Lieux sacrés du Japon

« Sokushinbutsu » : ascèse extrême et momification pour atteindre le Nirvana

Histoire Région

Le terme sokushinbutsu désigne la momification d’un moine à travers une pratique ascétique extrêmement rigoureuse jusqu’à sa mort. Dix-huit momies existent à travers le Japon, dont huit dans la seule préfecture de Yamagata. Explorons le mystère de ces momies japonaises, où de nombreuses questions restent sans réponses encore aujourd’hui.

Entre légendes et faits historiques, où est la vérité ?

Le sokushinbutsu le plus célèbre du mont Yudono est Tetsumonkai, dont le corps est préservé dans le temple Chûren-ji de la ville de Tsuruoka (préfecture de Yamagata). Turbulent au cours de sa jeunesse, il tue deux samouraïs dans une rixe et s’enfuit dans le temple Chûren-ji, se dévouant au bouddhisme. Il se consacre à des projets sociaux comme la construction de routes et la création de nouvelles rizières, ce qui lui permet d’obtenir le soutien et la reconnaissance de la population locale. On saura grâce à des documents découverts bien plus tard qu’il a mené des activités de mission dans la majeure partie du Tôhoku, comme à Murakami (préfecture de Niigata), Morioka (Iwate) et même en Hokkaidô, rassemblant autour de lui de nombreux nouveaux croyants.

Portrait de Tetsumonkai Shônin au temple Chûren-ji (photo de Sugihara Takeo).
Portrait de Tetsumonkai Shônin au temple Chûren-ji (photo de Sugihara Takeo).

Pavillon principal du temple Chûren-ji (photo : DEGAM Tsuruoka Tourism Bureau)
Pavillon principal du temple Chûren-ji (photo : DEGAM Tsuruoka Tourism Bureau)

On trouve dans de nombreux endroits de la préfecture de Yamagata des stèles à la mémoire des isse gyônin, mais il est intéressant de noter que la plupart d’entre elles ont été érigées alors qu’ils étaient encore en vie. Ce qui laisse entendre que ce n’était probablement pas leur mort et la transformation en sokushinbutsu qui inspirait l’admiration des croyants, mais surtout leur vie, dévouée aux ascèses.

Il ne subsiste toutefois que peu de documents historiques à leur sujet, du fait des incendies qui ont ravagé les temples Chûren-ji et Kaikô-ji et du tremblement de terre qui a endommagé celui de Dainichibô au milieu de l’ère Meiji (1868-1912). Cela complique les efforts pour combler l’écart entre légende et faits historiques : l’enjeu pour les recherches scientifiques est de clarifier, tout en respectant les traditions, le rôle joué par les isse gyônin en tant que personnes religieuses, à partir d’archives existantes et des informations gravées sur les monuments en pierre.

Une notoriété venue après une forte répression

Un des sokushinbutsu les plus célèbres à l’époque d’Edo était Kôchi Hôin (consacré en 1363), conservé au temple Saishô-ji dans la préfecture de Niigata. De nombreux voyageurs qui ont visité cette région ont noté par écrit leurs impressions. Parmi eux figure le célèbre poète Matsuo Bashô (1644-1694), qui relate dans son carnet de voyage La Sente étroite du Bout-du-Monde qu’il a pu contempler le sokushinbutsu au cours de ses périples dans le nord du Japon.

En revanche, il n’existe que très peu de références aux sokushinbutsu des trois montagnes sacrées de Dewa, malgré le fait qu’il existe de nombreuses traces écrites de voyageurs ayant parcouru cette région. Masumi Sugae, figure de l’époque d’Edo connu pour ses pérégrinations et les écrits qu’il en a laissés, relate une rumeur selon laquelle la réputation du Honmyôkai du temple Honmyô-ji était loin d’être à la hauteur de celle du Kôchi Hôin.

Salle du sokushinbutsu du temple Honmyô-ji (photo de l’auteur)
Salle du sokushinbutsu du temple Honmyô-ji (photo de l’auteur)

Il semblerait que les sokushinbutsu du mont Yudono soient devenus célèbres après la promulgation du shinbutsu bunri (séparation du shintoïsme et du bouddhisme), causant une répression du bouddhisme au Japon. Au mont Haguro, cette politique a forcé la plupart des temples bouddhistes à se tourner vers le shintoïsme. Le gouvernement Meiji, s’opposant à la politique religieuse du shogunat Tokugawa, qui était bouddhique, a fait du shintoïsme la religion nationale, forçant de nombreux temples dédiés aux montagnes, qui pratiquaient le shinbutsu shûgô (syncrétisme du bouddhisme et du shintoïsme) à pratiquer exclusivement le shintoïsme.

En plus de cela, selon le droit pénal nouvellement instauré par le gouvernement Meiji, le fait d’enterrer vivant les isse gyônin était vu comme une aide au suicide. L’acte de sortir la dépouille trois ans et trois mois plus tard de son cercueil était légalement considéré comme profanation de sépulture et atteinte à l’intégrité du cadavre. Dès lors, devenir sokushinbutsu était devenu impossible.

Les quatre temples de la secte Shingon, qui considéraient le rocher de source chaude du mont Yudono comme un shintai, ont tenté de défendre la pratique du bouddhisme sur le mont Yudono, mais leur revendication a été ignorée par les autorités. Cependant, les temples Chûren-ji et Dainichibô, qui ont tous deux conservé leurs sokushinbutsu, sont restés fidèles à l’école Shingon, mais ont dû renoncer à leurs droits de culte sur le mont Yudono en contrepartie.

Lors des pèlerinages aux trois monts Dewa à l’époque d’Edo, les pèlerins devaient payer un droit d’entrée aux temples situés au pied des montagnes. Privés de leurs droits de culte, les temples Chûren-ji et Dainichibô ont par conséquent perdu une importante source de revenus. C’est peut-être pour cette raison que les deux temples ont cherché une source financière dans leurs sokushinbutsu : les momies ont été hissées à la catégorie de honzon (principale divinité), devenant le principal outil des activités de prosélytisme, et des amulettes à leur effigie ont été fabriquées et distribuées aux visiteurs.

Shinnyokai du temple Dainichibô (photo : DEGAM Tsuruoka Tourism Bureau)
Shinnyokai du temple Dainichibô (photo : DEGAM Tsuruoka Tourism Bureau)

Le temple Dainichibô (photo : PIXTA)
Le temple Dainichibô (photo : Pixta)

Une reconnaissance officielle difficile

Comme les sokushinbutsu sont des corps humains et non pas des statues de Bouddha, ils ne peuvent pas être reconnus comme patrimoine culturel. Par conséquent, les temples ne peuvent pas obtenir de subventions nationales ou régionales, rendant les frais d’entretien très lourds à supporter. Par ailleurs, ce sont des hibutsu (bouddhas secrets) : les événements tels que le changement de vêtements des sokushinbutsu, qui ont lieu une fois tous les six ou douze ans, ne sont pas ouverts au public. Il est donc difficile de leur attribuer le statut de bien culturel immatériel.

Néanmoins, les sokushinbutsu ont une valeur culturelle indéniable : les visiteurs qui ont l’occasion de les observer dans les temples sont profondément émus lorsqu’ils découvrent combien ils étaient dévoués à leurs ascèses et le rôle important qu’ils ont joué en tant que personnes religieuses. Afin de conserver les sokushinbutsu et de transmettre leur histoire aux générations futures, il est important de sensibiliser le public à leur importance culturelle et de faciliter l’accès aux temples. Comme ils sont souvent éloignés des villes, il serait souhaitable de mettre en place un soutien gouvernemental afin d’organiser des visites guidées en car ou en taxi.

Rituel de changement des vêtements du Shinnyokai à Dainichibô, qui a lieu une fois tous les 12 ans. Les anciens habits sont découpés en petits morceaux, puis disposés dans des amulettes qui sont distribuées aux visiteurs (photo : DEGAM Tsuruoka Tourism Bureau).
Rituel de changement des vêtements du Shinnyokai à Dainichibô, qui a lieu une fois tous les 12 ans. Les anciens habits sont découpés en petits morceaux, puis disposés dans des amulettes qui sont distribuées aux visiteurs. (Photo : DEGAM Tsuruoka Tourism Bureau)

(Photo de titre : le sokushinbutsu Shinnyokai Shônin du temple Dainichibô. ©️ Dainichibô)

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