Mise au point sur le démantèlement et les radiations : reportage à la centrale de Fukushima Dai-ichi

Environnement Catastrophe

Sumii Kyôsuke [Profil]

Notre visite des réacteurs touchés de la centrale de Fukushima Dai-ichi, bientôt 14 ans après les fusions du cœur et les explosions d’hydrogène qui se sont produites sur le site, montre que des progrès ont été réalisés dans le traitement de l’eau contaminée et le déblaiement des débris radioactifs. Toutefois, les défis à relever restent colossaux.

Évolution de la forme du bâtiment du réacteur

J’ai visité la centrale de Fukushima Dai-ichi fin octobre 2024. Peu après l’accident du 11 mars 2011, je dirigeais une équipe de journalistes japonais venus couvrir la situation sur le site. C’était la première fois que j’y pénétrais sur le site. Fort heureusement, des mesures ont été mises en place pour empêcher la dispersion de matériaux radioactifs. Le bâtiment et certaines parties du lieu sont toujours désignés comme zones rouges ou jaunes, dans lesquelles des masques complets et des vêtements de protection corporelle sont nécessaires en raison des niveaux de radiation élevés. Mais la majeure partie du site est en zone verte, où les vêtements de protection ne sont pas nécessaires. Pour notre reportage, il nous a suffi de porter des casques, des masques ordinaires et des gants de travail.

Des travailleurs de la centrale de Fukushima Dai-ichi portant des vêtements de protection le 21 octobre 2024. De telles mesures restent obligatoires pour entrer dans les zones à radiation élevée.
Des travailleurs de la centrale de Fukushima Dai-ichi portant des vêtements de protection le 21 octobre 2024. De telles mesures restent obligatoires pour entrer dans les zones à radiation élevée.

Selon la Compagnie d’électricité de Tokyo (Tepco), l’exploitant de la centrale, le site avait accueilli 7 594 observateurs externes en 2024 à la fin du mois d’août, hors journalistes. Ce chiffre est en recul par rapport aux 18 516 visiteurs en 2023, mais il reste environ vingt fois plus élevé que les 913 visiteurs de l’exercice 2011 (avril 2011-mars 2012). Et si le nombre de visiteurs a diminué pendant la crise sanitaire, il s’est haussé de nouveau par la suite.

Juste après l’accident, Tepco avait restreint l’accès au site en raison des risques liés aux niveaux élevés de radiation et aux débris, mais aujourd’hui, elle encourage les visites pour mieux informer le public sur les progrès des travaux de démantèlement, y compris la libération de l’eau traitée dans l’océan. Il n’existe aucune statistique officielle sur le nombre de visiteurs issus du monde de la presse, mais un responsable de Tepco nous a indiqué qu’il était en augmentation (y compris pour les journalistes étrangers) .

Depuis une colline avoisinante, nous pouvions observer le site depuis le dessus, et il était aisé de constater que les travaux sur les réacteurs 1 à 4 de la centrale en étaient à des stades différents. L’explosion d’hydrogène du réacteur 1 avait déchiré sa structure en acier : c’est encore là le témoignage le plus clair de la gravité de l’accident. Sa piscine de stockage de combustibles usés contient toujours 392 éléments de combustible nucléaire, mais les débris structurels et la grande grue qui s’y trouvent empêchent encore le nettoyage. La construction de couvertures entourant les bâtiments, afin d’éviter la dispersion de matériaux radioactifs pendant les travaux, est en progression dans d’autres zones.

Un toit en forme de dôme, construit au-dessus de l’unité 3 du réacteur, permet l’enlèvement des combustibles nucléaires usés à la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi.
Un toit en forme de dôme, construit au-dessus de l’Réacteur 3 du réacteur, permet l’enlèvement des combustibles nucléaires usés à la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi.

Le réacteur 2, qui a subi une fusion du cœur mais n’a pas explosé, est entouré d’une structure en acier permettant de faciliter les travaux. L’extérieur du réacteur 3 est coiffé d’un toit en dôme argenté afin de protéger l’équipement utilisé pour le retrait du combustible usagé. 566 éléments ont déjà été retirées. Le réacteur 4, en maintenance au moment de l’accident, n’a pour sa part pas fusionné. Il a toutefois subi une explosion, en raison de l’hydrogène qui s’était échappé des tuyaux du réacteur 3. Il est principalement cachée par des structures construites pour permettre l’enlèvement de ses 1 535 éléments de combustible.

Carte de la centrale de Fukushima Dai-ichi

La radiation s’accumule

Depuis les fenêtres du minibus qui nous transportait autour du vaste site, nous avons vu des réservoirs de stockage remplis d’eau décontaminée, ainsi que des zones encombrées par les déchets. De gigantesques turbines rouillées, autrefois utilisées pour générer de l’électricité, sont ainsi laissées à l’abandon. La plupart des débris ont été retirés, mais les réservoirs d’eau, ainsi que les autres installations qui ont été gravement endommagées par le tsunami, témoignent aujourd’hui encore de la gravité de l’accident. Une partie de la machine à bouclier utilisée pour creuser le tunnel permettant d’acheminer les eaux décontaminées vers l’océan a été conservée en tant que souvenir sur la plateforme d’observation des réacteurs 5 et 6.

Des réservoirs utilisés pour emmagasiner temporairement les eaux traitées à Fukushima Dai-ichi immédiatement après l’accident. Ils ne sont plus nécessaires car des constructions permanentes ont depuis été installées.
Des réservoirs utilisés pour emmagasiner temporairement les eaux traitées à Fukushima Dai-ichi immédiatement après l’accident. Ils ne sont plus nécessaires car des constructions permanentes ont depuis été installées.

Un véhicule utilisé pour refroidir les piscines de combustible usé dans les réacteurs immédiatement après l’accident. Il était surnommé kirin (girafe) et était utilisé pour pulvériser de l’eau en hauteur dans les structures.
Un véhicule utilisé pour refroidir les piscines de combustible usé dans les réacteurs immédiatement après l’accident. Il était surnommé kirin (girafe) et était utilisé pour pulvériser de l’eau en hauteur dans les structures.

Une partie de la machine à bouclier permettant de creuser le tunnel sous-marin utilisé pour acheminer les eaux décontaminées vers l’océan.
Une partie de la machine à bouclier permettant de creuser le tunnel sous-marin utilisé pour acheminer les eaux décontaminées vers l’océan.

Nous sommes descendus du minibus et avons marché depuis le côté mer du réacteur 4 jusqu’au côté terre. J’ai levé les yeux vers les bâtiments et les structures que nous avions vues depuis la côte : de gigantesques conduits d’échappement, ouverts de manière brutale, et particulièrement inesthétiques. Auparavant, ils reliaient les réacteurs 1 à 4 aux tours d’échappement, mais puisqu’ils gênaient les travaux de démantèlement, ils avaient été découpés. Des produits chimiques verts sont encore visibles sur le réacteur 3, là où ils ont été appliqués pour empêcher que les matériaux radioactifs collés à la structure ne s’envolent.

D'énormes conduits d'échappement ont été coupés pour faciliter les travaux de démantèlement. Ils reliaient autrefois les réacteurs 1 à 4 aux tours d’échappement.
D’énormes conduits d’échappement ont été coupés pour faciliter les travaux de démantèlement. Ils reliaient autrefois les réacteurs 1 à 4 aux tours d’échappement.

Les produits chimiques pulvérisés sur le réacteur 3 pour éviter la dispersion des matériaux radioactifs fixés à la structure sont encore visibles.
Les produits chimiques pulvérisés sur le réacteur 3 pour éviter la dispersion des matériaux radioactifs fixés à la structure sont encore visibles.

Au nord du réacteur 3, le niveau de radiation augmente à mesure que nous nous rapprochons du réacteur 2. J’étais quelque peu préoccupé par la lecture de mon dosimètre personnel fixé à ma veste. Le réacteur 2 est en train de subir des travaux afin d’enlever certains débris composés de combustible fondu lors de l’accident mélangé à des matériaux structurels. Les travailleurs près de la zone de livraison sont entièrement couverts de vêtements de protection.

Nous avons ensuite repris la route vers la mer entre les réacteurs 2 et 3. Nos dosimètres d’air atteignaient alors 240 microsieverts par heure. Avant que nous puissions examiner de près les dommages sur le bâtiment, notre guide nous a pressé de continuer. D’après ce dernier, on mesurait ici plus de 300 microsieverts par heure il y a quelques années, et le niveau de radiation reste préoccupant.

Le niveau de radiation a atteint 240 microsieverts par heure entre les réacteurs 2 et 3 le 21 octobre 2024.
Le niveau de radiation a atteint 240 microsieverts par heure entre les réacteurs 2 et 3 le 21 octobre 2024.

Du côté de l’océan, nous avons inspecté le mur de mer long d’un kilomètre, achevé en mars 2024 pour se protéger contre les tsunamis. Cette installation en béton varie de 13,5 mètres à 16 mètres de hauteur. Elle est conçue pour offrir une protection à toute épreuve, y compris contre un tsunami majeur provoqué par un tremblement de terre le long de la fosse du Japon, dont la survenue est considérée comme possible à tout moment. Tepco estime que le mur réduira le risque de pollution environnementale causée par les fuites d’eaux contaminées.

Le mur de mer construit pour la protection contre les tsunamis mesure environ un kilomètre de long.
Le mur de mer construit pour la protection contre les tsunamis mesure environ un kilomètre de long.

Le double défi de l’eau et des débris

Le 7 novembre, Tepco a retiré un débris d’environ cinq millimètres de l’intérieur du récipient de confinement du réacteur 2 à l’aide d’un équipement spécial. Ce succès facilitera les investigations dans le cadre du processus complet de déblaiement. Tepco estime que les réservoirs des réacteurs 1 à 3 contiennent environ 880 tonnes de débris hautement radioactifs, ce qui représente le plus grand défi lié au démantèlement. Selon Kimoto Takahiro, directeur adjoint du Centre de communication pour la décontamination, « nous avons enfin fait un premier pas important dans le processus de démantèlement, plus de treize ans après l’accident. Mais le travail ne fait que commencer. »

Retrait de débris de combustible de l’enceinte de confinement du réacteur 2 à l’aide d’un équipement spécial . L’objet en forme de pince saisit le débris. (Avec l’aimable autorisation de TEPCO, le 30 octobre 2024.)
Retrait de débris de combustible de l’enceinte de confinement du réacteur 2 à l’aide d’un équipement spécial . L’objet en forme de pince saisit le débris. (Avec l’aimable autorisation de Tepco, le 30 octobre 2024.)

Le travail progresse de manière tangible dans tous les domaines, mais il n’y a toujours pas de solution concrète pour gérer l’eau décontaminée, ce qui constitue un obstacle majeur au démantèlement. Environ 60 tonnes d’eau souterraine et de précipitations s’écoulent quotidiennement dans le bâtiment du réacteur. En outre, de l’eau est continuellement utilisée pour refroidir les réacteurs nucléaires, produisant ainsi 80 tonnes d’eau contaminée chaque jour.

Tepco utilise le système avancé de traitement des liquides (ALPS) pour traiter cette eau contaminée, qui est ensuite stockée dans des réservoirs sur site. La compagnie d’électricité a commencé à la déverser dans l’océan Pacifique en août 2023 et l’a fait 10 fois depuis (au 5 novembre 2024), avec un total de 78 285 tonnes d’eau libérées. Les contaminants les plus dangereux ont tous été éliminés, mais l’eau contient encore du tritium, un isotope de l’hydrogène qui se trouve naturellement dans l’eau et qui est difficile à extraire. En conséquence, environ 14,8 trillions de becquerels de tritium ont également été libérés. Tepco surveille toutefois en continu les eaux de l’océan, et affirme qu’aucune anomalie n’a été constatée.

Il est prévu que le processus de déversement de toutes les eaux traitées actuellement stockées prenne 30 ans... Puisqu’il est également difficile d’empêcher la contamination de l’eau qui continue de pénétrer sur le site, cette quantité devrait continuer d’augmenter. À moins que le nombre de réservoirs utilisés pour le traitement et le stockage ne puisse être réduit, l’espace qu’ils occupent ne pourra pas être exploité pour l’installation de constructions nécessaires au déblaiement, ce qui devrait affecter le plan global de démantèlement.

Faire face à l’eau et aux débris constitue un double défi pour les travaux en cours. Kimoto indique que le principal problème reste le volume. « Si nous parvenons à contrôler cette augmentation des eaux contaminées, nous pourrons fixer un objectif clair pour le démantèlement. »

Vue de l’océan Pacifique depuis la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi. La sortie du tuyau transportant les eaux décontaminées se trouve à environ un kilomètre en mer.
Vue de l’océan Pacifique depuis la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi. La sortie du tuyau transportant les eaux décontaminées se trouve à environ un kilomètre en mer.

(Photo de titre : la structure du réacteur 1 de la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi, au premier plan, a été touchée par une explosion d’hydrogène. Le dôme cylindrique correspond au réacteur 3. Photo du 21 octobre 2024. Toutes les photos sont de Nippon.com, sauf mentions contraires)

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    Sumii KyôsukeArticles de l'auteur

    Reporter pour le Metropolitan Police Department et l’Agence de la maison impériale, puis correspondant de presse à l’étranger, Sumii Kyôsuke est actuellement rédacteur en chef de Nippon.com. Chercheur invité à l’université de Harvard, il travaille sur la question des « enlèvements de ressortissants japonais par la Corée du Nord » et couvre un large éventail de sujets tant sur le Japon qu’à l’international.

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