Lieux sacrés du Japon

« Sokushinbutsu » : ascèse extrême et momification pour atteindre le Nirvana

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Iwahana Michiaki [Profil]

Le terme sokushinbutsu désigne la momification d’un moine à travers une pratique ascétique extrêmement rigoureuse jusqu’à sa mort. Dix-huit momies existent à travers le Japon, dont huit dans la seule préfecture de Yamagata. Explorons le mystère de ces momies japonaises, où de nombreuses questions restent sans réponses encore aujourd’hui.

Le sokushinbutsu et le culte du mont Yudono

Le terme de sokushinbutsu (即身仏) désigne littéralement le corps d’un moine qui est « devenu un bouddha de son vivant ». Le culte de ces cadavres momifiés, adorés comme des bouddhas, existe depuis le milieu du XIVe siècle. On dénombre aujourd’hui 18 sokushinbutsu conservés dans diverses régions du Japon.

Kôbô Daishi Kûkai (774-835), le fondateur de l’école bouddhiste Shingon, est un célèbre exemple de sokushinbutsu. Dans son mausolée, situé dans le okuno-in (temple reculé) du monastère du mont Kôya, les moines viennent lui servir des repas quotidiennement, considérant qu’il est encore vivant.

En raison de ce contexte historique, la plupart des sokushinbutsu sont conservés dans des temples bouddhistes de l’école Shingon. Parmi eux, huit sont conservés dans la préfecture de Yamagata : six dans la région de Shônai, au pied des trois monts de Dewa (Gassan, Yudono et Haguro), et deux dans la région d’Okitama. Le fait que l’idéogramme 海 (kai) soit inclus dans le nom des sokushinbutsu est probablement dû au nom de Kûkai (空海). Il existe quatre autres momies dans la préfecture voisine de Niigata. Les préfectures de Fukushima, Ibaraki, Kanagawa, Nagano, Gifu et Kyoto en possèdent aussi une.

Temples conservant des sokushinbutsu dans la préfecture de Yamagata

Région de Shônai

Temple Nom du sokushinbutsu Année de consécration
Kaikô-ji Chûkai Shônin* 1755
Enmyôkai Shônin 1822
Nangaku-ji Tetsuryûkai Shônin 1881
Honmyô-ji Honmyôkai Shônin 1683
Chûren-ji Tetsumonkai Shônin 1829
Dainichibô Shinnyokai Shônin 1783

Région d’Okitama

Temple Nom du sokushinbutsu Année de consécration
Zôkô-in Kômyôkai Shônin 1854
Myôju-in Myôkai Shônin 1863

*Shônin : saint bouddhiste

Pendant l’époque d’Edo, les temples de Yamagata étaient d’importants lieux de culte du mont Yudono. Le shintai (objet qui abrite une divinité) du mont Yudono n’est pas la montagne elle-même, mais le rocher d’où jaillissent des onsen, les sources chaudes. Ce rocher, formé par les minéraux contenus dans l’eau, est appelé « dôme thermal » en raison de sa forme arrondie.

Les moines qui sont passés par ce processus de momification étaient appelés isse gyônin (ascète de toute une vie). Ils étaient des pratiquants de bas rang venus d’autres régions et non pas des villages environnants. La secte Shingon les envoyait au mont Yudono pour qu’ils se développent spirituellement. Ils partaient ensuite en mission dans tout le pays pour concurrencer l’école Tendai, une secte rivale. C’est ce contexte de confrontation qui a influencé la pratique du sokushinbutsu dans la région de Shônai pendant l’époque d’Edo.

Le sokushinbutsu Bukkai Shônin, conservé au temple Kannon-ji dans la ville de Murakami, préfecture de Niigata (photo de l’auteur).
Le sokushinbutsu Bukkai Shônin, conservé au temple Kannon-ji dans la ville de Murakami, préfecture de Niigata (photo de l’auteur).

Le temple Kannon-ji (photo de l’auteur)
Le temple Kannon-ji (photo de l’auteur)

La pagode à cinq étages sur la route qui mène au mont Haguro. C'est la plus ancienne pagode de la région du nord-est du Japon. Elle figure sur la liste des trésors nationaux du pays (photo : PIXTA).
La pagode à cinq étages sur la route qui mène au mont Haguro. C’est la plus ancienne pagode de la région du nord-est du Japon. Elle figure sur la liste des trésors nationaux du pays. (Photo : Pixta)

Momifiés après une ascèse extrême

Trois communautés religieuses étaient actives sur le mont Yudono : les moines de l’école Shingon, les shugenja (pratiquants du shugendô, un courant ascétique du bouddhisme japonais) et les isse gyônin. Les moines avaient leurs disciples pour leur succéder, et les shugenja, qui pouvaient avoir une famille, leur fils. En hiver, les moines devaient s’occuper de leur temple et les shugenja descendaient de la montagne pour leurs activités de mission ; c’est pourquoi ils ne pouvaient pas effectuer les mêmes ascèses extrêmement rigoureuses des isse gyônin. Selon la tradition des temples, ces derniers renonçaient à toutes céréales (riz, blé, etc.), ne mangeant que des plantes sauvages et des racines. Entièrement dévoués à cette vie spirituelle, ils vivaient dans la petite vallée de Senninzawa, un lieu dédié aux ascèses sur le mont Yudono (où se trouve par ailleurs le portique géant de la montagne).

On peut lire sur une stèle à la mémoire des isse gyônin qu’ils passaient 1 000 jours dans la montagne, ce qui veut dire qu’ils poursuivaient leur entraînement autour de Senninzawa même au cours des longs hivers enneigés du nord du Japon. Comme mentionné plus tôt, de nombreux onsen jaillissent du mont Yudono, et il semble qu’ils aient pu survivre au froid glacial grâce à ces sources chaudes.

Selon des archives datant de l’époque d’Edo (1603-1868), des croyants se rendaient dans ce coin reculé pendant l’hiver pour remettre des offrandes aux isse gyônin. Il est dit qu’au terme de leur pratique ascétique extrême, ils entraient vivant dans un cercueil avant d’être enterrés sous terre, une pratique appelée dochû nyûjô. Ils étaient sortis de leur cercueil trois ans et trois mois plus tard, devenant ainsi sokushinbutsu.

Stèle à la mémoire de Tetsumonkai Shônin, qui repose dans le temple Chûren-ji (photo de l’auteur).
Stèle à la mémoire de Tetsumonkai Shônin, qui repose dans le temple Chûren-ji (photo de l’auteur)

Cependant, une enquête de terrain dans les années 1960 menée par la faculté de médecine de l’université de Niigata a révélé que la plupart des corps avaient subi un traitement de déshydratation après leur mort. Dans le climat chaud et humide du Japon, il n’était pas possible d’effectuer une momification naturelle, comme c’était le cas en Égypte. Il fallait donc modifier artificiellement les corps afin de les conserver.

Il faut noter que le dochû nyûjô est une tradition transmise par certains temples bouddhistes et dont l’existence n’a été confirmée dans aucun document écrit de l’époque. Dans de nombreuses régions du Japon, on trouve des lieux où il est dit que des ascètes avaient été enterrés vivants, mais à chaque fois que des fouilles ont été menées, seuls des ossements humains ont été trouvés. On peut en déduire que très peu d’ascètes ont pu recevoir un traitement particulier après leur mort afin de devenir sokushinbutsu.

Suite > Entre légendes et faits historiques, où est la vérité ?

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Iwahana MichiakiArticles de l'auteur

Ethnologue et professeur émérite de l’Université de Yamagata. Né à Osaka en 1953. Titulaire d’une maîtrise de l’école supérieure de lettres de l’Université de Kyoto, spécialité géographie, ainsi qu’un doctorat en lettres, il a enseigné à la faculté d’agriculture de l’Université de Yamagata. Expert en géographie culturelle et en folklore religieux, il s’intéresse en particulier au mont Haguro, une montagne sacrée pour le bouddhisme et le shintoïsme. Il a publié de nombreux ouvrages.

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