmes du Manyôshu aux œuvres de Natsume Sôseki. »
« Pour promouvoir davantage les charmes de la bibliothèque, je voudrais mettre à profit le réseau de contacts que j’ai créé pendant les années où j’ai fait de la recherche sur la littérature classique. Je pense qu’il est aussi important d’élargir l’offre multilingue dans beaucoup de domaines. »