
Exploration de l’histoire japonaise
Sauvé par le « kamikaze » ? Le Japon face aux invasions mongoles
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L’énigme des navires disparus : est-ce le fameux kamikaze ?
Le lendemain matin pourtant, stupeur : les navires ennemis avaient disparu. Cela marquera la fin de la première invasion mongole, connue sous le nom de bataille de Bun’ei.
Au Japon, de nombreux étudiants apprennent en cours d’histoire que lors des batailles de Bun’ei et de Kôan sept ans plus tard, les flottes mongoles ont été la proie de fortes pluies et de vents violents. C’est à ce moment que l’on parle du kamikaze, ou « vent divin ». À cette époque en effet, on croyait que lorsque le Japon traversait une période de crise, un vent divin soufflait pour sauver le pays de sa malheureuse destinée. Et plus tard, cette croyance conduira à d’autres événements, impliquant notamment les fameux pilotes « kamikazes » pendant la Seconde Guerre mondiale.
Les manuels scolaires actuels présentent néanmoins la bataille de Bun’ei de façon totalement différente. Prenons l’exemple de cette publication de l’éditeur Yamakawa Shuppansha.
« L’armée mongole, au nombre de 30 000, qui comptait parmi elle des soldats de Goryeo, ont attaqué Tsushima et Iki avant d’accoster dans le nord du Kyûshû dans la baie de Hakata. […] Les guerriers japonais était habitués aux duels mais pas aux batailles. L’armée ennemie, elle aussi, a subi de lourdes pertes, et il faut noter qu’elle connaissait d’importantes dissensions internes, avant de battre en retraite. Plus tard, en 1281, lors de la seconde tentative d’invasion, une énorme armée de 140 000 hommes s’est approchée du nord du Kyûshû. Alors qu’elle se heurtait à des troupes hostiles à son débarquement dans la baie de Hakata, un vent violent et une forte pluie se sont abattues sur les soldats mongols. De nombreux y ont perdu la vie. Là encore, les Yuan n’ont eu d’autre choix que de battre en retraite. »
Ici, ce sont des querelles au sein même du camp ennemi qui sont données comme raison du retrait des Mongols en 1274, pour leur première invasion. Mais qu’en est-il des autres manuels scolaires ? « Le moral était au plus bas au sein de l’armée mongole, composée de soldats Yuan et de Goryeo. Elle avait essuyé de lourdes pertes dans des conditions de combat inconnues avant de battre en retraite », peut-on lire dans une publication de l’éditeur Jikkyô Shuppan.
Le manuel de l’éditeur Tokyo Shoseki, quant à lui, explique : « Si les samouraïs ont affronté l’armée Yuan et leurs tactiques de groupe avec d’énormes difficultés, les importantes pertes dans l’armée Yuan l’a poussée à battre en retraite. »
C’est ainsi que les mauvaises conditions atmosphériques à l’origine de l’arrêt de l’invasion mongole a totalement disparu des livres d’histoire japonais. Il est intéressant de noter que si l’éditeur Yamakawa justifie le retrait de l’armée par des conflits internes, l’éditeur Jikkyô, lui, donne comme raison un moral au plus bas et des tactiques de combat inconnues. En revanche, pour l’éditeur Tokyo Shoseki, c’est la persévérance de l’armée japonaise qui a eu raison de l’armée Yuan. La version est donc différente d’un livre à un autre. Ce n’est que dans le manuel de l’éditeur Shimizu Shoin que l’on peut lire : « À ce moment-là, les vents étaient si violents et la pluie si abondante que l’armée ennemie a rapidement reculé. » Cependant là encore, rien ne décrit de façon directe les phénomènes climatiques comme un facteur décisif dans le dénouement de la situation.
Où est la vérité ? Aucun historien n’est unanime sur la raison pour laquelle les invasions mongoles ont échoué. Pour Kakehi Masahiro, professeur à l’université Ferris, les choses se sont passées encore d’une autre manière. « Pour le camp mongol, il s’agissait de reconnaissance militaire, donc ils se sont contentés de rester où ils étaient, et n’avaient ainsi aucune intention de poursuivre le combat. »
D’autres pensent qu’il y a bel et bien eu un kamikaze. Hattori Hideo, professeur émérite à l’Université de Kyûshû, écrit dans un de ses ouvrages qu’en dépit de vents violents et de fortes pluies, les Yuan ne se sont pas retirées en l’espace d’un jour.
En prenant pour référence un certain nombre de documents, dont le journal d’un aristocrate de Kyoto, Fujiwara no Kanenaka, le professeur Hattori affirme c’est un typhon qui a balayé l’armée mongole après sept jours sur le sol nippon. Selon lui, ce typhon serait mentionné dans les archives de Goryeo. En cas d’acceptation de cette théorie, les manuels scolaires japonais pourraient une nouvelle fois justifier le retrait de l’armée mongole par de fortes intempéries.
Échec de la seconde invasion mongole : remercier les divinités
Après la bataille de Bun’ei en 1274, les Mongols ont envoyé d’autres émissaires au Japon, demandant allégeance. Peine perdue puisque le chef de facto du shogunat, Hôjô Tokimune, les a fait exécuter un par un.
En 1281, Kubilaï Khan a envoyé une armée de 140 000 hommes au Japon. Plus précisément, 30 000 soldats Yuan de l’est, principalement de Goryeo, et 100 000 autres du sud de la Chine, dont d’anciennes troupes Song. Cependant, la partie japonaise n’était plus aussi ignorante et a appris à déjouer les tactiques des Yuan. Ses fortifications, qui s’étendaient sur une vingtaine de kilomètres, se sont montrées d’une efficacité remarquable pour l’armée du shogunat, afin d’empêcher le débarquement de l’imposante armée mongole.
Pendant deux mois, les forces japonaises ne semblaient pas plier, jusqu’au 23 août, lorsqu’un violent typhon s’est abattu sur Kyûshû. Le bilan a été catastrophique ; l’armée du shogunat a perdu un grand nombre de ses hommes et toute la flotte de navires des Yuan a été coulée, emportant de même les soldats qui se trouvaient à son bord.
Pour ce qui est de la bataille de Kôan en 1281, les spécialistes s’accordent sur une même version des faits ; un puissant typhon a eu raison de l’armée des Yuan. Heureux de ce dénouement, la cour et le shogunat se sont mis à effectuer des prières pour remercier les divinités.
Le courtisan et poète Nijô Tameuji a par exemple été envoyé par la cour impériale au sanctuaire d’Ise, où il s’est rendu également dans un site dédié à un divinité du vent dans l’enceinte du sanctuaire intérieur. On pense que ce dieu a fait souffler ces puissantes rafales de vents pour venir en aide au Japon face à l’armée mongole. En 1293, la cour élève le statut du sanctuaire et le rebaptise Kazahinomi no miya (« le sanctuaire où l’on prie le vent »).
Et ce sanctuaire n’est pas le seul. D’autres voient également leur statut élevé par la cour en raison de leur utilité en période de crise. C’est notamment le cas des sanctuaires Hakozaki Hachimangû, Suwa Taisha et Fuu. Le Japon étant à cette époque-là largement considéré comme une terre de kami (divinités), une croyance s’est peu à peu répandue selon laquelle les kamikaze étaient là pour protéger le pays en cas de besoin.
Si Kubilaï projetait d’envahir à nouveau le Japon, les forces mongoles peinaient à gagner du terrain dans les campagnes au Vietnam. Elles se heurtaient à plusieurs reprises à des rebellions en Chine et en Asie du Sud-Est et ont été chassées de Java alors qu’elles tentaient en vain de faire une incursion. Kubilaï n’aura donc aucune occasion pour mettre son plan à exécution.
Un shogunat affaibli par les conflits
Si le shogunat de Kamakura a pu maintenir les envahisseurs à distance, il a été considérablement affaibli par les attaques mongoles. À cette époque-là, les gains de terres permettaient de financer les récompenses des samouraïs qui partaient au conflit. Sans nouvelles terres, les récompenses versées par le shogunat étaient insuffisantes, d’autant plus que les guerriers s’acquittaient eux-mêmes des dépenses lors des batailles. Par ailleurs, un grand nombre d’entre eux sont morts au front ou devenus invalides.
C’est dans ce contexte que les serviteurs sous l’autorité directe du shogunat se sont appauvris à tel point qu’ils devaient se procurer de l’argent en vendant leurs terres. À ce moment-là, la loyauté envers le shogunat de Kamakura s’est rompue, entraînant en partie sa chute en 1333.
Ghost of Tsushima est un jeu d’action dont l’intrigue se déroule à l’époque des invasions mongoles. Sa sortie a suscité chez les fans du jeu un grand intérêt pour cette période de l’histoire du Japon.
(Photo de titre : une illustration de Môko shûrai ekotoba [Histoire illustrée des invasions mongoles] montrant un combat acharné. Takezaki Suenaga affronte les soldats ennemis. Si les samouraïs étaient harnachés d’une armure, les soldats Yuan portaient des vêtements en tissu ou en cuir. Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète)