Hakuhô, le plus grand yokozuna de l’histoire du sumo : un précieux regard sur la légende
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Trop maigre pour faire un lutteur de sumo…
Hakuhô, Munhbat Davajargal de son vrai nom, est né le 11 mars 1985 à Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie. Son père est célèbre dans son pays pour avoir remporté six fois le tournoi annuel de lutte mongole, et être devenu le premier médaillé olympique de Mongolie en remportant la médaille d’argent en lutte libre à Mexico en 1968 (il avait également participé aux Jeux olympiques de Tokyo en 1964).
Hakuhô est arrivé au Japon à l’âge de 15 ans avec l’espoir de suivre les traces de son compatriote et premier sekitori (lutteur de 1e ou 2e division) de nationalité mongole Kyokushûzan, avec quatre autres jeunes candidats. Après un stage d’entraînement à la Settsu Sôko (une célèbre école de sumo amateur où sont souvent repérés les futurs champions), il a cherché une opportunité de rejoindre une écurie professionnelle.
Or, à l’époque, il pesait 62 Kg pour 175 cm. Alors que ses amis, avec des gabarits un peu plus imposants, étaient signés les uns après les autres par les écuries les plus cotées, les chefs d’écurie n’avaient pas le moindre regard pour ce freluquet. Dépité, il s’apprêtait à rentrer en Mongolie quand il fut finalement ramassé par le patron de l’écurie Miyagino-beya, une écurie plutôt faible.
Quand Hakuhô est passé sekitori, je me souviens lui avoir demandé comment s’étaient déroulés ses débuts.
« Au début, ils ne voulaient pas me laisser m’entraîner, car j’étais trop maigre. J’ai dû manger tout le temps, pour prendre du poids. Je mangeais tellement que j’en vomissais, ce qui est un péché (rires). Pour moi, c’était encore plus dur que les entraînements. »
« Je m’amuse tellement quand je combats »
Sa première apparition sur un ring en tournoi officiel date du tournoi de printemps 2001. Au début, ses résultats ont été très aléatoires, mais son corps s’est renforcé à mesure qu’il s’entraînait de plus en plus dur, et que les qualités héritées de son père se sont épanouies. En seulement trois ans, à 19 ans et 1 mois, il est passé makuuchi (1e division), le 4e plus jeune de l’histoire du sumo depuis l’ère Shôwa (1926-1989). Il a gravi régulièrement les échelons, jusqu’à remporter 13 combats sur 15 lors du tournoi de printemps 2006 en tant que sekiwake (deux grades avant le titre ultime de yokozuna), lui ouvrant la promotion au grade d’ôzeki (dernier grade avant yokozuna).
Hakuhô était en pleine ascension et allait passer ôzeki quand il m’a déclaré : « Je m’amuse tellement quand je combats. J’attends le prochain tournoi avec impatience. » Je dois dire que je n’ai jamais entendu un lutteur japonais montrer un tel enthousiasme. Son constant désir de s’améliorer, et son dévouement à l’entraînement, telles sont les qualités qui lui ont ouvert la route vers le titre suprême de yokozuna.
Au tournoi d’été 2006, il manque de peu la promotion au rang ultime. Dès la fin du tournoi, il participe à une tournée de promotion, sous un soleil de plomb. En 5 jours, il se produit dans 94 combats contre 94 adversaires différents… et il vient me dire d’un air déçu qu’il n’a pas réussi à atteindre le nombre de 100 qu’il m’avait annoncé comme objectif !
Yokozuna, la pression à Hawaï
À 22 ans et 2 mois, Hakuhô devient le troisième plus jeune yokozuna de l’histoire.
Le nouveau yokozuna part ensuite en tournée promotionnelle à Hawaï, accompagné de ses parents et de ses sœurs. Un jour de relâche, j’ai trouvé Hakuhô en train de s’entraîner en maillot de bain, sur la plage, avec un membre de la même écurie : « Si je me repose, je m’affaiblis », me dit-il.
Puis il me regarde et dit avec un sourire en coin : « Tu es encore bien conservé pour ton âge, dis donc. Tu veux t’entraîner ? »
« Mon âge ? Qu’est-ce qu’il a mon âge ? Viens-y voir, jeunot ! », je lui réponds du haut de mes 175 cm pour 70 Kg, à peu près le gabarit de Hakuhô à ses débuts. Sauf que le yokozuna, maintenant, mesurait 192 cm pour 155 Kg...
Heureusement qu’il n’était pas vraiment sérieux, parce que même en y mettant toutes mes forces, je ne l’ai pas fait bouger d’un millimètre. Et au corps à corps, la masse fait une méchante impression. À la première pression, j’ai senti mes hanches craquer et j’ai eu du mal à respirer.
L’instant d’après, je me suis retrouvé deux mètres plus loin à rouler sur le sable. Un tremblement de terre, sans doute… J’ai levé les yeux et j’ai reconnu le sourire de Hakuhô dans le bleu du ciel.
On n’a pas idée de la puissance d’un rikishi (lutteur), d’un yokozuna encore moins. Et l’innocence du sourire de Hakuhô, c’est la cerise sur le gâteau. L’expérience « de première main » de cette force pure m’a donné une assurance incroyable : Plus aucun journaliste ne me fait peur, maintenant !
Une image « indigne » pour un yokozuna ?
On a souvent fait remarquer que certaines attitudes et certaines paroles de Hakuhô étaient problématiques, venant d’un yokozuna, titre autrefois révéré comme « dieu vivant ». Par exemple, alors qu’on attend d’un lutteur qu’il ne montre jamais ses émotions sur le ring, qu’il gagne ou qu’il perde, Hakuhô levait souvent le poing en signe de victoire après ses combats. Et ses interviews très « directives », dans lesquelles il entraînait les journalistes à de véritables joutes oratoires ont souvent suscité la controverse. On l’a jugé arrogant… Si vous voulez mon avis, c’est une idée fausse. Le Hakuhô que je connais depuis ses débuts a toujours été un jeune homme plein de bonne humeur et d’insouciance, qui adore le sumo plus que tout.
Dans la dernière partie de sa carrière, le grand champion a certes de plus en plus souvent eu recours aux hijiuchi (coups de coude) et aux harite (gifles) pour assurer une victoire, alors que ce qu’on attend d’un yokozuna est qu’il gagne par la dignité de la force tranquille, pas par la violence. Personnellement, je vois plutôt le sens du devoir considéré comme absolu de celui qui s’est élevé au-dessus de l’homme ordinaire, quelque chose de totalement différent du champion de n’importe quel autre sport : « Un yokozuna ne perd jamais. »
Le lien entre le sumo et le Japon, vu par Hakuhô
Il y a deux ans, lors d’une tournée à Kyûshû (sud-ouest du Japon), j’ai eu l’occasion de réaliser une interview exclusive avec Hakuhô pour un magazine.
À cette occasion, il m’a expliqué la signification réelle du shiko, le rite des lutteurs qui lèvent haut la jambe et frappent le sol avec leur pied avant un combat. « Il s’agit d’éradiquer le mal qui se trouve sous la terre. » Et il m’a raconté un épisode parlant : « Après le grand tremblement de terre du Tôhoku qui a provoqué la catastrophe de Fukushima en mars 2011, les répliques sismiques étaient tellement nombreuses que les gens n’osaient plus dormir. Mais je suis allé faire une cérémonie d’entrée sur le ring en tant que yokozuna, et quand je suis revenu, on m’a dit que le lendemain, les répliques avaient totalement cessé. J’ai compris ce jour-là qu’il y avait un lien spécial entre le sumo et le Japon. »
L’un des secrets du succès de Hakuhô en tant que yokozuna pendant plus de 14 ans est son attachement indéfectible aux anciennes méthodes d’entraînement du sumo, le shiko et le teppô (poussée alternée bras tendus). Il a également étudié l’histoire du sumo avec un vif intérêt, et possède plus de connaissances sur ce sport que les lutteurs japonais. De ce fait, il est bien placé pour transmettre les bonnes traditions du sumo à ses élèves. J’ai de grands espoirs pour sa seconde carrière en tant que magaki oyakata (le titre que Hakuhô a obtenu après sa retraite).
(Voir également notre article : Une journée type dans une écurie de lutteurs de sumo)
(Photo de titre : Hakuhô riant après avoir projeté Nagayama Hitoshi, l’auteur du présent article, sur une plage à Honolulu, Hawaï, en juin 2007. Photo de l’auteur)